Les communes dans les filets des sociétés de l'eau30/12/20082008Journal/medias/journalnumero/images/2009/01/une2109.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Les communes dans les filets des sociétés de l'eau

« Il est essentiel que la collectivité assure une maîtrise totale de la chaîne et que l'accès à l'eau ne puisse générer des profits pour des groupes qui vont distribuer des dividendes », a expliqué Anne Le Strat, adjointe au maire de Paris et apparentée PS. C'est effectivement une aberration sociale que trois grandes compagnies - Veolia, Suez-Lyonnaise des eaux et la Saur - se partagent le marché de l'eau dans 60 % des communes françaises regroupant 80 % de la population. Ces « trois soeurs », comme on les surnomme, ont en face d'elles des interlocuteurs dispersés : les maires.

La Révolution française avait, en 1790, chargé les communes du maintien de la salubrité publique et, à ce titre, de l'alimentation en eau. Cette règle était encore en vigueur à l'époque des grands travaux d'Haussmann, lorsque la Compagnie générale des eaux (l'ancêtre de Veolia) avait été constituée par décret impérial de Napoléon III. La soif de profit donna naissance, en 1880, avec l'aide de fonds publics, à la Société lyonnaise des eaux et de l'éclairage. Lyon, Paris, suivis par d'autres villes déléguèrent alors leur service de l'eau à ces sociétés.

En 1920, seuls 23 % des communes disposaient d'un réseau de distribution d'eau. Pour mettre l'eau courante à la disposition de la population rurale, de nouveaux travaux étaient nécessaires. Une partie des recettes du pari mutuel (l'actuel PMU) furent allouées au financement des réseaux dans les communes disposant de faibles ressources. Ce fonds destiné aux adductions d'eau a subsisté jusqu'en 2004 et est aujourd'hui transféré aux Agences de l'eau. Ces réseaux en milieu rural constituaient une source de profit dont bénéficia en particulier la Saur, créée en 1933.

En 1982, quand les lois de décentralisation donnèrent davantage de responsabilités aux maires, ceux-ci furent placés en situation de signer des contrats qui étaient jusqu'alors encadrés par les services de l'État, pour le grand bénéfice des « trois soeurs ». Une loi de décembre 2006 a confirmé que la distribution d'eau potable est du ressort des communes, tout comme l'assainissement des eaux usées. Même si les communes ont la possibilité de se regrouper, la disproportion des forces reste flagrante : les « trois soeurs » se partagent 9 000 contrats, dont 600 à 800 sont renégociés chaque année. Cette situation est d'autant plus aberrante que l'eau est souvent captée loin de ses points de distribution et que les réseaux communaux sont interconnectés. Mais c'est tout bénéfice pour les sociétés de l'eau qui ont encore gagné, entre 1998 et 2001, des contrats avec 400 communes correspondant à 940 000 habitants.

La situation de Paris, qui compte 2,15 millions d'habitants et a donc évidemment plus de poids, est privilégiée par rapport aux villes petites ou moyennes qui ont chacune des contrats différents, expirant à des dates différentes. Mais c'est à l'échelle nationale que les usagers devront, en liaison avec celles et ceux qui y travaillent, régler leurs comptes avec les grands groupes de l'eau, leurs nombreuses filiales et leurs sous-traitants, pour cesser d'enrichir les maîtres de l'eau chaque fois qu'ils ouvrent le robinet.

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