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- Lutte ouvrière n°2109
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Guinée Conakry - mort du dictateur Lansana Conté : Un coup d'État militaire préventif
Quelques heures après l'annonce de la mort du général-président, Lansana Conté, le 23 décembre, une partie de l'armée organisait un coup d'État, prenait le pouvoir et annonçait la dissolution des institutions. Un jeune officier, le capitaine Moussa Dadis Camara, à l'origine du putsch, dirigeant un « Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) » - c'est du moins le nom qu'il se donne -, se proclamait « président de la République ».
Mais les masses guinéennes se méfient de ces militaires issus du sérail qui, hier encore, lors des manifestations de masses, leur tiraient dessus à balles réelles.
Un putsch qui arrive à point nommé...
Durant les premières heures qui ont suivi le coup d'État, la capitale Conakry ressemblait à une ville morte : marchés déserts, stations services et magasins fermés. La population était restée cloîtrée chez elle, craignant la violence. Les principales organisations syndicales demeuraient dans l'expectative, tandis que les mouvements d'opposition prenaient acte du coup d'État militaire.
Le gouvernement, lui, n'a pas résisté longtemps aux pressions des militaires putschistes. Convoqués par le nouvel homme fort de Conakry à se rendre dans le camp militaire où il a ses quartiers, les ministres de l'ancien gouvernement, le premier d'entre eux en tête, s'y sont rapidement rendus. Là, ils ont expliqué qu'ils n'étaient que de simples « techniciens », surtout pas des « militaires » ou des « politiques », cela pour mieux faire allégeance à la nouvelle junte.
Camara, le nouveau « président », proclame haut et fort qu'il veut « s'attaquer à ceux qui ont pillé le pays », « à ceux qui se sont rempli les poches ». À en croire ses propos, il faudrait en substance les poursuivre en justice et les juger. Il affirme enfin qu'il faut en finir avec le détournement des fonds publics. Mais tout en dénonçant les méfaits de « l'ancien régime », le nouveau chef de la junte réaffirme que l'ancien dictateur Lansana Conté était « honnête » et de s'afficher tout sourire aux côtés du ministre de la Défense, et du Premier ministre, deux représentants de l'ancienne dictature qui viennent de se rallier.
Il est donc difficile de savoir ce qui se passe dans la tête de ces militaires qui viennent de prendre le pouvoir à Conakry. Difficile de savoir si la totalité de l'armée est prête à suivre les putschistes dans leur aventure : certains militaires rivaux prépareraient leur revanche. Les masses pauvres restent, elles, méfiantes à l'égard des putschistes qui sont loin d'être accueillis en libérateurs.
Les militaires putschistes sont issus de la même armée qui pendant des décennies a été la véritable colonne vertébrale du régime. Cette armée a réprimé dans le sang toutes les révoltes populaires : en 2004 comme en 2007, pour ne parler que des plus récentes. Décrétant la loi martiale et l'État de siège, le gouvernement avait fait appel à l'armée pour noyer dans le sang la révolte populaire de janvier-février 2007, faisant près de 150 morts et plus d'un millier de blessés. À l'époque les masses ouvrières de Conakry protestaient contre la vie chère, réclamaient une hausse des salaires et le départ du vieux dictateur corrompu.
...pour faire taire la population pauvre et museler l'opposition
Moussa Dadis Camara, le capitaine putschiste, dit vouloir renégocier les contrats dans le secteur minier. Mais au profit de qui ? Pas à celui de la population pauvre en tout cas. À aucun moment, il ne parle de s'en prendre aux intérêts des grands trusts miniers tels Rio Tinto Alcan, Aloca, Rusal, qui pillent la bauxite (minerai qui sert à fabriquer de l'aluminium) dont la Guinée détient les plus grandes réserves mondiales.
Ce putsch a tout l'air d'un coup d'État préventif. Dans le contexte de crise économique et politique que traverse la Guinée, au bord de l'explosion sociale, l'annonce du décès du vieux dictateur exécré aurait très probablement provoqué manifestations et émeutes. Ces dernières semaines, la capitale était encore la proie d'émeutes contre la vie chère à cause du prix excessif de l'essence.
C'est sans aucun doute pour éviter de telles manifestations, qui à terme auraient pu faire chanceler le pouvoir, comme au début de l'année 2007, mais également pour combler un vide causé par la disparition du vieux dictateur, que l'armée a pris le pouvoir. La menace militaire est aujourd'hui omniprésente. Les élections qui auraient dû avoir lieu dans les soixante jours pour élire un nouveau président sont reportées en 2010.
Les beaux discours revendicatifs du nouveau maître de Conakry apparaissent donc comme un leurre pour mieux tromper les masses pauvres : faire croire que tout change pour que rien ne change ! Mais celles-ci n'ont pas dit leur dernier mot : leur détermination à affronter la dictature et l'armée comme ce fut le cas lors des précédentes révoltes est toujours intacte. Et il se pourrait bien qu'elles déjouent, cette fois-ci encore, tous les calculs des militaires putschistes.