La Poste : Vers la fin du service public ?02/01/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/01/une1796.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

La Poste : Vers la fin du service public ?

Cela fait plus de dix ans que La Poste est séparée des Télécoms et, depuis, elle a sérieusement évolué.

Le monopole du traitement du courrier est de plus en plus restreint et risque de disparaître d'ici quelques années. La Poste se retrouve en partie déjà en concurrence avec des entreprises qui n'ont aucune contrainte de service public et qui, notamment, n'ont pas à respecter la péréquation des tarifs - c'est-à-dire qu'il en coûte le même prix d'envoyer une lettre entre Gennevilliers et Colombes qu'entre Ajaccio et Lille. Même si La Poste accorde déjà des tarifs préférentiels aux entreprises, les entreprises privées telles que Fedex peuvent proposer des tarifs encore plus bas pour certains types de courriers, en particulier celui envers les entreprises car elles n'ont pas à tenir compte de l'obligation de transporter n'importe quel courrier ni celle de respecter la péréquation des tarifs.

Introduire la concurrence, pour mettre aux mains des capitalistes des secteurs rentables, a des conséquences pour le personnel et les usagers. Petit à petit, le service à la population est laissé à l'abandon, ce qui gêne les plus pauvres. La Poste cherche à diminuer ses coûts de personnel, à revenir sur ses obligations de service public et à taxer l'usager par l'augmentation des tarifs sans que le service s'améliore. Et puis elle essaie, de la même façon que France Télécom ou EDF-GDF, de se positionner comme un des premiers groupes européens par des rachats ou des alliances avec d'autres entreprises postales d'Europe, ce qui risque de se traduire par des investissements hasardeux, ou un endettement qu'il faudra bien récupérer sur les postiers et les usagers.

Que le gouvernement décide ou non de privatiser La Poste, sa direction abandonne de plus en plus son rôle de service public pour se transformer en une entreprise capitaliste dont le but est de dégager le plus de profits possible. Pour cela, elle développe toute une stratégie.

C'est sur l'abaissement des coûts de personnel que les efforts de la direction de La Poste sont les plus importants : en quinze ans, il y a eu 15 000 postiers en moins et, pour réduire encore plus la masse salariale, elle a recruté des contractuels moins bien payés et soumis aux règles sociales du secteur privé. Sur 320 000 postiers, 90 000 sont des agents contractuels, soit le tiers des postiers. L'objectif de La Poste est de réduire le nombre de fonctionnaires à un tiers de l'effectif, en se servant du départ à la retraite de 140 000 postiers, dont 90 000 fonctionnaires, dans les dix ans à venir.

Petit à petit, La Poste se " recentre sur les métiers du courrier ", c'est-à-dire qu'elle externalise au fur et à mesure de plus en plus de services tels que la maintenance, le transport des facteurs, et qu'elle se débarrasse de tout ce qui concerne les à-côtés dits sociaux : les foyers PTT, les cantines...

Elle a adopté une nouvelle formule de comptabilité. Chaque responsable d'établissement est responsable financièrement et doit pouvoir mesurer si un secteur est rentable ou non. L'entreprise comprend progressivement un certain nombre de branches complètement séparées les unes des autres, telles que le secteur financier avec les centres de chèques postaux, les bureaux de poste et la distribution du courrier, qui sont devenus deux pôles distincts. Le transport des colis est déjà entièrement séparé du reste de l'activité. Et ce recentrage se traduit par une course à la rentabilité dans chaque secteur, ce qui entraîne des suppressions de postes et une aggravation des conditions de travail.

Dans ce cadre, poursuivant une politique vieille de dix ans, les centres de tri devraient passer de 133 à une cinquantaine. La direction ne communique plus ses projets et prétend que rien n'est décidé, mais en réalité la fermeture de centres de tri est préparée. Le traitement du courrier s'est beaucoup mécanisé et l'objectif est que le courrier soit trié par rue dans l'ordre de la tournée du facteur, supprimant le travail de tri effectué par les facteurs avant leur tournée. Du coup, les tournées deviendront plus longues et les sacoches encore plus lourdes. Pour ceux des centres de tri, le travail devient de plus en plus répétitif. Les directions ont changé les horaires, introduit les pauses décalées afin que les machines tournent quasiment 24 heures sur 24 et que le nombre de postiers colle au plus près aux besoins du trafic. Cela se traduit par de nouveaux horaires plus contraignants, que bien souvent La Poste impose aux quelques rares nouveaux embauchés fonctionnaires et aux contractuels. Pour ces derniers, cela va jusqu'à des contrats de 6 h 50 par semaine. Pour le personnel de nuit, au lieu des deux nuits sur quatre, il faut faire quatre, voire cinq nuits sur une semaine.

Pour ce qui concerne les bureaux de poste, la direction se plaint d'avoir à entretenir 17 000 bureaux alors que, d'après elle, seuls 7 000 d'entre eux lui rapportent 90 % du chiffre d'affaires du réseau. Elle a déjà commencé à s'attaquer à l'existence de certains d'entre eux en les fermant définitivement ou pendant l'été, ou en diminuant les horaires d'ouverture. La Poste exerce son chantage sur les communes dont elle considère que le bureau n'est pas assez rentable pour que les mairies prennent à leur charge une partie des frais, ou encore que l'activité de La Poste soit reprise par un commerçant de la commune contre une petite rémunération.

Par ailleurs, elle privilégie la distribution de la publicité ou le courrier des entreprises qui sont plus profitables, au détriment du courrier des particuliers. Par exemple, La Poste cherche à étendre le travail du samedi à un plus grand nombre de facteurs. Il paraîtrait, d'après les spécialistes, que la plupart des gens lisent les dépliants publicitaires le samedi ! Les entreprises profitent de tarifs préférentiels et de tournées spéciales. Sur un secteur comme le 17e arrondissement de Paris, où il manque régulièrement des facteurs, alors qu'une partie des tournées couvre les sociétés et l'autre les quartiers populaires, il n'est pas difficile de savoir qui ne reçoit pas son courrier à temps !

Quant à ceux qui sont aux guichets, ils sont engagés à se sentir mobilisés " pour faire gagner La Poste ". Celle-ci propose désormais d'autres services financiers que le compte chèques et le livret A. Selon les termes de la direction, l'usager est devenu un client auprès duquel il faut faire passer le plus de produits. Pas à n'importe quel client. Une consultante affirme dans un journal de l'entreprise : " Attention, savoir conquérir, développer et fidéliser les clients est nécessaire mais insuffisant. Encore faut-il que le client soit rentable. " Alors, il s'agit d'appliquer le BCC (bien chouchouter le client), selon les termes de La Poste, mais sans se tromper. Le but est de transformer chaque employé en commercial. Lors des stages, les postiers doivent se mettre en scène dans des jeux de rôles où ils doivent respecter des règles telles que le BRASMA (bonjour, regard, attention, sourire, merci, au revoir), mais surtout savoir faire des ventes additionnelles, c'est-à-dire qu'au lieu de vendre un timbre, il faut vendre un " prêt-à-poster " plus cher. Et elle envoie de faux clients vérifier l'attitude des guichetiers.

La Poste cesse de plus en plus d'être un service public pour devenir une entreprise comme les autres. Une partie importante de son personnel est de droit privé. Quant au service à la population, il est mis de côté alors même que les conditions de travail se dégradent pour les salariés de l'entreprise.

Une externalisation au détriment de tous

À Paris 16, à la suite de ce qui s'est fait dans d'autres arrondissements, un des derniers projets de la direction est d'externaliser les bus qui transportent les facteurs sur leurs tournées. Ce qui signifie que douze postes de chauffeurs occupés par dix contractuels et deux fonctionnaires disparaissent. Ce transport serait confié à la RATP, qui n'achète aucun bus et n'embauche aucun chauffeur pour cette charge de travail supplémentaire. Ce sera donc fait au détriment des usagers des transports en commun.

Pas de petits profits

Dans les cités pavillonnaires, La Poste cherche à regrouper les boîtes à lettres de plusieurs maisons, ce qui oblige les usagers à se déplacer pour prendre leur courrier et ce qui permet d'allonger les tournées des facteurs.

Ou encore elle annonce qu'elle va installer de nouvelles boîtes " XXL " plus grandes que les précédentes pour les quartiers où il y a beaucoup de courrier posté, mais dans le même temps elle compte en supprimer un certain nombres d'autres qu'elle considère " non productives " parce qu'il y a moins de courrier à relever. Au bout du compte, ce sera moins de boîtes à relever mais plus de temps consacré à la collecte du courrier des entreprises.

Nouveau directeur, propositions pas nouvelles

Le nouveau directeur de La Poste vient de présenter ses propositions pour le contrat de plan 2003-2007 que La Poste doit signer avec l'État, et il propose d'augmenter le tarif du timbre poste, de réorganiser le maillage des centres de traitement et de distribution, selon ses termes, c'est-à-dire d'en diminuer le nombre, de transférer les services postaux chez les commerçants dans un certain nombre de communes, d'élargir la gamme de produits financiers que La Poste peut proposer... et le tout pour sauver le service public ! Il s'agirait plutôt de la course à la rentabilité déjà engagée par La Poste.

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