Février 1934 : le drame du prolétariat autrichien14/02/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/02/2898.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 90 ans

Février 1934 : le drame du prolétariat autrichien

En février 1934, en Autriche, une insurrection ouvrière, dirigée par des membres de la milice du Parti social-démocrate, se dressait contre la consolidation d’un régime dictatorial. Contrairement à ce qui s’était passé un an plus tôt en Allemagne, où, lors de l’arrivée des nazis au pouvoir, le mouvement ouvrier avait été défait sans combat, les travailleurs autrichiens réagirent.

À partir de 1931, l’Autriche fut touchée par la crise économique qui avait éclaté fin 1929 aux États-Unis. Cela se traduisit en particulier par la faillite de la plus grande banque du pays, le Creditanstalt. Les classes laborieuses en furent les principales victimes, avec la hausse du nombre de chômeurs, les baisses de salaire, le licenciement de fonctionnaires, la réduction des allocations de chômage, l’augmentation des taxes, etc. La période dite de « Vienne la Rouge » touchait à sa fin, c’est-à-dire celle où le Parti social-démocrate avait développé dans la capitale une série de réformes sociales avancées pour l’époque, telles que la construction de logements sociaux bon marché, le développement d’un réseau d’assistance sociale, de santé et de loisirs, et que la bourgeoisie avait jusque-là tolérées.

Une première tentative de coup d’État, à l’initiative de milices patriotiques, échoua en septembre 1931. Élu chancelier en mai 1932, Dollfuss, le leader du Parti chrétien-social, ne cachait pas ses sympathies pour Mussolini. En mars 1933, juste après la prise de pouvoir par Hitler en Allemagne, le Parlement fut dissous et un « État corporatif » créé. Au cours des mois qui suivirent furent interdites les manifestations de travailleurs dont celle du 1 er Mai. Le Parti communiste, très minoritaire, fut également interdit, ainsi que le Republikanischer Schutzbund, c’est-à-dire la milice social-démocrate créée pour se protéger des attaques de l’extrême droite. La peine de mort fut rétablie. Les perquisitions se multiplièrent dans les locaux ouvriers et de nombreux militants furent arrêtés.

Le Parti social-démocrate put encore tenir un congrès en octobre 1933. L’aile gauche y proposa de passer à l’offensive, mais la direction du parti autour d’Otto Bauer s’y opposa, espérant toujours gagner du temps sur une ligne de « défense de la démocratie ».

Le 10 février 1934, Karl Seitz, président du Parti social-démocrate, était relevé de ses fonctions de maire de Vienne. Une fois encore, la direction du parti ne bougea pas, mais la réaction vint des responsables locaux de la ville de Linz. Le 11 février, ils annoncèrent que, si une perquisition de leurs locaux avait lieu, ils se défendraient les armes à la main. Le 12 au matin, une quarantaine de membres du Schutzbund, qui avait poursuivi ses activités clandestinement, s’opposèrent donc à la police venue investir le quartier général local du Parti social-démocrate. Puis c’est à reculons, avec une seule voix de majorité, que dans la matinée du 12 février la direction nationale du parti lança enfin un appel à la grève générale et à la mobilisation du Schutzbund, comme le lui demandait un message envoyé par les insurgés de Linz. Parallèlement, elle tentait une ultime concertation avec le président chrétien-social du Land de Vienne... pour lui proposer d’entrer dans un gouvernement de coalition sous sa direction !

Dans ce contexte, de nombreux travailleurs, désorientés et démoralisés par le fait que le parti se soit refusé à toute véritable lutte contre les mesures anti-ouvrières prises depuis 1931, n’y croyaient plus. Ce fut aussi le cas de certains responsables du Schutzbund qui refusèrent de distribuer les armes à leurs groupes, alors qu’eux seuls savaient où elles étaient cachées. Quant à ceux qui se mobilisèrent, ils furent cantonnés dans les quartiers ouvriers, à attendre l’offensive des forces gouvernementales. Cela laissa le temps à l’adversaire de contrôler la plupart des points stratégiques et de les rendre imprenables. Pourtant, un rapport gouvernemental admit plus tard que « les premières heures de l’après-midi jusqu’à environ 14 h 30 avaient représenté une certaine période de faiblesse. » Si, comme c’était prévu, le Schutzbund avait à ce moment-là occupé les ponts, les gares, les postes de police, les centres de communication, etc., le rapport de force aurait été moins défavorable et un succès encore possible.

L’armée se lança alors à l’assaut des quartiers populaires de Vienne. Les travailleurs et les militants se défendirent avec courage, immeuble par immeuble, au point que le gouvernement dut avoir recours à l’artillerie. Des combats violents se déroulèrent également à Graz, à Steyr et dans de nombreuses villes industrielles. L’armée, appuyée par les milices patriotiques, mit quatre jours à venir à bout de l’insurrection. Le nombre des morts du côté des combattants ouvriers s’éleva à plusieurs centaines. De nombreux militants furent traînés en cour martiale, neuf d’entre eux condamnés à mort et exécutés.

Après cette épreuve de force, la voie était ouverte à une évolution encore plus dictatoriale du régime. Le Parti social-démocrate fut dissous et ses militants pourchassés. Dollfuss lui-même fut assassiné quelques mois plus tard par un activiste nazi. Enfin, en 1938, l’armée allemande entrait sans aucune résistance dans le pays, accomplissant l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne. C’était aussi une étape de plus vers la guerre.

La social-démocratie autrichienne était devenue, à la fin de la Première Guerre mondiale, la plus puissante d’Europe, eu égard à la taille de la population. Mais en 1918-1919, alors que l’écroulement de la dynastie des Habsbourg avait ouvert une situation potentiellement révolutionnaire, elle avait utilisé sa force considérable pour sauver l’ordre bourgeois. En 1930, le Parti ouvrier social-démocrate représentait encore 41 % de l’électorat et revendiquait, avec ses nombreuses organisations de masse, 600 000 membres. Mais le 15 mars 1933, lorsque, après avoir brisé une grève des cheminots, Dollfuss avait suspendu le Parlement, le parti resta sans réaction. Revenant sur ces événements, Otto Bauer écrivit quelques années plus tard : « Nous aurions pu riposter le 15 mars en appelant à une grève générale. Jamais les conditions de succès n’avaient été meilleures. Les masses des travailleurs attendaient notre signal. [...] Mais nous avons reculé, en plein désarroi, devant le combat. [...] La guerre a éclaté néanmoins onze mois plus tard, mais dans des conditions plus défavorables pour nous. »

Un aveu, qui souligne d’autant plus la responsabilité dans la défaite de février 1934, d’une social-démocratie incapable de mener la riposte aux attaques de la bourgeoisie par crainte du prolétariat et de la révolution.

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