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Dans le monde
Mayotte : incurie de l’État et démagogie
La mort d’un jeune rappeur de 22 ans, agressé à coups de chombo (machette) et de couteau par une bande, suivie de l’attaque d’un bus de ramassage scolaire par une quinzaine d’individus cagoulés, armés de barres de fer et de machettes, a naturellement soulevé beaucoup d’émotion.
D’autant que ce n’est pas un fait isolé puisque, si l’on en croit un décompte fourni par un responsable d’entreprise de ramassage scolaire, il y aurait eu 269 caillassages depuis août 2021.
Carla Baltus, présidente du Medef-Mayotte et patronne d’une entreprise de transport, dit comprendre les chauffeurs qui exercent leur droit de retrait : « Mais cela ne peut pas continuer ainsi. Le droit de retrait c’est pour un danger imminent…là c’est un danger permanent. » Et elle menace de ne pas payer les salariés sous prétexte que le conseil départemental ne paie pas les transporteurs quand ils ne roulent pas.
À chaque événement dramatique de cet ordre, l’ensemble des questions d’insécurité, petites ou grandes, ressenties ou réelles, se combinent en une impression de sinistre fléau que les propos d’une députée mahoraise parlant de « guerre civile » contribuent à aggraver. Les personnes venant des autres îles comoriennes sont désignées comme coupables de toutes les exactions par les élus et les dirigeants politiques. Parler, comme l’a fait Macron récemment, d’« un travail beaucoup plus vigoureux avec les Comores pour stopper les départs » de migrants, et de « plus de moyens militaires en mer pour pouvoir éviter les arrivées », c’est évacuer le triste bilan du défaut de moyens que subissent tous les Mahorais dans les services publics et toutes les infrastructures.
Mayotte, sous administration française depuis 170 ans, est devenue le 101e département français en 2011 et reste le plus pauvre. Les trois quarts de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté, la moitié vit avec moins de 260 euros par mois.
En juillet, un rapport sénatorial sur le système de santé constatait : « les activités de chirurgie programmées sont réduites voire inexistantes, dirigées vers La Réunion, à plus de 1 400 kilomètres. » Il préconisait de renforcer le réseau des bornes-fontaines pour assurer des points d’accès gratuit à l’eau potable sur le territoire. C’est dire l’état de délabrement des infrastructures d’assainissement !
En 2021, 5 500 jeunes se sont retrouvés à la rue, sans possibilités de poursuite d’études en métropole faute de papiers français, selon la Cimade. Selon des associations, comme SOS Jeunesse, des milliers de mineurs isolés, non scolarisés, livrés à eux-mêmes « se forgent à la loi de la rue pour survivre ».
Face à une telle incurie, en réponse à l’interpellation d’élus locaux, Darmanin a monté en épingle l’envoi d’une dizaine de policiers du Raid, vantant l’envoi « de gendarmes mobiles et de moyens de l’État pour effectivement inverser la courbe de la violence et permettre aux petits Mahorais d’aller normalement en classe » .
Si les petits Mahorais ne vont pas « normalement en classe », c’est d’abord à cause des « rotations », des demi-journées de cours permettant d’accueillir deux fois plus d’élèves dans les établissements du 1er degré. Concrètement, si une classe a cours le matin pendant deux semaines, elle ira à l’école l’après-midi les deux semaines suivantes. La principale conséquence de ces écoles en rotation, à opposer à celles dites « en rythme », est le retard accumulé par les élèves.
« Pour stopper les rotations, accueillir les enfants non scolarisés en petite et moyenne section, et anticiper la démographie qui augmente, il nous faut 800, voire 900 salles de classe [supplémentaires] », selon Gilles Halbout, le recteur de Mayotte. Au rythme d’une petite quinzaine de salles supplémentaires par an, il faudrait 60 ans pour y parvenir.
La situation sociale de Mayotte est un champ ouvert à toute la démagogie anti-pauvres que déploient les défenseurs du système d’oppression capitaliste. Ceux parmi les travailleurs de Mayotte qui se rangeraient derrière les mesures policières des gouvernants ne seront pas mieux traités que ceux qu’on leur désigne comme responsables de leurs difficultés à vivre dignement.
L’intérêt des travailleurs et des pauvres doit être défendu par eux-mêmes, en toute solidarité et fraternité, en toute conscience contre les exploiteurs et profiteurs du système capitaliste à abattre.