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Turquie : Manifestations contre le gouvernement Erdogan
Depuis juin et les manifestations provoquées par l'affaire du parc Gezi, d'autres manifestations avaient eu lieu pour réclamer la démission du Premier ministre Erdogan, de plus en plus mis en cause. Puis, en décembre dernier, un grand coup de filet anti-corruption avait été organisé à l'initiative de la direction financière de la police. 56 personnes avaient été arrêtées, dont des fils de ministres proches d'Erdogan, le maire du quartier Fatih d'Istanbul, des hauts fonctionnaires, un magnat du BTP et le PDG d'une grande banque. Le lendemain, Erdogan avait dénoncé une tentative de renversement de son gouvernement, voyant derrière l'opération policière la main de la confrérie Gülen, secte religieuse qui contrôle une partie de l'appareil d'État (police, magistrature, enseignement privé) et qui conteste Erdogan.
Depuis, toutes ces personnes ont été libérées, ce qui a suscité l'indignation. Le gouvernement d'Erdogan est passé à la contre-offensive, mutant plus de 8 000 policiers accusés d'avoir outrepassé leurs pouvoirs. Parmi eux, on compte le chef adjoint de la Sécurité nationale, des préfets de police et des chefs de service chargés de la lutte contre les crimes financiers, la contrebande, la piraterie informatique. Des mutations-sanctions ont aussi touché la magistrature, plus de 400 magistrats ayant été déplacés du jour au lendemain.
Les révélations d'écoutes téléphoniques concernant Erdogan, donnant des consignes à son fils pour cacher un milliard en devises avant une perquisition, ont encore mis le gouvernement en difficulté. Le Premier ministre menace maintenant d'interdire YouTube et Facebook, et le Parlement a adopté récemment une série de mesures qui renforcent le contrôle de l'État sur Internet. La riposte face à la confrérie Gülen a consisté à faire fermer son réseau d'établissements privés de soutien scolaire, les « dershane », sans lesquels beaucoup d'élèves ne pourraient réussir le concours d'entrée à l'université. Ces écoles sont, il est vrai, à la fois une importante source de revenus pour Gülen et un lieu de recrutement de jeunes pour la confrérie.
La concurrence entre la confrérie Gülen et le gouvernement Erdogan a tourné à la guerre ouverte il y a un an, et s'est enflammée depuis les arrestations de décembre. Les divers gouvernements des États-Unis semblent de longue date avoir misé sur Gülen, qu'ils ont accueilli depuis 1999 à cause des menaces d'arrestation que les généraux kémalistes font peser sur lui. C'est dans le cadre de cet affrontement que, le 25 décembre 2013, quatre importants ministres ont été congédiés au cours d'un large remaniement. Les dossiers de ces ministres, accusés de corruption, devaient être examinés au Parlement le mardi 18 mars.
Le grand patronat turc, représenté par la confédération Tusiad, et derrière lui la grande puissance américaine veulent maintenant en finir avec le gouvernement Erdogan. Accusé de mener une politique « néo-ottomane », Erdogan ferait fi des « conseils » émanant des États-Unis. Ainsi, il ne respecte ostensiblement pas le blocus économique décidé par les impérialistes contre l'Iran, ni leur attitude vis-à-vis du dirigeant syrien Assad, et va jusqu'à vouloir faire des commandes militaires à la Chine, contre l'avis de l'OTAN. Il déclare même vouloir participer à l'alliance Shanghai, avec la Russie, la Chine, le Kazakhstan, etc.
Le conflit ouvert entre Erdogan et Gülen s'amplifie de semaine en semaine et tous les coups bas semblent permis, d'autant plus que les élections municipales du 30 mars approchent.
L'AKP d'Erdogan semble, selon les sondages, toujours bénéficier d'un appui important dans une fraction de la population, et ce d'autant plus que le principal parti d'opposition, le CHP dit social-démocrate, est largement détesté. Au pouvoir pendant des décennies, ce dernier s'est trouvé à de nombreuses reprises à la tête de gouvernements profondément antiouvriers, faisant payer durement à la population pauvre les profits réalisés dans l'industrie modernisée. Ses candidats dans les villes d'Istanbul et d'Ankara sont, l'un, un proche d'un grand patron connu, à la manière d'un Dassault, pour user largement de la corruption, l'autre, un politicien mal repenti de l'extrême droite.
Face à une opposition peu appréciée, Erdogan croit jouer dans ces élections une partie aisée. C'est sans compter avec les risques d'intervention de certains secteurs de l'état-major militaire ou policier, qui n'ont jamais renoncé à leurs prérogatives, sans compter aussi avec son usure dans l'opinion. Les manifestations de ces jours derniers, les grèves dans certaines usines, montrent aussi que les revendications ne se limitent pas au changement de gouvernement.