Soudan : les généraux s’affrontent, la population paie26/04/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/04/2856.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Soudan : les généraux s’affrontent, la population paie

Depuis samedi 15 avril, la population du Soudan vit les horreurs d’une guerre totale. Les deux généraux qui se battent pour le pouvoir sont engagés dans une lutte à mort, celle-ci frappant en l’occurrence surtout les civils.

Rien ne dit que la trêve de 72 heures à compter du 25 avril, signée sous l’égide des États-Unis, évoluera vers la cessation des combats plus que celle conclue pour la fin du ramadan, qui n’avait tenu que quelques heures. On ­recensait alors au moins 420 morts et 3 700 blessés.

Dans cette situation, tous ceux qui le peuvent s’enfuient loin des secteurs où les combats font rage. Les ressortissants des grandes puissances comme la France ont été exfiltrés par les airs sous la protection de forces spéciales. Les citoyens de pays arabes comme l’Arabie saoudite ou ceux de pays africains ont suivi. Mais les Soudanais, eux, n’ont la plupart du temps d’autre choix que de se terrer chez eux et ne peuvent sortir que la peur au ventre. Plus de 70 % des hôpitaux ne sont plus en état de fonctionner. L’eau, l’électricité, le téléphone sont presque partout coupés. S’aventurer pour se nourrir jusqu’aux rares boutiques ouvertes ne peut se faire que sous les tirs d’armes automatiques et les bombardements, et lorsqu’on arrive au but c’est pour y trouver du riz vendu à prix d’or.

Derrière cette horreur, il y a la lutte de deux généraux, Abdel Fattah Al-Bourhane, le chef de l’État, et celui qu’on surnomme Hemetti, son vice-président. Unis pour écraser la résistance de la population mobilisée depuis le renversement du dictateur Omar el-Béchir en 2019, ils se combattent aujourd’hui. Le premier commande l’armée officielle, ses chars, ses hélicoptères et son aviation, le second les forces de soutien rapide (FSR), équipées de pickup armés de mitrailleuses modernes. À eux deux ils contrôlent tous les secteurs économiques, les entreprises industrielles et commerciales étant entre les mains d’Al-Bourhane tandis que l’or, dont le Soudan est le deuxième producteur en Afrique, est sous la coupe d’Hemetti.

Le conflit ne touche pas seulement la capitale, Khartoum. Toutes les grandes villes du pays sont frappées, mais aussi des régions plus périphériques comme le Darfour, qui a déjà subi son lot de guerres meurtrières. Dans cette région, les réfugiés soudanais s’enfuient massivement au Tchad voisin, qui pour sa part fait désormais boucler la frontière par son armée. Et si, aujourd’hui, les grandes puissances appelent à la cessation des combats, elles ont contribué à armer jusqu’aux dents les deux protagonistes, par l’intermédiaire de leurs alliés régionaux. Derrière Al-Bourhane il y a l’Égypte, abondamment équipée militairement par la France et les USA. L’un des premiers actes de cette guerre civile a été la prise par les FSR d’une base aérienne où les aviations égyptienne et soudanaise effectuaient des manœuvres conjointes, et la capture de pilotes égyptiens. Les hommes d’Hemetti ne sont plus les « démons à cheval » qui pourchassaient les habitants du Darfour dans les années 2000, faisant 300 000 victimes. Devenus la garde prétorienne du dictateur Omar el-Béchir, ils ont participé à la guerre du Yémen aux côtés de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, qui ont veillé matériellement à ce qu’ils puissent affronter leurs adversaires.

Avec ce conflit, toute la région risque de s’embraser. Chaque protagoniste peut avoir le dessus dans une partie du pays et y installer son propre pouvoir, d’autant plus que l’unité du Soudan est fragile, réunissant une multitude de peuples dont beaucoup ne demandent qu’à faire sécession, comme cela a déjà été le cas du Soudan du Sud. Chaque camp peut faire appel à ses parrains régionaux, et des pays ­voisins peuvent profiter de l’occasion, comme l’Éthiopie qui voudrait bien récupérer une région frontalière, le triangle d’Al-Fashaga, où se multiplient les incidents armés. Cela d’autant plus que l’Égypte s’oppose à l’Éthiopie qui veut construire sur le Nil un barrage qui pourrait priver l’Égypte d’une partie des eaux du fleuve.

Dans cette poudrière, la population n’a rien à atten­dre des grandes puissances, si ce n’est une aggravation de la guerre, comme celles qui ont ensanglanté l’Éthiopie, le Yémen, la Syrie ou l’Irak. Elle ne peut compter que sur elle-même pour écarter ces généraux criminels, comme elle a su le faire en 2019 pour le dictateur Omar el-Béchir.

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