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Égypte : la population étranglée par la crise
Le 6 mars, les dirigeants égyptiens ont plié devant les exigences de la finance internationale et accepté que la monnaie, la livre égyptienne (LE), devienne flottante, déterminée par le prix du marché des devises.
Le taux directeur de la livre égyptienne – rémunérant les dépôts des investisseurs – a été en même temps relevé de 6 %. La monnaie a aussitôt perdu 38 % de sa valeur par rapport au dollar, monnaie clé des échanges internationaux, et souvent des échanges tout court, en Égypte.
Le FMI a immédiatement validé une nouvelle ligne de crédit de 5 milliards de dollars, portant à 8 milliards le prêt de 2022 aux dirigeants égyptiens. Des perspectives rentables s’ouvraient parallèlement aux spéculateurs. « Notre prochaine affaire sera sans doute l’Égypte », s’est d’ailleurs réjoui un financier britannique.
Pour la majorité des 106 millions d’Égyptiens, en revanche, la note sera salée. Tandis que les deux tiers d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, l’austérité exigée par les financiers en échange de ce nouveau prêt, qui permet tout juste à l’État égyptien de régler les intérêts de sa dette, va aggraver brutalement les conditions de vie. L’inflation officielle était déjà en janvier de 35 %, entraînant une nouvelle hausse des prix, alimentaires en particulier. Pour une famille disposant chaque mois de deux salaires minimum, soit environ 10 000 LE au total (180 euros), il est difficile, dit un témoin, de s’alimenter correctement. L’augmentation de ce salaire minimum, récemment décidée par al-Sissi devant le mécontentement grandissant, est déjà avalée par l’inflation et la dévaluation de la livre lui porte un rude coup. Les privatisations exigées par le plan du FMI ne pourront qu’aggraver les choses.
L’économie du pays souffre depuis ces dernières années : la pandémie de Covid a occasionné une baisse de la fréquentation des touristes, à nouveau tarie par la désertion de ceux de Russie et d’Ukraine. Les importations de blé ukrainien ont dû cesser, alors que l’Égypte en dépendait grandement pour nourrir sa population, et doit donc se fournir à un tarif bien plus élevé. L’autre guerre, celle entretenue par Israël contre Gaza et les Palestiniens, pèse elle aussi, notamment en ayant occasionné en trois mois 50 % de baisse des droits de passage du canal de Suez, suite aux menaces des Houthis sur certains navires.
Alors que tout concourt à appauvrir les classes populaires, le pouvoir mène grand train, en avançant des projets pharaoniques sans intérêt pour elles. Ainsi le projet de nouvelle capitale administrative – ironiquement appelée Sissi-City – qui doit sortir des sables à l’est du Caire a-t-il déjà englouti 60 milliards de dollars dans sa première phase, encore inachevée. « Si le prix du progrès et de la prospérité du pays doit nous priver d’eau ou de nourriture, alors nous aurons soif et nous aurons faim », disait à ce propos Sissi en septembre dernier, devant une assemblée de responsables politiques et d’hommes d’affaires égyptiens.
Le pouvoir égyptien a cherché à combler le trou de son budget en vendant des terres convoitées par les riches États du Golfe pour y développer des projets touristiques de luxe, alliant immobilier très haut-de-gamme et activités de loisirs pour riches. Cela a été le cas, en 2017, des îles de Tiran et Sanafir, situées à l’entrée du golfe d’Aqaba, cédées à l’Arabie saoudite en dépit des manifestations d’une partie de la population égyptienne. C’est à nouveau ce qui s’est produit, fin février, quand un fonds souverain émirati a signé pour un projet similaire, à Ras el-Hekma cette fois, à l’ouest d’Alexandrie, au prix de 11 milliards de dollars. Contrairement aux déclarations de Sissi, ces projets de luxe rapporteront sans doute largement aux émirs du Golfe et à leurs banques, mais aucun emploi ne sera créé pour les travailleurs égyptiens. Au contraire, les habitants des localités concernées ont déjà commencé à être expulsés.
Enfin, à la suite de la visite au Caire le 17 mars de la présidente de la Commission européenne Von der Leyen et d’autres dirigeants, dont la Première ministre italienne Meloni et le chef du gouvernement grec Mitsotakis, un accord de « partenariat stratégique global » a été signé. En échange de 7,4 milliards d’euros, ils ont obtenu d’al-Sissi un engagement sur les « questions migratoires », comme ils l’avaient tenté en juillet dernier avec le président tunisien. Al-Sissi ferait donc donner sa police pour empêcher quelques-uns des 9 millions de réfugiés qu’il prétend dénombrer en Égypte de partir vers l’Europe.
Face au mécontentement populaire, l’arsenal répressif déployé par le pouvoir contre la moindre opposition n’aura cependant pas empêché des revendications ouvrières de surgir et de se faire entendre par la grève, comme récemment dans les usines textiles de la zone industrielle de Mahalla el-Koubra.