Argentine : Un tortionnaire en jugement, 26 ans après23/12/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/12/une2160.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Un tortionnaire en jugement, 26 ans après

Vingt-six ans après la fin de la dictature militaire (1976-1983), se déroule à Buenos Aires le procès d'une vingtaine de tortionnaires de l'armée, accusés d'avoir assassiné quelques-unes des 30 000 victimes de la guerre menée par cette dictature contre l'opposition politique et le mouvement ouvrier. La vedette est tenue par Alfredo Astiz, ex-capitaine de 58 ans, surtout connu en France pour l'assassinat de deux religieuses françaises, et qui s'est toujours fait gloire de ses méfaits.

À la chute de la dictature, le président Alfonsin (1983-1989) assura une transition en douceur, en ménageant l'armée. Malgré les protestations de tous ceux qui avaient eu à souffrir du régime militaire, il fit adopter deux lois, dites du « point final » et du « devoir d'obéissance », qui assuraient l'impunité aux tortionnaires sous prétexte qu'ils n'auraient fait qu'obéir aux ordres.

Par la suite, les seuls cadres de l'armée, dont certains dirigeants de la junte, qui furent condamnés, en général aux arrêts de rigueur à domicile, le furent parce que les lois d'amnistie avaient omis la question des enlèvements des enfants de militants assassinés, qui avaient été adoptés par des militaires en mal de progéniture.

Bourreau subalterne, Astiz n'a jamais été condamné dans son pays, malgré des déclarations telles que : « J'ai été formé pour tuer des opposants politiques et des journalistes. » En 1986, tout juste relâché par les Anglais auxquels il s'était rendu pendant la guerre des Malouines, le lieutenant Astiz fut acquitté par un tribunal militaire « faute de preuves ». Promu capitaine par Alfonsin, il comparaissait l'année suivante devant un tribunal civil lorsqu'une loi d'amnistie le fit libérer. En 1998 l'armée, gênée par ses vantardises, lui infligea deux mois d'arrêts pour « apologie de crime ». En 2003 il faisait partie de la trentaine de tortionnaires qui devaient être extradés vers l'Espagne, quand le gouvernement espagnol annula sa demande d'extradition. La France et l'Italie l'ont condamné à la réclusion perpétuelle... par contumace, faute de convention d'extradition avec l'Argentine.

Les lois d'impunité ont été abrogées en 2003, mais il fallut attendre encore deux ans pour que la Cour suprême les annule. La première condamnation d'un tortionnaire n'a donc eu lieu qu'en août 2006.

Astiz infiltra le mouvement des Mères de la Place de Mai, ces mères de militants assassinés qui eurent le courage, pendant la dictature, d'interpeller la junte sur le sort de leurs enfants. Il est responsable de l'assassinat de la première dirigeante de ce mouvement, Azucena Villaflor. Le procès sera aussi celui de l'Esma, cette école militaire au coeur de Buenos Aires où furent emprisonnés, torturés et assassinés quelque 5 000 opposants. En fait d'exécution, ceux-ci étaient drogués puis jetés depuis des avions dans le Rio de la Plata. À côté des salles de torture et des logements des tortionnaires, l'Esma avait aussi prévu des pouponnières pour recueillir les enfants mis au monde par les opposantes avant leur assassinat.

Peut-être Astiz sera-t-il condamné. Près de trente ans après les faits, quand tous les responsables en chefs sont morts ou à la retraite, il ferait un bouc émissaire idéal pour les crimes de la dictature dont il a été un exécutant zélé et un apologiste indécent. Mais resteront oubliés ces responsables de la bourgeoisie et de l'appareil d'État qui ont fait en 1976 le choix d'une dictature militaire sanguinaire pour écraser impitoyablement l'opposition et les militants de la classe ouvrière.

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