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Leur société
Euthanasie : Un problème d’humanité… et des pressions réactionnaires
Vincent était paralysé, sourd, muet, nourri par une perfusion se déversant dans son estomac, totalement impotent mais... conscient. «J'ai repris ma tête, mais je n'ai plus que cela, je n'ai plus que ma liberté de penser». Il n'a pu exprimer cela que grâce à la possibilité qui lui restait de bouger un pouce. Sa mère lui récitait l'alphabet et il lui pressait la main lorsque la lettre était la bonne. «Une vie de merde» a-t-il pu ainsi exprimer, celle d'un «mort vivant».
En décembre 2002, Vincent écrivait à Chirac: «Vous avez le droit de grâce et moi, je vous demande le droit de mourir». Il recevait en réponse la compassion du président de la République assortie de la promesse de l'aider à mieux supporter sa douleur. Il a donc fallu que ce soit sa mère qui abrège son calvaire, en injectant dans la tubulure de sa perfusion une forte dose de somnifère. Sauf que Vincent a survécu. Il est retombé dans le coma, et les médecins ont finalement décidé de débrancher les appareils qui le maintenaient en vie.
En France, l'euthanasie, c'est-à-dire l'acte délibéré de donner la mort à un malade incurable pour abréger ses souffrances, est considérée comme un crime. Lorsqu'elle est «active», comme l'a pratiquée la mère, l'euthanasie est considérée comme un homicide volontaire et passible de la perpétuité, quand elle est «passive», comme l'a finalement fait l'équipe médicale, elle est assimilée à une non-assistance à personne en danger et passible de cinq ans de prison.
Dans les faits, les cours d'assises n'appliquent pas ces peines. La presse a rappelé le cas d'un ancien policier qui s'est servi de son arme pour abréger, à sa demande, les souffrances de sa femme atteinte de la maladie d'Alzheimer, et qui a été condamné à deux ans de prison avec sursis. Une étude publiée en 2001 conclut que plus de la moitié des décès dans les services de réanimation sont liés à une décision médicale de limiter ou d'arrêter les soins. Tout le monde sait que l'euthanasie -active ou passive- existe. C'est l'hypocrisie qui règne.
Le problème se pose donc de trouver des solutions humaines. Elles ne peuvent reposer uniquement sur le corps médical. On ne peut pas le laisser seul trancher à partir de quel moment la déchéance et les souffrances d'un malade incurable sont intolérables. Pour cela, il faudrait un système de santé qui ne soit pas soumis aux pressions de l'argent et de la rentabilité, avec un personnel médical en nombre suffisant pour avoir réellement du temps à consacrer aux malades, à les écouter et à les accompagner moralement. Et on ne peut pas plus faire reposer la décision uniquement sur la famille parce qu'on sait que les relations familiales, et les relations sociales en général, peuvent être perturbées par tout autre chose que l'intérêt du malade.
Même dans le cadre du système actuel, une loi pourrait répondre au problème, à condition qu'elle comporte le maximum de garde-fous pour un choix aussi grave. Il faudrait que la décision de donner la mort soit arrêtée à l'hôpital, que les médecins jugent du caractère incurable de la maladie, du fait que le décès est inéluctable et les souffrances intolérables, que le patient manifeste le désir de mourir et que tout le personnel soignant, notamment les infirmières et aides-soignantes qui sont généralement les plus proches des malades, soit associé à la décision. Quand le malade possède encore l'autonomie requise pour se donner lui-même la mort, on pourrait l'aider à le faire. Et quand il ne dispose plus de cette autonomie, il faudrait associer, avec le maximum de précautions, de contrôles et d'humanité, la famille et les proches. Des lois de ce genre existent aujourd'hui en Belgique et aux Pays-Bas.
À la lettre de Vincent, Chirac avait répondu: «Je ne puis vous apporter ce que vous demandez, car le président de la République n'a pas ce droit.» Aujourd'hui Raffarin déclare: «La vie n'appartient pas aux politiques. On ne peut pas gouverner ou légiférer pour des situations si spécifiques.» Quant à Sarkozy, il affirme: «Reconnaître le droit d'abréger la vie d'une personne, on imagine à peu près où ça commence, on voit mal où ça s'arrête». Ils se dérobent.
Ils se dérobent car ils subissent la pression des religieux -catholiques, protestants, musulmans ou juifs- qui prétendent que la vie est l'oeuvre des dieux qu'ils ont inventés. C'est avec de tels arguments que l'Église catholique s'est opposée à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse. Il n'y a pas si longtemps, c'est sous cette pression que, quand des curetages devaient être pratiqués après des fausses couches provoquées, c'était «à vif» afin que les femmes coupables paient leur faute! Il en fut même pour s'opposer à l'accouchement sans douleur sous le prétexte du «Tu enfanteras dans la douleur» de la Bible, si cher aux dévots.
Il y a à peine plus de trente ans, quand les femmes ont imposé la loi qui leur permet aujourd'hui de mettre au monde un enfant quand elles le choisissent, quand elles le désirent, elles ont, un peu, fait reculer l'obscurantisme des religions. Mais il reste à celui-ci bien des brèches par lesquelles s'engouffrer.