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Dans le monde
Grande-Bretagne : Blair et sa politique censurés par la rue
Les dizaines de milliers de manifestants (entre 60 et 100000) qui ont défilé dans les rues de Londres, le 27 septembre, contre l'occupation impérialiste de l'Irak, ont marqué l'ouverture du congrès annuel du Parti Travailliste d'une façon dont Blair se serait bien passé. Car, à la différence de ce congrès auquel les manoeuvres de l'appareil travailliste n'ont même pas laissé la possibilité d'exprimer son opposition à la sale guerre menée par Blair, la manifestation de Londres a démontré sans ambiguïté le mécontentement du monde du travail à l'égard de la politique de Blair, et pas seulement en ce qui concerne l'Irak.
En effet, fait significatif, contrairement aux précédentes manifestations antiguerre qu'a connues Londres, où dominait la petite bourgeoisie libérale, cette fois un grand nombre de participants venaient de milieux populaires bien plus modestes. Les placards arborant l'inscription «Blair menteur» (en anglais, «Bliar») pour dénoncer les mensonges de Blair à propos de l'Irak et de ses prétendues «armes de destruction massive», étaient sans doute omniprésents. Mais on pouvait également voir de très nombreuses pancartes manuscrites contre le rôle de Blair dans la dégradation de la santé, de l'éducation et des services publics en général, ou encore dans le vol qualifié dont sont victimes des centaines de milliers de travailleurs spoliés de tout ou partie de leurs retraites complémentaires par une législation taillée sur mesure pour le patronat.
Rien de tout cela ne filtrera sans doute dans la grand-messe du congrès travailliste. Tous les sondages ont beau indiquer que, dans leur grande majorité, les membres du parti sont mécontents de la politique de Blair dans pratiquement tous les domaines, ils n'auront sans doute pas l'occasion de se faire entendre, pas plus cette année que les années précédentes. Et si, malgré tout, une motion hostile au gouvernement parvient à tourner les contre-feux de l'appareil, elle ira rejoindre tant d'autres motions du même type dans les poubelles, sans que cela ne change en rien la politique de la direction travailliste.
Pour autant, la situation de Blair n'en reste pas moins difficile. Son adresse au congrès, le 30 septembre, a beau lui avoir valu sept minutes d'ovation à en croire le communiqué officiel, son discrédit dans l'électorat populaire n'en pose pas moins un problème à la machine travailliste qui craint sérieusement les perspectives électorales. Tous les sondages contribuent à alimenter ces craintes, sans parler de la déroute enregistrée lors de l'élection législative partielle de Brent-East, à la mi-septembre, un bastion travailliste traditionnel londonien, où le score du parti est tombé à 39%, contre 63% en 2001. Malgré ces craintes, il n'est pas question pour autant d'ouvrir la porte à une contestation remettant si peu que ce soit en cause la direction générale de la politique du parti. Tout au plus peut-on envisager un changement d'emballage.
Ces craintes ont déjà pris une forme explicite lors du congrès de la centrale syndicale TUC, au début septembre, lorsque des leaders syndicaux, dont celui du puissant syndicat des transports T&GWU, ont rendu public leur désir de voir Blair quitter la direction du parti (et donc le gouvernement) dans un avenir plus ou moins proche. Et bien que les appareils syndicaux ne fassent pas la pluie et le beau temps dans le parti, ils y pèsent d'un poids important, au moins comparable à celui des appareils municipaux qui, eux aussi, pour les raisons électorales que l'on peut imaginer, voudraient bien que le parti redore son blason d'une façon ou d'une autre, et de préférence avant les municipales de mai prochain.
Tous ces courants plus ou moins souterrains suscitent l'émergence de bien des vocations. D'anciens ministres de Blair, ayant quitté la barque de son gouvernement assez tôt pour prétendre aujourd'hui au titre de «rebelles», se posent, sinon en candidats, du moins en bras droits possibles pour un candidat qui pourrait avoir une chance. Quant à de tels candidats, le seul qui semble émerger du lot, pour l'instant, poussé plus ou moins ouvertement par les appareils syndicaux, serait Gordon Brown, l'ancien adversaire de Blair lors de son élection à la direction du parti en 1994, et son ministre des Finances depuis son arrivée au pouvoir en 1997.
Le «changement radical» au sein du Parti Travailliste et du gouvernement, dont certains bureaucrates syndicaux se disent les champions aujourd'hui, consisterait donc à remplacer Blair par celui qui applique sa politique depuis six ans -précisément cette politique faite de brutalité criminelle envers les pauvres et de complaisance envers les riches contre laquelle nombre des manifestants de Londres avaient tenu à s'exprimer en descendant dans la rue le 27 septembre. Autant dire que, avec ou sans Blair, les travailleurs britanniques n'ont pas fini d'avoir à descendre dans la rue s'ils veulent faire entendre leur voix!