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Italie : Les rues dans le noir, pour des raisons obscures
C'est un black-out spectaculaire qui a frappé l'Italie dans la nuit du 27 au 28 septembre: en quelques secondes, c'est toute la fourniture d'électricité, dans tout le pays, du Val d'Aoste à la Sicile, qui a été interrompue - à la seule exception de la Sardaigne qui fonctionnait en circuit fermé.
Il a fallu ensuite de longues heures pour rétablir le courant, une région après l'autre, tandis que les villes étaient plongées dans le noir total et que dans les gares et les stations, où métros et trains étaient bloqués, les voyageurs s'installaient dans l'attente.
Le courant rétabli, la polémique s'est installée quant aux causes d'une telle catastrophe. Celle-ci s'est produite peu après trois heures du matin. Tous les monuments de Rome avaient beau être illuminés pour une «nuit blanche» malencontreusement interrompue, la consommation électrique à cette heure-là n'en était pas moins au plus bas, et l'événement confirme en tout cas la fragilité du système électrique. Durant tout l'été, la presse avait d'ailleurs lancé l'alarme autour d'un risque de «black-out», notamment au moment où, du fait de la canicule, la consommation d'électricité du pays s'emballait.
On connaît maintenant à peu près le déroulement des faits: une ligne à haute tension servant à amener le courant depuis la Suisse s'est rompue puis, l'interruption ayant amené une surcharge sur les lignes amenant le courant depuis la France, ces lignes ont été mises hors tension.
Or à cette heure, l'Italie importait 30% de son courant électrique, profitant des prix bas des tranches de consommation nocturnes négociées avec ses voisins. La diminution soudaine de 30% des ressources aurait nécessité de remettre en route très rapidement les centrales italiennes pour faire face. Difficulté réelle ou manque de réactivité, toujours est-il que l'autorité qui gère le réseau italien, le GRTN, ne l'a pas fait à temps. Il n'a pas réussi à éviter le décrochage très rapide de tout le réseau.
Les ministres du gouvernement Berlusconi ont réagi en mettant en cause l'imprévoyance des gouvernements précédents et même le référendum par lequel, en 1987, une majorité d'électeurs s'était prononcée contre l'installation de centrales nucléaires. L'opposition, elle, répliquait que là n'est pas le problème puisque les centrales existantes en Italie étaient suffisantes pour fournir la puissance électrique venue soudainement à manquer.
Cependant, il n'est écrit nulle part que tout pays doit nécessairement construire suffisamment de centrales, y compris de centrales nucléaires, pour pouvoir se passer des fournitures des voisins. Si la France, par exemple, dispose de surcapacités qui lui permettent d'alimenter l'Italie voisine, pourquoi celle-ci devrait-elle à tout prix construire de son côté des centrales lui permettant de s'en passer? La gestion du réseau au niveau européen, avec la fourniture de courant d'un pays à l'autre en fonction des puissances installées et des besoins respectifs, qui ne sont pas les mêmes aux mêmes heures, peut être certainement plus rationnelle.
Mais visiblement on n'en est pas vraiment là. Le seul vecteur d'une telle gestion «européenne» de l'énergie est pour le moment, les lois du marché et la libéralisation du marché de l'électricité qui fait que les différents fournisseurs se vendent, s'achètent et se revendent, et parfois spéculent sur telle ou telle «tranche » de consommation dont le prix fluctue suivant la loi de l'offre et de la demande. Rien ne garantit, dans ces conditions, que les choix faits soient les plus rationnels du point de vue des besoins, des possibilités du réseau et de l'environnement. Les «black-out» du même genre intervenus, notamment aux États-Unis où la gestion de l'électricité est aux mains de capitaux privés, l'ont déjà démontré.
Dans le cas présent, suivant des experts italiens, l'événement met en lumière - si l'on peut dire-, non pas tant l'insuffisance des centrales que l'insuffisance des investissements et de l'entretien du réseau existant, géré à la petite semaine en fonction de la rentabilité à court terme. Le choix lui-même de se fournir à l'étranger faisait reposer la fourniture de 30% de la consommation italienne essentiellement sur quatre lignes à haute tension venant de France et de Suisse. Et si l'Europe a prévu la libéralisation du marché et même la possibilité pour un fournisseur finlandais de vendre de l'électricité à l'Espagne, elle n'a prévu ni les lignes ni l'autorité qui pourrait réguler de façon rationnelle un tel réseau européen.
Sans doute d'ailleurs, dans sa frénésie de libéralisation et de recours au marché, n'en est-elle tout simplement pas capable. Ce qui peut faire craindre dans l'avenir bien d'autres «black-out» à Rome ou à Berlin, à Paris ou à Londres; pour des raisons peut-être aussi obscures que l'étaient les rues de la capitale italienne lors de sa «nuit blanche».