Arabie saoudite : le prince, ses meurtres… et ses maîtres24/10/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/10/2621.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Arabie saoudite : le prince, ses meurtres… et ses maîtres

Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman dit MBS, est en mauvaise posture. Lui qui a lancé une intervention dévastatrice au Yémen, avec des milliers de morts et des dizaines de milliers de victimes, est pointé du doigt par les dirigeants européens et américains pour le meurtre d’un journaliste.

Quelle soudaine prise de conscience ! Ces représentants de commerce au service des industriels de l’armement n’ont évidemment pas plus de scrupules que leurs maîtres. Ils sont guidés par les intérêts économiques et stratégiques des grandes puissances qu’ils représentent, rien d’autre.

Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, chroniqueur au quotidien américain Washington Post, a été assassiné avec préméditation par un commando envoyé par MBS le 2 octobre dernier au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. C’est ce qu’a affirmé Erdogan, le chef d’État turc, devant son parlement mardi 23 octobre. Ce n’est évidemment pas par amour de la liberté d’expression qu’Erdogan a voulu faire la lumière sur cette affaire, lui qui avoue que « en Turquie, on peut mettre des journalistes en prison » même si « on ne les massacre pas et on ne démembre pas leurs corps, comme le font les Saoudiens ». Cet épisode s’inscrit dans les conflits qui opposent ces derniers temps les différentes puissances du Moyen-Orient entre elles d’une part, et à l’impérialisme américain d’autre part.

Les États-Unis, après avoir laissé l’Iran jouer un rôle central dans la guerre contre Daech, en Syrie et en Irak, ont opéré un revirement diplomatique pour empêcher l’Iran de sortir en position de force du conflit. Ils sont revenus vers l’Arabie saoudite, qu’ils n’avaient en fait jamais lâchée. Et peu de temps après son élection, Trump a dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien, annonçant de nouvelles sanctions commerciales radicales contre l’Iran.

Mettant ses menaces à exécution, il a bloqué les exportations vers ce pays en produits de première nécessité, faisant reculer brutalement le niveau de vie des couches populaires. Mais ces mesures ont aussi visé les alliés régionaux de l’Iran, comme la Turquie, qui craint désormais de ne plus pouvoir recevoir de gaz et de pétrole iraniens. Elles ont aussi visé les autres puissances impérialistes européennes qui avaient des échanges économiques avec l’Iran, auxquels elles ont dû officiellement mettre un terme. Et ce n’est que le début, car le 4 novembre 2018, doit débuter la seconde vague de sanctions économiques, avec notamment l’arrêt des exportations d’hydrocarbures.

Après des années de guerres et de bombardements, les chantiers de la reconstruction sont au cœur des tractations entre tous les protagonistes de la région. Il y a quelques jours, Trump a obligé le gouvernement irakien à passer commande pour 15 milliards de dollars de turbines à gaz auprès du géant américain General Electric alors que le contrat était en passe d’être signé avec le groupe allemand Siemens. Trump avait un argument de poids : si le gouvernement irakien obtempère, les États-Unis pourront accepter de laisser ouvert le gazoduc en provenance d’Iran qui alimente l’Irak.

Les États-Unis avaient soutenu jusque-là MBS dans toutes ses initiatives : ses coups de force en Arabie saoudite pour asseoir son autorité, ses initiatives guerrières au Yémen, ou encore le blocus de son rival voisin, le Qatar. Car le Qatar, partageant avec l’Iran un gigantesque gisement gazier offshore se trouvant à cheval sur les deux eaux territoriales, s’est trouvé de fait avoir des intérêts communs avec ce pays. Cette fois-ci, en assassinant d’une façon un peu trop visible un journaliste, employé qui plus est par un quotidien américain, le prince héritier saoudien est devenu difficile à défendre ouvertement et ses tuteurs américains sont contraints de le lâcher, au moins partiellement.

Comme a dit le président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat des États-Unis : « L’Arabie saoudite est un pays et MBS est une personne. Je suis prêt, à séparer les deux. » Cela ne remet en cause ni la stratégie des États-Unis, qui est une des sources majeures du chaos de la région, ni évidemment les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, qui sont une source de profits considérables pour tous les industriels de l’armement européens et américains.

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