Serbie : Le pouvoir de Milosevic et son opposition; quelles perspectives pour les classes populaires ?03/09/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/09/une-1625.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Serbie : Le pouvoir de Milosevic et son opposition; quelles perspectives pour les classes populaires ?

L'arrestation du général serbe Talic par le Tribunal pénal international (TPI) compte sans doute au nombre des pressions exercées par les dirigeants impérialistes sur le pouvoir de Belgrade depuis la fin de la guerre. Talic est un Serbe de Bosnie, inculpé pour sa responsabilité dans les crimes commis en Bosnie, mais il est le plus haut gradé sur lequel le TPI ait, jusqu'à présent, jugé bon de mettre la main.

Les pressions de la part des puissances impérialistes dans le sens d'une chute de Milosevic sont, on le voit, graduées. Il n'en reste pas moins que les dirigeants du monde impérialiste ont exclu la Serbie avec éclat de leur lancement d'un " pacte de stabilité " dans les Balkans, tant que Milosevic resterait au pouvoir. Clinton a répété : " La Serbie n'aura un futur que lorsque monsieur Milosevic et ses politiques seront relégués dans le passé ", en indiquant son intention de soutenir l'opposition démocratique, les syndicats et les médias indépendants en Serbie. Une commission du Sénat américain aurait, selon la presse, approuvé un projet de loi accordant une aide de 100 millions de dollars à l'opposition serbe.

Un interlocuteur incontournable devenu criminel de guerre

Que les dirigeants impérialistes souhaitent un départ de Milosevic du pouvoir, cela se conçoit, évidemment, du point de vue de leur image politique, à l'issue de la guerre de destruction qu'ils ont menée dans le cadre de l'Otan contre la Serbie. Ils ont remporté une victoire sur Belgrade au Kosovo, et ils peuvent mettre à leur crédit le retour rapide et massif des expulsés kosovars albanais dans leur province, indépendamment de la situation qui y règne. Mais l'éviction de Milosevic pourrait leur offrir un " plus " politique. Elle débloquerait en outre leurs relations avec la Serbie, et notamment les opportunités d'affaires liées à une " reconstruction " économique du pays qu'ils ont ravagé.

Mais les dirigeants occidentaux n'en sont apparemment pas pour autant à envisager d'éjecter Milosevic par la manière forte et à n'importe quel prix.

Il faut se rappeler que si, en mars dernier, ils ont décidé leur guerre, après avoir accepté ce même Milosevic comme interlocuteur pendant des années malgré les crimes commis en Croatie et en Bosnie, c'était essentiellement parce qu'ils voulaient mettre un terme à ses manifestations d'indépendance et d'indocilité, et assurer leur contrôle sur l'Etat serbe.

L'impérialisme a besoin d'un relais efficace et soumis dans la région. Efficace à travers une armée puissante, et on a vu que l'intervention militaire impérialiste n'a pas eu pour but de réduire à zéro l'armée serbe ; elle a, au contraire, soigneusement ménagé ses moyens et son avenir de gardien de l'ordre. Mais aussi un relais fiable et obéissant, dont l'imprévisibilité ne menace pas sans cesse de faire exploser les tensions et de déstabiliser les frontières établies.

Et c'est là que le bât blesse. Désirer le départ de Milosevic est une chose ; encore faut-il que se manifeste clairement un homme ou une équipe de remplacement, qui à la fois ait l'autorité nécessaire dans le pays, et montre la docilité voulue par les dirigeants occidentaux.

Le président italien Massimo d'Alema a clairement indiqué la nature du problème dans une tribune au Financial Times : " Nous devons faire en sorte que la population serbe et l'opposition dispersée comprennent bien que nous sommes prêts à offrir notre coopération et notre aide dès (qu'émergera) une alternative crédible et cohérente capable de ramener la Serbie au sein de l'Europe ". Une alternative " crédible et cohérente ", voilà ce qui, apparemment, fait justement défaut, ou a en tout cas des difficultés à émerger.

Quelle alternative " crédible et cohérente " ?

Depuis la fin de la guerre, plusieurs opposants à Milosevic se sont certes manifestés. Ils ont surtout montré leur inconsistance politique, outre leur division démobilisatrice pour la population, avec la concurrence entre les manifestations organisées dans une série de villes de province, comme avec les heurts publics entre en particulier Vuk Draskovic et Zoran Djindjic lors de la grande manifestation qui a rassemblé quelque 150 000 personnes à Belgrade le 19 août.

Le ras-le-bol, le mécontentement, pour ne pas dire la colère et le désespoir, sont pourtant très forts au sein des populations en Serbie : cela paraît incontestable au vu du nombre et de la persévérance de tous ceux qui protestent et manifestent, le plus souvent sous des banderoles " Slobo, va-t-en ! ".

Evidemment, cette contestation charrie des courants hétérogènes, parfois contradictoires : mouvement des soldats réclamant simplement le paiement de leurs soldes ; courant pacifiste, écoeuré de ces guerres successives où le régime a embarqué le pays ; lassitude devant la catastrophe matérielle et humaine causée par l'agression militaire de l'Otan ; aspirations sincères à la liberté d'expression, notamment au niveau des grands médias ; mais aussi courants nationalistes et ultra-nationalistes qui se considèrent humiliés et trahis par Milosevic dans leurs rêves d'une " Grande Serbie ", puisque le régime a enregistré une succession de défaites sur ce plan. La Krajina croate a été perdue, l'entité serbe de Bosnie reste dans le cadre d'une Bosnie " indépendante ". Et maintenant, pour eux, le comble : le Kosovo, cette province qui est au coeur du nationalisme serbe comme le " berceau de la Serbie ", est à son tour perdu... Sans oublier le séparatisme qui s'est fait plus fort au Monténégro...

Il y a là de quoi alimenter le courant ultra-nationaliste d'extrême droite, représenté dans le gouvernement du couple Milosevic notamment par le parti de Vojislav Seselj, renforcé depuis le début par l'intervention militaire impérialiste.

Par ailleurs, on ne peut pas qualifier d'opposants démocratiques les leaders les plus connus, Draskovic et Djindjic. Ils ont, l'un comme l'autre, un passé politique zigzaguant, de chantres actifs du nationalisme serbe, associés au pouvoir en fonction des périodes, pour se muer ensuite en opposants à la personne de Milosevic. Quelle est aujourd'hui leur crédibilité dans la population, il est difficile d'en juger. En tout cas, la perspective de faire tomber Milosevic qui est plus ou moins proposée par tous paraît peu favorable, puisque le Parlement fédéral est contrôlé par les partis de Milosevic et de sa femme, alliés à celui de Seselj.

Alors, l'alternative " crédible et cohérente " viendra peut-être du côté de l'armée. Un général s'est mis en avant. Ancien chef d'état-major, limogé en novembre 1998 parce qu'il était, paraît-il, contre l'intervention serbe au Kosovo, il a des états de service nationalistes incontestables : il fut le responsable du bombardement de Zadar, en Croatie, en 1991, ainsi que de la destruction, en 1992, en Bosnie, de la ville de Mostar, qu'il laissa en ruines - ce qui lui a d'ailleurs valu le titre de " chevalier de la Néretva " (la Néretva est la rivière qui traverse Mostar)...

Ce général, Momcilo Perisic, s'est déclaré prêt à " aider les forces démocratiques et patriotiques à surmonter la situation la plus pénible de l'histoire du peuple serbe ", précisant : " La direction de l'Etat doit être destituée par des moyens politiques et le peuple dirigé avec des programmes civiques et démocratiques ".

Quoi qu'il sorte de la période actuelle d'après-guerre, de réelles perspectives d'un avenir meilleur pour les masses populaires en Serbie ne peuvent, en tous les cas, venir d'aucun de ces secteurs d'opposition qui se manifestent actuellement.

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