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Bosnie : des calculs nationalistes à la guerre ?
Les menaces de guerre s’accumulent en Bosnie, vingt-six ans après les tueries qui firent 200 000 morts et deux millions de réfugiés dans ce qui était auparavant la Yougoslavie. Le dirigeant de l’entité serbe de Bosnie, Milorad Dodik, multiplie en effet les gestes montrant son intention de quitter celle-ci, au besoin par la force.
La Bosnie, sous sa forme actuelle, est le résultat des accords de Dayton conclus en novembre 1995 sous l’égide des États-Unis. Ce plan se voulant un plan de paix divisait le pays en entérinant la pratique de l’épuration ethnique, officiellement condamnée à l’époque par les grandes puissances mais en fait encouragée discrètement tout au long du conflit. Les dirigeants nationalistes serbes et croates, qui avaient déclenché la guerre pour asseoir leur pouvoir sur leurs fiefs respectifs, voyaient leurs États reconnus officiellement. La Bosnie était formellement maintenue en tant qu’État mais partagée en deux entités hostiles, la République serbe de Bosnie, dite Republika Srpska, et la Fédération croato-musulmane. Cette dernière elle-même n’était qu’une fiction, regroupant les peuples bosniaques et croates qui se combattaient la veille. Trois présidents, serbe, croate et bosniaque, étaient censés diriger le pays, doté d’une armée unitaire, sous la direction d’un haut représentant international aux pouvoir étendus choisi par les pays de la communauté européenne et rendant compte à l’ONU. Mais derrière ce rafistolage compliqué, les deux entités qu’étaient la République serbe et la Fédération croato-musulmane étaient plus liées aux États voisins de Serbie et de Croatie qu’au pouvoir central de Sarajevo, la capitale de la Bosnie.
Reproduisant l’engrenage qui avait mené à l’éclatement de la Yougoslavie et à la guerre qui s’en était suivie de 1992 à 1995, Milorad Dodik, l’élu serbe à la présidence de la Bosnie, menace aujourd’hui de mener la Republika Srpska vers une sécession de fait. La crise couvait depuis de longues années mais ce qui l’a ravivée a été la décision prise en juillet dernier par le haut-représentant international d’interdire toute glorification des criminels de guerre et tout déni du génocide de Srebrenica, l’épouvantable massacre perpétré par l’armée serbe. Dodik a exigé le retrait de cette décision, ainsi que de tous les décrets qui depuis 1995 ont quelque peu renforcé l’État fédéral. Il menace de faire sortir les soldats serbes de l’armée fédérale et de créer un État serbe. L’Assemblée nationale de la Republika Srpska a adopté vendredi 10 décembre des rapports préludant à la création d’institutions parallèles dans le domaine de la sécurité, de la défense et de la santé. Même si la Republika Srpska mène déjà dans bien des domaines une vie autonome, c’est un pas de plus vers la sécession, Dodik flattant le nationalisme serbe en vue des élections prévues en 2022.
La bombe à retardement qu’a laissée la politique impérialiste de démembrement de la Yougoslavie menace aujourd’hui d’éclater en Bosnie. Le risque est d’autant plus élevé que derrière ce conflit d’autres pays se sont positionnés. La Serbie soutient bien sûr Dodik, mais c’est également le cas de la Russie. La Croatie, elle, milite pour l’éclatement de la Fédération croato-musulmane et la création d’une entité purement croate, et donc appuie Dodik dans son rejet des institutions fédérales. Même si les peuples de la région veulent vivre en paix, les ambitions meurtrières de roitelets nationalistes et les calculs des grandes puissances peuvent encore une fois les mener à la guerre.