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Brésil : les victimes de l’agro-industrie
Le 19 juin, au Brésil, le président Michel Temer a mis son véto à deux textes réduisant de 6 000 km2 les zones préservées de la forêt amazonienne. Il ne s’agissait que de faire un coup médiatique, destiné à doper sa popularité, réduite à zéro par les scandales. Les textes en question reviendront en effet devant les députés… et aucune mesure ne sera prise pour protéger l’Amazonie de la déforestation, car cela nécessiterait de s’en prendre à de puissants intérêts privés.
La déforestation libère des terres pour les mines, les routes, les ports, les barrages hydroélectriques, et surtout pour la culture du soja, de la canne à sucre, et pour l’élevage extensif des bovins. Ce sont les secteurs de pointe de l’économie brésilienne, les champions de l’exportation, ceux que Lula qualifiait de héros. Les gouvernements du Parti des travailleurs, sous les présidences de Lula et de Dilma Rousseff, entre 2003 et 2016, ont tout fait pour les favoriser, et ce n’est pas l’actuel gouvernement de droite qui va rompre la tradition. L’actuel ministre de l’Agriculture appartient à la famille Maggi, le plus gros producteur mondial de soja.
L’agro-industrie veille d’ailleurs à ce que ses intérêts soient bien défendus à Brasilia. Elle a constitué un groupe « ruraliste » qui lui est tout dévoué : 40 % des parlementaires, qui manœuvrent comme un seul homme à la défense et à l’attaque. Ils sont en majorité de droite, mais comprennent aussi des élus du PC.
La déforestation avance donc chaque année et s’est accélérée depuis 2012. En 2016, elle a touché officiellement 8 000 km2, sans compter les coupes illégales et non répertoriées. Les juges sont d’une négligence complice. Quant aux policiers et aux militaires, leur premier mouvement est toujours de servir les puissants, les grands propriétaires, les industriels. Les gêneurs de l’agro-industrie sont des pauvres : petits paysans qui ne veulent pas céder leur lopin, syndicalistes militant pour les cultures vivrières ou contre l’esclavage dans les mines, les fermes, les exploitations forestières, mineurs indépendants, cueilleurs de caoutchouc ou indiens s’accrochant aux territoires que la loi leur reconnaît.
Les tueurs ne sont plus les contremaîtres et hommes de main traditionnels du fazendeiro. Ce sont de plus en plus des tueurs qui exécutent un contrat ou répondent à un appel d’offres, et disparaissent aussitôt leur prime empochée. Le dominicain français Burin des Rosiers valait 30 000 euros. La missionnaire américaine Dorothy Stang, abattue en février 2005, en valait 15 000. C’étaient des Occidentaux, appartenant à des Églises puissantes. La vie d’un indien, d’un paysan, d’un syndicaliste de base ne vaut que quelques centaines d’euros. Et le risque est à peu près nul : vingt ans après le massacre par la police de 19 membres du Mouvement des sans-terre à Eldorado do Carajas en 1996, les assassins courent toujours.
Il semble y avoir de plus en plus d’assassinats dans les conflits de la terre. L’Église catholique en a dénombré 36 depuis le mois de janvier. Le 24 mai encore, la police a assassiné dans le sud du Para dix paysans pauvres dont le seul tort était de contester un grand propriétaire.
Les gouvernants brésiliens et les grandes puissances se moquent bien que chaque année quelques dizaines de gêneurs soient éliminés et une partie de la forêt amazonienne rasée, du moment qu’on produit et qu’on exporte bois précieux, minerais, bois, sucre, alcool, bioéthanol, jus d’orange, tourteaux de soja, huile et viande de bœuf.