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Grande-Bretagne : des élections anticipées, pour faire l’unité avant le Brexit
En annonçant une élection anticipée pour le 8 juin, près de trois ans avant l’échéance prévue, la Première ministre conservatrice Theresa May aura incontestablement créé la surprise.
En effet, depuis son arrivée au pouvoir, May avait toujours affirmé que, bien que son parti ait été élu en 2015 sur la base du maintien du pays dans l’Union européenne (UE), le fait que 37 % des électeurs inscrits aient voté pour le Brexit en juin 2016 suffisait à lui donner le mandat dont elle avait besoin pour sortir de l’UE. Eh bien, il faut croire que les choses n’étaient finalement pas si simples.
Pour justifier cette élection anticipée, May a attaqué les partis qui, en exigeant un droit de regard sur le Brexit, menacent d’affaiblir la « nation » qui, selon elle, « fait désormais bloc » derrière son gouvernement face à l’UE. Elle bénéficie d’ailleurs du soutien enthousiaste de journaux de droite comme le Daily Mail qui titrait le lendemain : « Il faut en finir avec les saboteurs [du Brexit] ! » En tout cas, si May se pose en championne de ce qu’elle appelle « l’indépendance du Parlement » (vis-à-vis de l’UE, s’entend), elle exige qu’il cesse de faire preuve de la moindre indépendance vis-à-vis de sa propre politique.
Il est vrai que May a subi des attaques en règle de factions du Parti conservateur qui expriment les inquiétudes des milieux d’affaires face à la menace d’un Brexit dur. Au point d’ailleurs que, dans plusieurs votes, elle n’a dû son salut qu’au soutien des travaillistes, avant tout soucieux de ne pas être accusés d’ignorer ce qu’ils appellent, à l’instar de May, la « volonté du peuple ». Or le fait d’apparaître redevable à l’opposition est la pire des choses pour un gouvernement conservateur.
D’un autre côté, May est constamment obligée de redresser la barre face à la droite pro-Brexit de son parti qui, à force de provocations, menace ses négociations avec l’UE. On en a eu un aperçu lorsqu’un cacique de son parti, Michael Howard, a cru bon de claironner que May ne manquerait pas de suivre l’exemple de Thatcher lors de la guerre des Malouines, si jamais l’UE cherchait à toucher au statut de Gibraltar, ce rocher dérobé à l’Espagne il y a trois siècles, devenu aujourd’hui l’un des paradis fiscaux du capital britannique.
Du coup, avec cette élection anticipée, May compte faire d’une pierre deux coups. D’un côté, elle compte profiter de la très faible cote du leader travailliste Jeremy Corbyn dans les sondages, suite à la violente campagne que mènent contre lui tant la presse que l’appareil travailliste. Et, de l’autre, elle a d’ores et déjà entrepris de noyer ses députés les plus incontrôlables sous un flot de futurs nouveaux élus triés sur le volet.
Mais, en plus, May compte sans doute que cette élection lui permette de résoudre un autre problème, au moins aussi épineux. Car, contrairement à ses promesses, il est maintenant probable que les véritables négociations sur les relations commerciales entre la Grande-Bretagne et l’UE ne commencent pas avant la fin 2019, après la sortie officielle du pays de l’Union.
Cela implique deux années d’incertitude pour le patronat, que May pourra peut-être en partie calmer à coups de subventions, mais ce n’est pas sûr, et dans ce cas ce sont des centaines de milliers d’emplois qui seraient en jeu. Et puis, il y a également les dommages, estimés à quelque 60 milliards d’euros, que les dirigeants de l’UE réclament à la Grande-Bretagne pour sa rupture unilatérale de programmes d’investissement à long terme dont elle était partie prenante. Enfin, il y a l’inflation, dont on prévoit qu’elle dépassera les 4 % dès 2018.
Or, qu’il s’agisse des emplois, du coût des subsides au capital britannique et de la note à payer à l’UE, ou encore de l’inflation, c’est la population laborieuse qui va se voir présenter la note. Et si les prochaines élections initialement prévues pour mai 2020 avaient été maintenues, il est plus que probable que May et son parti auraient alors payé chèrement leur politique.
May peut donc penser avoir gagné trois années de répit pour son parti, jusqu’en 2023, et évité un désastre électoral.
Mais ce n’est pas le seul danger qui la guette. Car même si, aujourd’hui, une partie de la population laborieuse continue à avoir des illusions dans les mirages du Brexit et marchera peut-être dans son chantage à l’unité nationale, il viendra un moment où la corde cassera. Les travailleurs réaliseront alors à quel point ils ont été trompés par les surenchères démagogiques des champions du Brexit. Et ce jour-là, élections ou pas, c’est à la rue et à la puissance collective de la classe ouvrière que May et les siens auront affaire.