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Grande-Bretagne : L'affaire Murdoch Presse, argent, classe politique et raison d'État
Le scandale autour des pratiques de l'hebdomadaire News of the Word n'en finit plus d'occuper le devant de la scène politique britannique.
Le milliardaire américano-australien Rupert Murdoch, propriétaire de l'hebdomadaire, aura pourtant tout fait pour calmer le jeu. D'abord en fermant sans préavis l'hebdomadaire (laissant sur la paille 300 salariés qui n'y étaient pour rien), puis en renonçant à son rachat projeté de 61 % des parts du géant britannique de la télévision par satellite BSkyB, pour près de dix milliards d'euros, et enfin, cerise sur le gâteau, en tentant de calmer les marchés financiers par un rachat d'actions pour un montant de 3.3 milliards d'euros. Mais cette fois, l'argent n'aura pas suffi à éteindre l'incendie.
Après l'arrestation de quelques-uns des responsables de l'hebdomadaire, suivie de la démission du chef de la toute puissante Met, la police du grand Londres, on apprend maintenant la mort « inexpliquée » de Sean Hoare, le premier journaliste du News of the World à avoir dénoncé ces agissements. Ce dernier événement ne peut manquer de faire penser à la mort étrange de l'expert en armements David Kelly, après que celui-ci ait mis en doute les affirmations de Blair concernant les « armes de destruction massive de Saddam Hussein », à la veille de la guerre d'Irak.
Les pratiques douteuses de News of the World tiennent une place secondaire dans cette affaire. Bien des petits malins accrocs de technologie connaissent la faille de sécurité de certains portables qui permet d'en consulter à distance la messagerie lorsque celle-ci n'est pas protégée par un mot de passe. C'est de cette « astuce » dont se servaient couramment bien des journalistes - et pas seulement dans la presse à scandales - pour avoir accès aux messages conservés par leurs « cibles », célébrités ou inconnus propulsés par le hasard sous les feux de l'actualité.
La particularité de News of the World n'est même pas d'avoir alimenté des ragots, touchant parfois à l'ignoble, pour gonfler ses ventes. Toute la presse dite « populaire » en fait autant, y compris des organes bien plus importants comme les quotidiens The Sun, lui aussi propriété de Murdoch, ou le Daily Mail, fleuron populiste de la presse liée aux Conservateurs. Tout au plus peut-on dire que News of the World a érigé ces pratiques en une véritable industrie, épiant les messageries de milliers d'individus.
Mais surtout, News of the World avait bâti cette industrie du ragot sur tout un réseau de complicités achetées à coups de pots de vins dans les rangs de la police, jusqu'au plus haut niveau. Et cela pour une raison simple : vu la multiplicité des réseaux, seule la police disposait d'un accès centralisé aux numéros de portables des « cibles » choisies.
Là commence le rôle de la raison d'État dans ce scandale, avec la crainte de la classe politique de voir la police, pilier du pouvoir, éclaboussée par un scandale de corruption à grande échelle. C'est elle qui explique que, depuis 2003, date à laquelle la première preuve de cette corruption est apparue - et elle fut suivie de bien d'autres - les gouvernements travaillistes puis conservateurs aient donné leur bénédiction aux manouvres conjointes des appareils judiciaires et policiers pour enterrer, les unes après les autres, toutes les tentatives visant à mettre à jour cette corruption.
Il est vrai que pour les travaillistes, comme pour les partenaires de la coalition conservateurs-libéraux aujourd'hui au pouvoir, il y avait un autre enjeu de poids. Murdoch, en tant que propriétaire du News of the World et de deux des plus grands quotidiens du pays, était considéré comme un « faiseur de rois ». C'était lui qui avait jeté tout son poids derrière Blair dans sa marche vers le pouvoir, avant de changer de camp pour soutenir Cameron après le départ de Blair. Et aucun des grands partis ne tenait à se mettre à dos le plus important magnat de la presse mondiale, dont l'empire s'étend sur toute la planète et couvre tous les registres de la presse, des organes les plus respectables comme le Wall Street Journal aux plus populistes comme Fox TV aux États-Unis ou le Sun britannique.
Aujourd'hui, néanmoins, la boîte de Pandore est ouverte et le problème de la classe politique britannique est de limiter les dégâts autant que faire se peut. Et les leaders politiques qui s'étaient tous tenus dans une prudente réserve pendant si longtemps, voire avaient tout nié en bloc, font feu de tout bois aujourd'hui, en tentant de protéger l'appareil d'État du scandale.
Le leader travailliste Ed Milliband en est ainsi à réclamer le « démantèlement de l'empire Murdoch », ce qu'il peut d'autant plus facilement faire que Londres n'en a pas les pouvoirs. Le Premier ministre Cameron, lui, multiplie d'autant plus les poses indignées qu'il a fait l'erreur de s'entourer d'un certain nombre de conseillers issus tout droit de l'empire Murdoch. Mais tous deux se retrouvent d'accord pour stigmatiser la presse, cette presse qui a osé « inciter la police à la corruption », et pour exiger « un grand coup de balai » dans ce secteur pour le « moraliser ». Mais pas question de « coup de balai » dans la police.
Comme il se doit en pareil cas tout commencera par deux commissions d'enquêtes. L'une, « indépendante », sera chargée de la fameuse « moralisation » et rendra ses conclusions quand toute l'affaire sera oubliée. Et l'autre, chargée d'enquêter sur les « incitations à la corruption émanant de la presse », sera confiée... à la police.
Autant dire que, quoiqu'il arrive, la raison d'État prévaudra !