La Commune de Paris de 1871 : Pour la première fois, les travailleurs au pouvoir18/05/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/05/une-2233.gif.445x577_q85_box-0%2C12%2C166%2C228_crop_detail.png

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La Commune de Paris de 1871 : Pour la première fois, les travailleurs au pouvoir

Il y a 140 ans, pour la première fois dans l'histoire, les ouvriers parisiens se lançaient dans une expérience sans précédent. Dans un Paris soudain déserté par les bourgeois, leur armée, leur police, ils mirent en place leur propre pouvoir, un pouvoir incarnant leurs revendications, leurs aspirations. Même si elle resta limitée à Paris et ne dura que 72 jours, l'expérience de la Commune montra aux travailleurs du monde entier que les travailleurs ont la capacité de diriger une société débarrassée de l'exploitation. Elle fut « la forme enfin trouvée sous laquelle il est possible de réaliser l'émancipation du travail », comme le dit Karl Marx

DE LA CHUTE DU SECOND EMPIRE A LA COMMUNE

Le mécontentement qui couvait contre le régime du second Empire avait éclaté à la nouvelle de la défaite des armées de Napoléon III dans la guerre contre la Prusse, le 2 septembre 1870. La population parisienne imposa la déchéance de l'empereur et la proclamation de la République, le 4 septembre 1870. Elle accepta le gouvernement provisoire de défense nationale, pensant nécessaire de défendre avant tout la « patrie républicaine ». Mais elle ne comptait pas le laisser sans contrôle. Des comités de vigilance furent créés partout à l'initiative de militants ouvriers membres de l'Association internationale des travailleurs (AIT), créée en 1864. Le blocus, conséquence du siège de Paris par l'armée prussienne, provoqua chômage et famine, frappant durement surtout les classes populaires, les riches, eux, pouvant quitter la capitale. Ces sacrifices firent monter le mécontentement contre le gouvernement de défense nationale, qui ne tentait rien contre les Prussiens. Le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871, les travailleurs cherchèrent à le renverser et à s'emparer du pouvoir sans succès.

LE 18 MARS, LES TRAVAILLEURS PARISIENS AU POUVOIR

Le gouvernement trouvait cette classe ouvrière bien trop remuante. Elle avait des armes, ses canons achetés par souscription, et une armée, la garde nationale. Celle-ci s'était ouverte à tous les citoyens sans distinction sociale après les premiers revers militaires en août 1870. La fédération de la garde nationale avait de surcroît décidé de se réunir, de discuter les décisions et de choisir ses chefs, constituant ainsi une armée qui exprimait la volonté de la population ouvrière. Voilà qui ne s'était jamais vu, et qui était intolérable pour la bourgeoisie !

Les politiciens bourgeois, républicains comme monarchistes, savaient que tant que les ouvriers resteraient armés, la domination des classes possédantes se trouverait menacée. Thiers, un vieux politicien monarchiste, désigné chef du pouvoir exécutif par l'assemblée nouvellement élue le 8 février, installée d'abord à Bordeaux puis à Versailles, n'avait plus qu'une obsession : désarmer les ouvriers parisiens, ce qu'il tenta le 18 mars. Ce fut un échec. Tous les serviteurs zélés de la bourgeoisie prirent alors peur et s'enfuirent à Versailles avec ce qui leur restait d'armée, des soldats démoralisés, dont certains disaient haut et fort qu'ils n'iraient pas combattre leurs frères parisiens.

Le 18 mars, les ouvriers parisiens se retrouvèrent donc au pouvoir un peu par surprise.

UN ÉTAT DE TYPE NOUVEAU, LE PREMIER ÉTAT OUVRIER

Ce fut le Comité central de la garde nationale qui exerça le pouvoir jusqu'aux élections du 26 mars à la Commune. Même s'il y eut des erreurs, des illusions ou des incertitudes de la part des dirigeants de la Commune, ceux-ci réalisèrent quelque chose d'extraordinaire. La Commune qu'ils constituèrent ne fut pas un simple conseil municipal élu, mais un pouvoir auquel les larges masses participèrent.

Les membres de la Commune étaient pour la plupart des ouvriers (parmi ses 83 membres, on comptait ainsi trente-trois ouvriers, quatorze employés) ou des représentants reconnus de la classe ouvrière, tel le relieur Varlin, qui était militant de l'Internationale. Contrairement à ce qui se passe dans les parlements bourgeois, les Communards prenaient des décisions et les mettaient à exécution. « La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois », écrivit Karl Marx. L'ouvrier bijoutier Léo Frankel, membre de l'AIT et correspondant de Marx, disait : « Je n'ai accepté d'autre mandat que celui de défendre le prolétariat et quand une mesure est juste, je l'accepte, et je l'exécute sans m'occuper de consulter les patrons. »

Du haut en bas de l'échelle, ces élus de la Commune étaient responsables devant leurs électeurs, révocables et rémunérés par un salaire d'ouvrier.

L'armée permanente dissoute fut remplacée par le peuple en armes qui, avec la garde nationale, existait déjà dans les faits. Tous les fonctionnaires, y compris la police et les juges, étaient élus, responsables devant la population et révocables. « Des piliers traditionnels de l'État bourgeois, il ne restait rien », concluait Marx.

LES PREMIERES PIERRES D'UNE SOCIETE DIRIGEE PAR LES TRAVAILLEURS

Les travailleurs n'eurent que peu de temps, mais ils surent prendre des mesures montrant dans quel sens ils entendaient diriger la société. Ainsi, le 29 mars, la Commune décida la remise des loyers, car « il est juste que la propriété fasse sa part de sacrifices ». Le même jour, elle décida la suspension de la vente des biens placés en gage aux monts-de-piété, qui furent supprimés un mois plus tard. Le 12 avril, elle régla le problème des échéances commerciales en décidant leur échelonnement sur trois ans, ce qui lui rallia une grande partie de la petite bourgeoisie. Le 2 avril, fut décrétée la séparation de l'Église et de l'État, la suppression du budget des cultes et la transformation de tous les biens ecclésiastiques en propriété nationale. L'instruction fut proclamée obligatoire, gratuite et laïque. La Commune ouvrit à tous des bibliothèques, des musées, des théâtres.

C'est à la commission Travail et Échange que la Commune montra le plus clairement le caractère de classe de son pouvoir. Le décret du 16 avril prévoyait un inventaire et une remise en marche des ateliers abandonnés et donc leur remise dans les mains des travailleurs. Par le décret du 20 avril, elle interdisait le travail de nuit dans les boulangeries. Les patrons boulangers, particulièrement dans le IIIe arrondissement, tentèrent de saboter la mesure et d'en reculer l'application. Les pains fabriqués la nuit furent saisis et distribués aux nécessiteux. Le décret du 27 avril interdisait les amendes, et celles qui avaient été infligées par les patrons depuis le 18 mars devaient être restituées à l'ouvrier. Comme l'écrivait Marx : « La Commune a été la forme positive d'une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même. »

Mais pendant que les travailleurs parisiens « partaient à l'assaut du ciel », à Versailles, la bourgeoisie préparait la revanche. Jules Favre, un politicien républicain, déclarait : « Il faut combattre résolument l'émeute de cette tourbe impure. » Thiers reconstituait une armée avec l'aide de Bismarck qui, pour ce faire, avait libéré les soldats français prisonniers.

LA SEMAINE SANGLANTE

Le dimanche 21 mai, l'armée versaillaise entrait dans Paris. Malgré une résistance acharnée et héroïque à laquelle participa tout le peuple parisien, la Commune fut écrasée par l'armée versaillaise. Thiers avait déclaré devant l'Assemblée, sous les applaudissements de sa droite à sa gauche : « L'expiation sera complète. » Durant la semaine du 21 mai au 28 mai, la répression fut en effet féroce, à la mesure de la peur et de la haine des classes dirigeantes. Il y eut de 25 000 à 40 000 morts, 40 000 prisonniers ; 24 conseils de guerre fonctionnèrent pendant quatre ans pour les juger. 4 586 communards furent déportés.

La Commune était vaincue, mais pour des générations de militants, elle avait montré ce dont la classe ouvrière est capable. Karl Marx, qui vécut les événements et entretint des liens avec des communards militants de l'Internationale, la salua ainsi : « Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d'une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand coeur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l'histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, et toutes les prières de leurs prêtres n'arriveront pas à les en libérer. »[1]

Aline RETESSE

[1]La Guerre civile en France - Karl Marx - 30 mai 1871

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