il y a 80 ans

Janvier-février 1943 : les rafles du Vieux-Port de Marseille

Fin janvier 1943, les quartiers du Vieux-Port furent bouclés par l’armée allemande et la police française. En trois jours, ils organisèrent plusieurs rafles massives et évacuèrent plus de 20 000 habitants, avant de dynamiter les immeubles qu’ils occupaient.

Depuis le débarquement allié en Afrique du Nord en novembre 1942, les troupes allemandes occupaient Marseille. Après deux attentats le 3 janvier 1943, la ville fut placée en état de siège et le chef des SS, ­Himmler, ordonna de réduire ce qu’il appelait « le plus grand centre de criminalité du monde, dirigé par des milliers de personnes de race étrangère ». Cette opération, appelée Sultan, fut supervisée par Carl Oberg, représentant du Reich en France, en collaboration étroite avec René Bousquet, secrétaire général de la Police du régime de Vichy, tous deux venus à Marseille suivre sa réalisation.

Afin de « nettoyer les quartiers du Vieux-Port », 12 000 gardes mobiles, gendarmes et policiers, arrivés de Lyon, Toulouse et Paris, furent mobilisés aux côtés de l’armée allemande.

Le 22 janvier, la première rafle visa la communauté juive du quartier de l’Opéra, sur la rive sud du Vieux-Port, et s’étendit jusqu’à la Canebière et au quartier de la gare. Les contrôles effectués par des policiers français et des militaires allemands aboutirent à l’arrestation de 1 600 personnes, dont près de 800 Juifs, déportés au camp d’extermination de Sobibor, en Pologne.

Le lendemain, la rive nord était quadrillée à son tour et 600 nouvelles arrestations effectuées. Mais une opération plus vaste se préparait, les troupes allemandes encerclant totalement les quartiers anciens, dont le quartier Saint-Jean, dit « la petite Naples » car peuplé surtout de Napolitains.

Dans ces quartiers de pêcheurs, de travailleurs du port, de vendeuses, vivait toute une population ouvrière immigrée d’Europe ou d’Afrique. À l’antisémitisme s’ajoutaient la xénophobie et la haine anti­ouvrière.

Au matin du 24 janvier, des véhicules équipés de haut-parleurs sillonnèrent la cinquantaine de rues envahies par les policiers français et les soldats allemands, enjoignant à toute la population d’évacuer avec un bagage à main vers le quai, où les attendaient tramways et bus réquisitionnés pour les emmener vers la gare d’Arenc. De là, entassés dans des wagons à bestiaux, les habitants furent envoyés au camp désaffecté de Fréjus. Après avoir subi un nouveau tri, la majorité purent rentrer sur Marseille au bout d’une semaine, tandis que 800 d’entre eux furent déportés vers les camps allemands, dont celui d’Oranienburg-Sachsenhausen.

En trois jours de rafles, 40 000 personnes furent contrôlées, 6 000 arrêtées, dont 1 600 déportées, et 20 000 évacuées, dont 12 000 internées au camp de Fréjus.

Après l’évacuation de la totalité de leur population, les vieux quartiers de la rive nord du Vieux-Port furent entièrement détruits à l’explosif. À partir du 1er février 1943 et pendant plusieurs semaines, 1 500 immeubles furent dynamités et rasés, à l’exception de quelques monuments historiques, dont l’Hôtel-de-Ville.

Pour éliminer ce qu’il qualifiait de « porcherie de la France », le chef SS, Carl Oberg, put compter sur l’aide active du régime de Vichy. Le journal collaborationniste Le Petit Provençal écrivait pour justifier l’opération : « La propagande communiste s’était emparée de cette lèpre sociale. […] Croit-on que des enfants nombreux et sales pouvaient vivre dans une promiscuité fâcheuse et de tous les instants, sans être atteints moralement et même intellectuellement ? »

Plus que l’insalubrité, ce qui choquait ces défenseurs de l’ordre social, c’était la présence de nombreux étrangers, juifs ou non, de militants politiques, chassés par toutes les dictatures d’Europe et réfugiés à Marseille.

Selon des historiens, les autorités de Vichy en auraient profité pour raser les vieux quartiers, alors qu’un plan d’urbanisme et d’assainissement était envisagé par la municipalité. En chassant brutalement les pauvres du centre ancien, l’opération Sultan permit une véritable spoliation.

Quant à René Bousquet, responsable de bien d’autres crimes, dont la rafle du Vél-d’Hiv en juillet 1942, il fut acquitté après la guerre et put mener une carrière dans la banque, tout en maintenant des liens amicaux avec Mitterrand. Son assassinat en 1993 mit fin à une nouvelle instruction judiciaire ouverte près d’un demi-siècle après les faits.

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