Dans le monde

Liban : la population victime de l’État, des banques et des spéculateurs

Les journées de protestation se succèdent au Liban, marquées notamment par des barrages de routes, alors que le pays continue de s’enfoncer dans la crise, avec des conséquences dramatiques pour la population.

La livre a subi début mars une nouvelle dévaluation, franchissant le seuil symbolique de 10 000 livres libanaises (LL) pour un dollar. Cela aggrave la pauvreté, qui s’amplifie depuis plus d’un an.

Cette dévaluation est la conséquence de l’envol de la dette publique qui a été creusée par, d’un côté, le pillage des caisses par les clans politiques et affairistes qui gouvernent le pays depuis des années, et de l’autre par les banques prêteuses à qui la Banque du Liban versait des taux d’intérêt faramineux afin d’attirer les dollars nécessaires à la stabilité de la livre. Avec la perte de confiance dans la capacité du pays à rembourser sa dette, les capitaux cherchent désormais à se placer à l’étranger, provoquant une pénurie de dollars, y compris dans les réserves de la banque centrale.

Ainsi, après avoir été longtemps maintenue au taux de 1 507 LL pour un dollar, la livre a entamé dès fin 2019 une dévaluation rapide jusqu’à atteindre plus de 8 000 LL fin 2020. Cela a provoqué une envolée des prix dans ce pays dont l’économie ne peut fonctionner sans les importations. Pour limiter l’impact sur la population, la banque centrale a dû subventionner les produits essentiels, comme le blé, les carburants et les médicaments.

Les salaires, le plus souvent payés en livres libanaises, ont vu fondre leur valeur réelle. Le salaire minimum équivaut désormais à 70 dollars mensuels, contre 450 avant la crise. La solidarité et l’aide apportée par les associations caritatives parviennent de moins en moins à limiter la catastrophe qui frappe les familles les plus nécessiteuses. Ceux qui touchent leur salaire en dollars ne peuvent le retirer qu’en livres libanaises, au taux de change de 3 900 LL. Les banques gardent ainsi la main sur les dollars – et sur plus de la moitié de la valeur du salaire – afin de compenser la fuite des gros capitaux vers l’étranger. Les travailleurs immigrés ne peuvent plus transférer leur salaire pour nourrir leurs familles restées dans leurs pays d’origine, comme l’Éthiopie et le Bangladesh. La plupart ont d’ailleurs perdu leur emploi et ont été contraints à quitter le Liban.

L’augmentation des prix commence maintenant à toucher les produits subventionnés par la banque centrale. Le prix du pain a augmenté de 50 %, les autorités prétextant l’augmentation du prix des farines sur le marché mondial. D’autre part, les commerçants, après avoir touché la subvention, augmentent tout de même les prix, parfois avec la complicité des mêmes autorités. Certains détournent la marchandise pour la vendre à un meilleur prix dans d’autres pays, ou bien la stockent en prévision de la levée des subventions que la banque centrale fait planer devant l’épuisement progressif des réserves en devises. Devant la pénurie, des scènes de cohue et de bagarres dans les supermarchés pour se procurer des produits subventionnés ont été vues ces derniers jours. Au manque de place en réanimation dans les hôpitaux pour accueillir les malades du Covid-19, s’ajoute l’incapacité grandissante à payer les frais d’hospitalisation que les hôpitaux privés facturent aux malades.

En janvier, des protestations ont éclaté à Tripoli, la ville la plus pauvre du pays. Les manifestants ont fait le tour des maisons des responsables de la ville, dont le milliardaire et ex-Premier ministre Mikati. L’armée a été déployée pour les protéger et a tiré, faisant un mort et plus de 300 blessés parmi les manifestants. Cette répression a été complétée par l’arrestation de 35 personnes accusées de terrorisme, ce qui leur fait encourir la peine de mort.

La situation politique reste bloquée six mois après la démission du gouvernement suite à l’explosion meurtrière du port de Beyrouth, elle-même conséquence de la négligence des autorités. Rien n’a changé dans les pratiques des dirigeants politiques, dont les différents clans continuent leurs tractations pour se partager les sièges du futur gouvernement, comme cela a toujours été.

Les protestations continuent donc sous forme de coupures de route contre cettte situation qui voit la majorité de la population s’enfoncer dans la misère. Ce n’est pas seulement une classe politique corrompue qu’il faut abattre, c’est toute une bourgeoisie capitaliste de spéculateurs, de banquiers, de profiteurs.

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