Japon : la catastrophe de Fukushima10/03/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/03/2745.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a dix ans

Japon : la catastrophe de Fukushima

Le 11 mars 2011, le tsunami géant engendré par un tremblement de terre d’une magnitude élevée touchait la côte nord-est du Japon. La vague dévastait la région, provoquant la mort ou la disparition de 18 000 personnes. De plus, elle inondait la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, construite en bord de mer. Vingt-cinq ans après Tchernobyl, une nouvelle catastrophe nucléaire survenait.

Trois des quatre réacteurs nucléaires de Fukushima Daiichi fondaient, libérant de la matière radioactive dans le sous-sol et l’océan voisin. Des explosions répandaient des déchets radioactifs dans une vaste zone autour de la centrale. 160 000 habitants de la province de Fukushima devaient être évacués en urgence, laissant derrière eux toute une vie. Au traumatisme de cette évacuation qui provoqua 44 morts s’ajouta la crainte de développer des cancers à cause de l’irradiation.

Dix ans plus tard, une vaste zone, dans un rayon de 20 km autour de la centrale, demeure inhabitable en dépit des couches de terre et de végétation arasées mais laissées à l’abandon dans des sacs entassés un peu partout. Les réacteurs détruits restent dangereux et doivent être refroidis chaque jour. L’un des noyaux radioactifs, le tritium, ne pouvant être filtré, plus d’un million de m3 d’eau radioactive ont été accumulés depuis dix ans dans d’immenses citernes stockées sur place. Faute d’une autre solution, le gouvernement japonais s’apprête à rejeter cette eau dans l’océan Pacifique.

La centrale nucléaire de Fukushima, construite dans les années 1970, était exploitée par la société privée Tepco. Bien avant le séisme, de multiples rapports de l’autorité japonaise de sûreté nucléaire avaient révélé la présence de pièces défectueuses à changer d’urgence ainsi qu’un mur de protection trop bas pour résister aux tsunamis, auxquels le Japon est très exposé. Tepco n’avait jamais réalisé les travaux exigés mais avait fourni des rapports truqués à des autorités peu regardantes. La catastrophe de Fuku­shima était prévisible sinon annoncée.

Pendant et après la catastrophe, les mensonges et l’opacité de Tepco et de l’État ont perduré. Les dirigeants de Tepco ont tergiversé avant d’utiliser l’eau de mer pour refroidir les réacteurs, car cela les condamnait définitivement. Ils ont minimisé l’ampleur de la radioactivité, retardant les évacuations. Aujourd’hui encore, les données manquent sur la quantité de substances radioactives rejetées. Traînés devant les tribunaux par des victimes, les dirigeants de Tepco, liés par mille liens de complicité à l’appareil d’État et aux juges, ont repoussé les procès puis s’en sont sortis avec quelques excuses. Aucun n’a été condamné.

L’État qui a pris en charge l’indemnisation des victimes à la place de la compagnie. C’est encore l’État qui assume l’essentiel du coût exorbitant de la liquidation de la centrale. Dès 2012, il a injecté 8 milliards d’euros au capital de Tepco, quasi nationalisé pour sauver les bénéfices des actionnaires.

Pour les riverains victimes de la catastrophe, l’État japonais n’a eu que mépris. Ainsi l’Université de médecine de Fukushima minimise aujourd’hui les cas de cancers de la thyroïde chez les enfants, pourtant multipliés par dix selon certaines études, et met en doute leur lien avec l’accident. Là encore, les effets décalés dans le temps des radiations et la capacité de Tepco et du gouvernement à financer des études contradictoires, jouent contre la population. Dès avril 2011, l’État a relevé de 1 à 20 millisieverts par an, la dose de radioactivité supposée sans danger pour autoriser la réinstallation des évacués. Cette dose, référence pour les travailleurs du nucléaire, est tout d’un coup devenue valable pour des enfants en pleine croissance.

Ces changements de normes cachent une question d’argent. Quand les autorités décrètent qu’une ville est de nouveau habitable, elles suppriment les indemnités versées aux déplacés. Ceux qui refusent de revenir, inquiets pour leur famille, perdent toute aide. Selon les sources, entre 30 000 et 50 000 évacués ne sont pas rentrés et ne l’envisagent pas.

Le mépris est encore plus grand vis-à-vis des quelque 4 000 travailleurs qui luttent encore aujourd’hui pour sécuriser la centrale de Fukushima Daiichi.

Dans les premières années après la catastrophe, jusqu’à 9 000 ouvriers ont été chargés de déblayer des débris, construire des murs pour contenir la matière radioactive, arroser les réacteurs. Aux volontaires des premiers jours, souvent mus par l’intérêt collectif et la protection des habitants de la région, ont succédé des travailleurs précaires. Embauchés par des sous-traitants en cascade de Tepco, jusqu’à huit niveaux successifs, ils étaient sous-payés, parfois rackettés par des intermédiaires ou des sociétés de placement liés aux mafias. Mal protégés ou exposés à des doses supérieures aux normes, ils devaient en outre travailler sous de lourdes combinaisons y compris en plein été avec 40 °C à l’ombre.

Le chantier de Fuku­shima est devenu une source de profit pour les grandes sociétés du BTP japonais, Kajima Corp, Obayashi Corp et leurs sous-traitants mais aussi pour Tepco, pourtant responsable de la catastrophe.

La catastrophe de Fukushima a suscité colère et inquiétude dans le monde entier. Elle a donné des arguments à ceux qui militent contre l’usage de l’énergie nucléaire. Poussés par leur opinion publique, certains gouvernements, comme celui d’Angela Merkel en Allemagne, avaient dès avril 2011 annoncé l’arrêt, à des termes plus ou moins rapprochés, de leurs centrales nucléaires. En France, où la part du nucléaire dans la production d’électricité restait proche de 75 %, le gouvernement Sarkozy, se faisant le porte-parole d’EDF et de la filière nucléaire, commença par affirmer que les centrales étaient bien plus sûres en France qu’au Japon. C’était un grossier mensonge tant le recours à la sous-traitance, la course à la productivité, la réduction des effectifs et les économies dans la maintenance d’installations qui vieillissent, tout comme l’absence de transparence, valent aussi pour les centrales françaises. La forte présence de l’État au capital d’EDF devenue société privée ne change rien au fait que celle-ci est gérée comme n’importe quelle entreprise capitaliste. Il en est de même chez Orano, l’ancienne Areva, spécialisée dans le combustible nucléaire. Les déboires accumulés de l’EPR de Flamanville avec ses multiples malfaçons l’illustrent depuis plus de dix ans.

Pour autant, les dangers et les menaces ne sont pas d’abord ceux d’une technique. La récente panne géante d’électricité au Texas avec ses conséquences dramatiques pour des millions de gens ne doit rien au nucléaire mais tout au marché privé et à la loi du profit. Tant que toute la production, le bâtiment, le transport, dans l’énergie comme dans les autres domaines, seront entre les mains de capitalistes privés mus par le profit, la menace d’être empoisonné par l’air que l’on respire ou l’eau que l’on boit subsistera.

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