Janvier 1919 : la fondation du Parti communiste d’Allemagne09/01/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/01/2632.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Janvier 1919 : la fondation du Parti communiste d’Allemagne

Du 29 décembre au 1er janvier 1919, 112 délégués de tout le pays se réunissaient pour fonder le Parti communiste d’Allemagne (le KPD). Le noyau en était le groupe Spartakus qui, autour de Rosa Luxemburg, Franz Mehring, Leo Jogiches, Clara Zetkin et Karl Liebknecht, s’efforçait depuis le début de la guerre d’organiser un courant d’opposition à la guerre et à l’impérialisme.

Spartakus décidait de sa politique, éditait sa propre presse, mais était resté membre du Parti social-démocrate (SPD) dont la direction s’était ralliée à la guerre impérialiste en 1914. En 1917, le SPD excluait tout un courant pour opposition à la guerre, qui fondait le Parti social-démocrate indépendant (USPD). Les spartakistes décidèrent de le rejoindre. Ils n’avaient pourtant aucune illusion dans les chefs de l’USPD, dont le révisionniste Bernstein et le centriste Kautsky, qui ne souhaitaient la fin de la guerre que par peur d’une révolution. Mais beaucoup d’ouvriers continuaient à faire confiance aux sociaux-démocrates, et Spartakus voulait éviter de se couper complètement d’eux.

Un an plus tard, en novembre 1918, c’est donc sans parti, ni traditions communes, ni implantation, que les trois ou quatre mille militants révolutionnaires du pays allaient devoir affronter les débuts de la révolution allemande. Le KPD se constitua en décembre alors qu’une première phase de la révolution s’achevait, avec la chute de la monarchie et la mise en place de la Première république en Allemagne. La révolution avait été jusque-là essentiellement politique, son côté prolétarien s’affirmait par les conseils d’ouvriers et de soldats créés dès les premiers jours. Elle avait éclaté sous le signe de la fraternisation générale, de la joie, et dans un premier temps elle garda ce caractère, d’autant que ses adversaires ne s’y opposèrent pas frontalement, faisant mine d’accepter ses résultats.

Dès la conférence de fondation du KPD, Rosa Luxemburg souligna que la révolution ne faisait que commencer, et que pour une révolution socialiste, il fallait la volonté consciente des masses. Il s’agissait de gagner des couches toujours plus larges de la classe ouvrière, dans les grands centres industriels et dans tout le pays.

Même en période révolutionnaire, il fallait pour cela un peu de temps, et c’est ce qui allait le plus manquer au jeune parti. Il possédait des dirigeants connus et d’envergure, des militants de valeur mais peu nombreux et éparpillés. La fondation du KPD, indispensable à la prise du pouvoir par le prolétariat, arrivait très tard, alors que la révolution était là et que ses ennemis s’organisaient avec une grande longueur d’avance et la claire intention de l’écraser.

Dans le sillage de la révolution russe, la flamme révolutionnaire avait gagné toute l’Europe. L’espoir des révolutionnaires se portait particulièrement vers l’Allemagne en tant que pays le plus industrialisé d’Europe, où se trouvait la classe ouvrière la plus nombreuse et la mieux organisée.

De son côté l’impérialisme allemand, largement ébranlé et d’abord impuissant, possédait un énorme atout : les dirigeants sociaux-démocrates. Le haut commandement militaire, qui depuis 1914 les avait vus à l’œuvre, en fit sa planche de salut. C’est ainsi que le dirigeant du SPD, Ebert, fut nommé chancelier à l’instigation du commandement suprême de l’armée ! Entouré de ministres de son parti et de l’USPD, Ebert proclama que le gouvernement était « purement socialiste ». Il s’agissait pour eux de démobiliser en prétendant que la révolution était terminée, en un mot d’embrouiller les consciences, puis de réprimer.

Le SPD au service de la bourgeoisie

En réalité, policiers, juges, hauts fonctionnaires, tous restèrent en place, ce que l’écrivain Theodor Plivier résumait dans le titre Le Kaiser est parti, les généraux sont restés. Surtout, le pouvoir des capitalistes était à peine écorné.

Le SPD alliait méthodiquement ses préparatifs militaires à une campagne haineuse appelant à tuer les spartakistes. Car pour la bourgeoisie allemande, l’urgence était de mettre hors d’état de nuire les forces communistes en voie de regroupement et d’apprentissage politiques.

Dans ses discours, Ebert appelait Spartakus à « éviter la lutte fratricide », l’accusant de briser l’unité des socialistes et par là de « trahir, torpiller la révolution », pendant que dans les coulisses il se préparait à l’écraser. Les communistes mettaient un bémol à l’euphorie révolutionnaire, rappelant la politique du SPD pendant la guerre, mettant en doute sa sincérité révolutionnaire quand hier encore il se disait ennemi de la révolution. Dès le 10 novembre, en terrain hostile, Karl Liebknecht concluait ainsi un discours par un avertissement : « La contre-révolution est déjà en marche, elle est déjà en action, elle est au milieu de nous ! »

De fait, dès les premiers jours de la révolution de novembre 1918, la guerre civile contre la classe ouvrière avait été décidée et organisée. Le général Groener témoigna ainsi : « Nous [Ebert et moi] nous sommes alliés pour lutter contre le système du bolchevisme. [...] L’armée n’était pas en état de réprimer seule. Il fallait donc s’allier avec le SPD, qui possédait une influence sur les masses ouvrières. [...] Ebert était d’accord avec tout. » Un parti qui s’était acharné pendant des décennies à populariser le marxisme devenait le meilleur instrument de la contre-révolution.

La nécessité d’un parti communiste

La partie n’était pourtant pas gagnée pour les tenants de la répression. Le 8 décembre, un meeting spartakiste rassemblait déjà des dizaines de milliers de participants, se poursuivant en manifestation. Lorsque la réaction essaya de jeter l’armée contre eux, elle échoua. Les troupes qui se désagrégeaient dès leur retour en Allemagne fraternisèrent, commençant à écouter les communistes : elles se révélèrent inutilisables.

À Noël 1918 eut lieu le revers le plus sérieux pour le gouvernement, en conflit avec les marins qui, aux yeux des masses, incarnaient la révolution. Il voulut les disperser, lança ses troupes à l’assaut et commença à les bombarder en plein Berlin. Entendant cela, des foules affluèrent en renfort, avec femmes et enfants. Des femmes allèrent vers les soldats pour les convaincre de l’ignominie de ce qu’ils faisaient, et nombre de soldats se retournèrent, refusèrent de combattre, arrêtant même des officiers. La bataille fut sanglante, mais la révolution l’emporta. Et le discrédit du gouvernement social-démocrate montait d’un coup.

Chez les militants de Spartakus, ces événements accélérèrent la détermination à constituer d’urgence leur propre parti pour que celui-ci défende sans ambiguïté les conquêtes du prolétariat face aux trahisons social-démocrates. Il fallait planter le drapeau communiste pour faire face à tout ce qui allait suivre, en Allemagne comme dans le reste de l’Europe où la révolution frappait à la porte. Face à la contre-révolution, une course de vitesse était engagée.

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