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- Lutte ouvrière n°2551
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Leur société
Élus FN en terre ouvrière : la responsabilité de la gauche
Sur les huit élus FN au soir du 18 juin, quatre viennent du bassin minier du Pas-de-Calais, un de Denain, dans le Nord, où rougirent longtemps les hauts fourneaux. Tous ont donc été élus dans des villes synonymes de luttes ouvrières, de Courrières à Liévin, d’Avion à Nœux-les-Mines. C’est cela, plus que le résultat, qui a touché nombre de militants ouvriers du pays.
Dans cette région industrielle par excellence, des générations de militants ouvriers ont construit leurs organisations, gagné les municipalités une par une, imposé des concessions au patronat par des grèves nombreuses et dures, résisté à l’intervention de l’État contre les grévistes, de Courrières en 1906 jusqu’à Denain en 1979, dans l’ensemble du bassin lors des grèves de 1948 et 1962. Ces luttes ont fait que, depuis des dizaines d’années, PS et PC géraient la totalité de la vie sociale des travailleurs. Ils l’ont fait évidemment dans le cadre de l’économie capitaliste, ce qui ne dépendait pas d’eux, et sans jamais la contester, ce qui a précisément conduit à la situation présente.
En même temps que PS et PC envoyaient les enfants d’ouvriers en colonies de vacances, ouvraient bibliothèques et centres sociaux, permettaient aux travailleurs d’avoir des logements décents, ils détruisaient consciencieusement l’héritage politique du mouvement ouvrier. Le nationalisme a depuis longtemps remplacé l’internationalisme, d’abord au PS puis au PC. À la lutte de classe, on a substitué la prétendue lutte électorale puis, ouvertement, la lutte des places. Toujours et partout, PS puis PC ont fait valoir l’intérêt national, c’est-à-dire le fait de ranger les travailleurs derrière des intérêts et un drapeau qui ne sont pas les leurs. Ainsi, lorsque vint la crise qui toucha et touche encore le Nord et le Pas-de-Calais, les travailleurs étaient désarmés politiquement et moralement.
Dans un contexte d’abstention massive, dépassant depuis longtemps les 60 %, particulièrement dans les quartiers ouvriers, le Front national a pu développer son programme : derrière le drapeau tricolore, contre les migrants, pour les frontières, pour que « ça change » – libre à chacun d’imaginer ce qu’il veut derrière ce flou. Le FN est même parvenu à présenter et à faire élire un ancien responsable du PCF, José Evrard, prétendant évidemment défendre les travailleurs et la patrie. En 1986, il était candidat sur la liste « Pour la défense des intérêts du Pas-de-Calais », en 2015 sur la liste « Pour une région fière et enracinée ». La première était celle du PCF, la seconde celle du FN. Si on se fie aux intitulés, il est facile de passer de l’une à l’autre.
Depuis des dizaines d’années, les députés et autres grands élus de gauche, au niveau local, ont laissé faire tous les coups contre les travailleurs. À l’échelon national, la gauche gouvernementale les a organisés lors de ses passages au gouvernement, avec l’apothéose du gouvernement Hollande et de l’opération Macron. Cela a développé à son encontre un ressentiment proportionnel à la déception.
Pour l’instant, avant comme après l’élection, dans les larges couches de la population travailleuse ce sont le dégoût et l’indifférence, le repli sur soi et le refus de la politique qui dominent. Le vote FN y est encore minoritaire. Même parmi les travailleurs qui votent FN, ce choix n’est pas encore cristallisé en liens humains, comme ce fut le cas pour le vote pour les partis ouvriers.
La conscience des travailleurs se modifiera radicalement lorsque les tensions sociales conduiront à des explosions. On peut alors avec certitude prédire, d’une part, que le FN se posera en ennemi farouche des travailleurs, d’autre part, que les partis de la gauche faillie ne leur seront d’aucune utilité. Pour que ces explosions se transforment en combats conscients de la classe ouvrière, il faudra un parti révolutionnaire capable de lui proposer un programme.