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- Lutte ouvrière n°2191
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Il y a quatre-vingt-dix ans : Vote d'une loi scélérate contre les femmes
Le 31 juillet 1920, la très réactionnaire Chambre des députés, surnommée de ce fait « Chambre bleu horizon », votait par 500 voix contre 53 une loi qui réprimait « la provocation à l'avortement et la propagande anticonceptionnelle », sous peine de lourdes sanctions.
Il faudra plus de cinquante ans aux femmes, et bien des combats, pour que leur soit reconnu le droit de n'avoir des enfants que lorsqu'elles le désirent. La loi Neuwirth de 1967, du nom d'un député de droite, les autorisait enfin à avoir recours à des moyens contraceptifs. Encore les décrets d'application tardèrent-ils, puisqu'elle ne prit pleinement effet qu'en 1972. En 1975, la loi présentée par Simone Veil suspendait l'article 317 du Code pénal qui réprimait l'avortement, mais pour une durée de cinq ans seulement. Elle fut cependant confirmée par la suite.
Dans ce vingtième siècle qui se disait progressiste, dans un pays qui se proclamait moderne, démocratique, défenseur des droits de l'homme, les femmes durent se battre pour acquérir le droit élémentaire de disposer de leur corps. Et rien n'est acquis dans ce domaine, l'Église et les réactionnaires de tout poil ne désarmant pas pour les ramener à leur condition antérieure de dépendance.
UNE DROITE CLERICALE ET NATALISTE
L'avortement était déjà considéré comme un « crime » d'après l'article 317 du Code pénal de 1810 mis en place par Napoléon 1er, et réprimé comme tel. La loi de 1920 ne modifia pas cet article, mais punit en plus la « provocation à l'avortement » d'une peine de prison allant de six mois à trois ans et d'une amende comprise entre 100 et 3 000 francs ; la propagande anticonceptionnelle devint, elle, passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 5 000 francs et d'un à six mois de prison. Seul l'emploi du préservatif masculin restait autorisé, sous prétexte d'éviter les maladies vénériennes, laissant les hommes seuls maîtres du jeu dans la décision d'avoir des enfants ou pas.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui s'était traduite par une véritable hécatombe, l'ordre du jour était de « repeupler la France », afin d'avoir assez de « chair à canon » dans la perspective d'un nouveau conflit que la signature des traités de paix laissait présager. « Il faut que la France ait beaucoup d'enfants, sinon elle est perdue », disait Clemenceau en octobre 1919. Près de 1 400 000 personnes avaient été tuées en France durant le conflit, en majorité des hommes jeunes, alors que le pays connaissait déjà un retard démographique important, dû en grande partie à la période de guerre. Les politiciens réactionnaires alliés à l'Église, les mêmes qui avaient envoyé les soldats au massacre ou les avaient bénis, menèrent donc dans l'après-guerre une intense propagande nataliste qui aboutit au vote de cette loi scélérate.
De plus, pendant la guerre, un nombre important de femmes s'étaient mises à travailler pour remplacer les hommes partis au front. Pour tous les pères-lapins de la droite religieuse et bien-pensante, il était urgent de remettre à leur place les femmes qui commençaient à s'émanciper, c'est-à-dire au foyer, en les y attachant par une ribambelle d'enfants.
Mais ce n'était pas assez. Moins de trois ans plus tard, une nouvelle loi vint aggraver les sanctions. Depuis 1810, le fait d'avoir avorté ou pratiqué des avortements était qualifié de crime et passible de la cour d'assises. Or, presque systématiquement, les jurys d'assises avaient tendance à se montrer cléments et à acquitter les accusés, surtout les femmes qui avaient avorté. Le 27 mars 1923, le gouvernement fit voter par l'Assemblée une loi qui assimilait le crime à un délit. Les accusés comparaîtraient désormais devant un tribunal correctionnel, seraient jugés par un magistrat professionnel, plus sévère que les jurés.
Par rapport à l'article 317 de la loi de 1810, les sanctions contre les femmes ayant avorté ou les personnes ayant pratiqué des avortements furent alourdies. Et si ces dernières appartenaient à des métiers liés à la santé, elles pouvaient être interdites d'exercer.
DE 1923 A LA FIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Ces lois interdisant non seulement la contraception et l'avortement mais aussi toute propagande en leur faveur n'eurent aucun effet sur la démographie. Après une légère reprise des naissances dans l'immédiat après-guerre, le taux de natalité resta aux alentours de 2 %, tout juste de quoi assurer le renouvellement des générations. Malgré les sanctions accrues, les femmes décidées à ne plus avoir d'autre enfant continuèrent à avoir recours, avec plus ou moins d'échecs, à des moyens contraceptifs. Elles continuèrent aussi à avorter, clandestinement, avec tous les risques que cela pouvait comporter pour leur santé, voire leur vie. Il est évidemment impossible de chiffrer le nombre d'avortements, mais il fut estimé à plusieurs centaines de milliers par an. Tout comme il est impossible d'estimer l'angoisse d'avoir une grossesse inopportune et les drames liés à la naissance d'un enfant non voulu.
Lorsque le Front Populaire fut porté au pouvoir, il ne toucha pas aux lois de 1920 et 1923, les socialistes de la SFIO ne le firent pas, autant par mépris de la femme que par peur de choquer leur électorat. Quant au Parti Communiste, qui calquait son programme sur la politique de l'URSS stalinienne, il défendait depuis 1935 une politique résolument nataliste.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy, fidèle à sa devise « Travail, Famille, Patrie », durcit la législation contre l'avortement, faisant de celui-ci en 1942 un « crime contre la sûreté de l'État », passible de la peine de mort. Pendant toute l'Occupation, le nombre de condamnations à des années de prison ou de travaux forcés ne cesse d'augmenter. Le 30 juillet 1943, une blanchisseuse, accusée d'avoir pratiqué vingt-six avortements, fut guillotinée.
La loi de 1942 sera abrogée à la Libération, mais pas celles de 1920 et 1923. Il faudra bien des luttes, à partir des années soixante, pour qu'elles le soient enfin.