Russie-Ukraine : "Guerre du gaz", guéguerre politicienne à Kiev et relents de guerre froide21/01/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/01/une2112.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie-Ukraine : "Guerre du gaz", guéguerre politicienne à Kiev et relents de guerre froide

Démarrée le 1er janvier, avec l'interruption de la fourniture de gaz russe à l'Ukraine, principal pays par lequel il transite pour alimenter l'Europe centrale et occidentale, la nouvelle crise du gaz serait désormais " réglée ", à en croire la Première ministre ukrainienne, Ioulia Timochenko.

On a déjà entendu la même chose à l'issue de chacun des précédents bras-de-fer entre la Russie et l'Ukraine. Notamment début 2006, quand divers pays d'Europe centrale, qui dépendent du gaz russe pour leur approvisionnement énergétique, avaient dû se passer de chauffage en plein hiver. Cette fois-ci encore, après plus de deux semaines d'interruption de leur approvisionnement gazier, des pays comme la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie ont vu certaines de leurs entreprises cesser de fonctionner et leurs habitants devoir se passer de chauffage.

Après l'accord du 19 janvier, cela ne se reproduira plus ont déclaré en choeur Poutine et Timochenko, chefs respectivement des gouvernements de Russie et d'Ukraine. " Nous avons signé un contrat pour dix ans ", a déclaré Poutine. " Il n'y a ni vainqueur ni vaincu ", a répondu son homologue ukrainienne. Alors, oubliées les accusations de siphonner les gazoducs russes et de ne pas payer ses dettes que portait Moscou à l'encontre de Kiev ? Ou celle, retournée par Kiev à Moscou, de vouloir lui imposer des prix d'achat prohibitifs pour son gaz, tout en lui versant le moins possible de redevances pour avoir le droit de faire transiter ce même gaz (et le pétrole russe) par son territoire ? Sans oublier l'accusation réciproque d'être à l'origine de ce conflit et de prendre en otages les peuples d'Europe.

Au fil de cette " guerre du gaz " 2009, on a eu droit à un flot d'informations contradictoires, destinées aux opinions publiques et gouvernements des autres pays, ouest-européens en particulier avec pour but, comme toujours en pareil cas, de dissimuler les causes et enjeux d'un tel conflit.

Quand ce gaz était soviétique

On ne comprendrait pas grand-chose à cette crise si l'on oubliait que le réseau de gazoducs " russes " et " ukrainiens " a été élaboré comme un tout n'ayant pas à se soucier de frontières, en tout cas entre la Russie et l'Ukraine, car elles faisaient partie d'un même pays, l'Union soviétique. Et il n'était alors, bien sûr, pas question de facturer au prix fort le gaz soviétique, dont nul ne se souciait qu'il fût " russe ", aux habitants de l'Ukraine comme des autres républiques soviétiques.

Pendant des années, les exportations de ce gaz vers l'Europe centrale et occidentale ont ainsi pu avoir lieu sans ruptures d'approvisionnement provoquées dont auraient pâti les populations. Pour que cela se produise, il aura fallu que l'URSS s'effondre, qu'à la tête de chacune des républiques ex-soviétiques devenue État indépendant se hissent des cliques de bureaucrates défendant, bec et ongles, leurs intérêts contre ceux de leurs compères de " l'étranger proche ".

Une arme de l'État russe...

C'est ainsi que les dirigeants du Kremlin, qui ont rétabli le contrôle de leur État sur Gazprom, le numéro 1 mondial du gaz, en ont fait une de leurs principales sources de revenus et s'en servent comme d'une arme politique, pour tenter de maintenir dans leur giron certains des États issus de la décomposition de l'URSS.

De la sorte, en augmentant ses prix du gaz, la Russie a forcé la Biélorussie, pourtant réputée son alliée, à échanger la dette gazière dont elle ne pouvait s'acquitter contre la propriété des gazoducs situés sur son territoire. Même chose avec la Géorgie qui n'en finit pas de lorgner vers Bruxelles, et surtout Washington.

Mais avec l'Ukraine, bien plus peuplée et plus industrialisée que la Biélorussie ou la Géorgie, l'arme pétrolière s'est révélée à double tranchant. Chaque fois que Moscou l'a brandie pour faire pression sur les autorités ukrainiennes, celles-ci ont répliqué en ponctionnant le gaz russe, puis ont bloqué son transit en accusant Moscou de priver d'énergie le centre et l'ouest de l'Europe.

Accords entre amis et rivaux...

D'où la répétition des conflits gaziers entre Moscou et Kiev mais aussi, plus discrètement, la mise sur pied, par Kiev en 2003, de la société RosUkrEnergo comme intermédiaire entre le producteur russe Gazprom et le fournisseur ukrainien Naftogaz et reflet d'un certain équilibre dans le rapport de forces entre les bureaucraties russe et ukrainienne, sinon de leur connivence. Société de droit suisse, donc située en terrain neutre et surtout dans le plus grand paradis fiscal et financier européen, RosUkrEnergo fait transiter une grande partie des revenus tirés de la revente, en Occident, du gaz russe par les milieux dirigeants ukrainiens. Vers quels comptes off-shore de quels hauts dignitaires ukrainiens et russes, alliés en l'occurrence ? L'opacité du montage juridico-financier garantit leur tranquillité. Mais, on imagine ce qu'il en est quand on sait que le président ukrainien, Viktor Iouchtchenko, s'est institué le protecteur de fait de RusUkrEnergo. Ou que, de son premier passage au gouvernement ukrainien, il y a une dizaine d'années, l'actuelle Première ministre avait hérité le surnom de " princesse du gaz ", vu les sommes qu'elle brassait alors pour son compte et celui de ses alliés au pouvoir en trafiquant sur le gaz.

Des rivalités au sommet de l'État ukrainien...

À l'époque, Ioulia Timochenko était l'alliée du Premier ministre Iouchtchenko. Depuis, celui-ci a fait son chemin puisque, suite à la " révolution orange " de fin 2004, où tous deux étaient encore sur les mêmes tribunes, il est devenu président de l'Ukraine. Mais dans le même temps, ils se sont brouillés, Ioulia Timochenko visant sa place.

Cette rivalité entre les deux têtes de l'exécutif est l'un des ressorts de l'instabilité politique de l'État ukrainien depuis des années. Une instabilité qui a des causes profondes car, depuis l'effondrement de l'URSS fin 1991, les clans dirigeants ukrainiens ne cessent d'être tiraillés entre deux pôles. D'une part, un alignement ouvert sur l'Occident, dont le président Iouchtchenko se veut le héraut, mais sans que ledit Occident ait grand-chose à leur offrir, et d'autre part, faute de mieux, un compromis politique ménageant Moscou, dont le précédent président, Koutchma, fut un des tenants comme l'est l'actuelle Première ministre Timochenko.

... sur fond de pressions américaines

Bien sûr, le président pro-occidental Iouchtchenko a dénoncé l'accord sur le gaz entre Timochenko et Poutine comme " bradant l'intérêt national ", et ses proches ont accusé la Première ministre d'être " l'alliée du Kremlin ", voire de " trahison ". Cela rappelle la guerre russo-géorgienne d'août dernier pendant laquelle elle avait refusé de suivre " son " président dans son alignement sur la Géorgie et, derrière elle, sur l'impérialisme américain qui essaye de pousser ses pions, au détriment de la Russie, sur l'échiquier ex-soviétique.

Cette fois encore, tout se passe comme si certains milieux dirigeants américains avaient pu inciter la présidence ukrainienne à rechercher l'affrontement avec Moscou sur la question du gaz. À mots couverts, l'ambassadeur américain auprès de l'OTAN, Volker, l'a laissé entendre quand il a déclaré que la fermeture du robinet du gaz par l'Ukraine avait, outre des causes économiques, " aussi un sens politique plus profond ". En tout cas, à la différence de leurs homologues européens, les gouvernants américains n'ont pas à craindre les réactions que les mesures de rétorsion de Moscou pourraient provoquer dans des populations privées de chauffage au coeur de l'hiver.

Quant au président Iouchtchenko, en mauvaise posture à la veille de la remise en jeu de son mandat, il fait le pari qu'en évoquant le spectre de Moscou qui avance la main sur l'Ukraine et " ses " gazoducs, il pourra conforter sa position en ralliant le camp nationaliste, sinon des pans du camp " orange " de 2004.

Entre les grandes manoeuvres des États-Unis, les petites manoeuvres des politiciens ukrainiens et les tentatives de reprise en main de son " étranger proche " par Moscou, accord ou pas, on n'a sans doute pas assisté à la dernière " guerre du gaz " dans la région.

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