Ukraine : ça “se complique” pour Zelensky08/02/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/02/2845.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : ça “se complique” pour Zelensky

Évoquant les « difficultés » rencontrées par ses troupes face à celles du russe Poutine, le président ukrainien Zelensky a déclaré, lors d’une intervention télévisée, que la situation « se complique ». C’est une évidence sur le plan militaire, mais pas seulement.

En effet l’armée russe, qui avait dû reculer depuis l’été devant Kharkiv et abandonner Kherson, une capitale régionale conquise dès février 2022, recommence à gagner du terrain dans l’est et le sud du pays, malgré une résistance acharnée autour de Bakhmout, Kramatorsk, Vouhledar, Lyman, Zaporijia. Là, si l’on en croit certains reportages, des soldats ukrainiens se demandent à haute voix s’il vaut la peine de risquer sa vie dans des combats aux enjeux qu’ils jugent dérisoires. Ces soldats ou d’autres se plaignent aussi sur les réseaux sociaux des conditions que leur impose l’encadrement, ce dont font également état des femmes et des mères de combattants – un peu à la façon dont d’autres femmes, cette fois en Russie, se mobilisent contre la guerre de Poutine.

En Ukraine, ce mécontentement commence à poindre, tandis que le conflit s’enlise et que le pouvoir patauge dans d’immenses scandales de corruption. Alors qu’il se veut l’organisateur de la défense de la patrie agressée, l’opinion publique a appris que ses sommets ont profité des marchés destinés à l’armée pour se remplir les poches.

Au risque d’apparaître complice de chefs de ministères ou de régions et d’une administration présidentielle pourris, sinon comme le parrain d’un système que la population vomit pour le subir depuis des décennies, Zelensky a dû réagir. Il a limogé une quinzaine de hauts dirigeants, mais sans engager d’action judiciaire contre eux, de crainte sans doute que de nouvelles révélations éclaboussent le régime dans son entier. C’est avec la même prudence vis-à-vis des clans de la bureaucratie mafieuse ukrainienne, et de leurs chefs, que Zelensky a encore lâché du lest en se séparant de son ministre de la Défense… qu’il a aussitôt nommé à un autre poste ministériel. On a là la version ukrainienne du « responsable mais pas coupable » : des revers militaires sont imputés au ministre, mais pas le fait d’avoir chapeauté un système de pillage de l’État en temps de guerre, que les oligarques et bureaucrates pratiquent depuis longtemps en temps de paix.

On ne sait si cela convaincra grand monde en Ukraine, et d’abord les hommes mobilisables que l’état-major aimerait envoyer au front pour compenser les pertes. Celles-ci seraient, selon les services occidentaux, du même ordre que celles de l’armée russe : 250 000 hommes tués ou blessés. Avec cette différence que, pour combler cette saignée, alors que 7,5 millions d’Ukrainiens se sont réfugiés à l’étranger, Kiev dispose d’une réserve de mobilisables cinq fois moindre que Moscou. Et puis si, au début de la guerre, un sursaut patriotique a apporté des ­volontaires aux généraux de Zelensky, ils doivent maintenant enrôler des hommes qui, précisément, n’étaient alors pas volontaires. Certains le sont d’ailleurs peut-être encore moins, à en juger par les vidéos qui montrent des hommes résistant aux militaires venus les rafler chez eux, au travail ou dans la rue.

Mais il ne faudrait pas oublier dans l’affaire le rôle des parrains occidentaux du régime. Les limogeages de hauts dignitaires ukrainiens ont coïncidé avec l’arrivée à Kiev d’une commission américaine de haut rang. Et cela ne doit rien au hasard : elle est chargée de vérifier, « de façon indiscutable et indépendante », – comprendre : indépendante des autorités ukrainiennes –, la façon dont celles-ci usent du flot de milliards dont l’Occident les abreuve. Zelensky, représentant des clans et castes de nantis et de parasites voraces qui dirigent l’Ukraine aux dépens des travailleurs, a donc été sommé de faire le ménage. S’il a fait tomber quelques têtes, sans rien changer bien sûr à la nature parasitaire de son régime, c’est dans l’espoir que cela lui vaudra l’absolution de ses protecteurs occidentaux, et d’abord américains.

Ceux-là avaient évidemment besoin que Zelensky et son gouvernement se rendent plus présentables. Au moment même où ils s’apprêtaient à lui promettre l’envoi de chars lourds, au nom de la prétendue « défense de la démocratie », il n’aurait pas fallu que le régime ukrainien s’affiche aussi ­corrompu et mafieux que celui du Kremlin, alors que gouvernants et médias européens et américains veulent le présenter comme l’anti­thèse de celui de Poutine. L’opinion publique ukrainienne n’apparaît plus aussi soudée derrière Zelensky que ce ­dernier et les États impérialistes le prétendent. Alors, ceux-ci se devaient bien d’aider leur poulain à procéder à un ravalement de façade de son régime, fût-il cosmétique.

Partager