Argentine : la lutte des femmes impose la légalisation de l’IVG06/01/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/01/2736.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : la lutte des femmes impose la légalisation de l’IVG

Le 30 décembre, à 4 h 30 du matin, les sénateurs argentins ont voté la loi dépénalisant l’avortement. C’est une incontestable victoire de la lutte des femmes. Cette fois encore, le Congrès était cerné par des milliers de manifestantes au foulard vert pro-IVG attendant le résultat du vote.

L’annonce du résultat a entraîné une explosion de joie et une foule compacte a repris le slogan : « À bas le patriarcat qui va tomber, vive le féminisme qui va gagner ! ». La lutte des femmes argentines pour ce droit a commencé dans les années 1980, et aboutissait pour la seconde fois à un projet de loi présenté aux députés et aux sénateurs. En 2018, le projet émanait de la Coordination des femmes pour un avortement légal, sûr et gratuit, regroupant quelque 700 organisations. Il avait été voté par les députés, mais repoussé par les sénateurs par 38 voix contre 31. Cette fois, 38 sénateurs l’ont approuvé contre 29.

La loi reprend en partie le projet de 2018, mais elle émane du président actuel, le péroniste Alberto Fernandez, dont c’était une promesse de campagne. « Je suis catholique, mais je dois légiférer pour tous, c’est un sujet de santé publique très sérieux », a-t-il commenté. Mais il a fait ajouter une clause de conscience, qui permet aux médecins ainsi qu’aux établissements de santé opposés à l’avortement de ne pas le pratiquer. En même temps, une allocation dite des « 1 000 jours » a été votée pour soutenir les mères de famille pendant leur grossesse et les premières années de l’enfant, afin de réduire le nombre d’avortements pour raisons économiques.

Ces ajouts mais aussi la nécessité d’offrir au président un succès politique ont joué dans le renversement des votes. L’opportunisme de certains sénateurs péronistes, pourtant connus pour leur hostilité au droit à l’avortement, a ainsi favorisé la cause des femmes. Le président espère que ce succès lui redonnera un peu de crédit, alors que l’Argentine fait face à une grave crise économique et sociale et que la pandémie a déjà fait 43 000 morts.

Si la mobilisation des femmes a été massive dans tout le pays, les adversaires du droit à l’avortement étaient également très mobilisés, à l’appel de l’Église catholique et des évangéliques. Les processions, les menaces des évêques de ne pas présenter leurs vœux traditionnels de Noël au président, les pressions exercées au domicile des élus n’ont pas suffi à infléchir la majorité des sénateurs.

Cette loi était d’autant plus indispensable que, dans ce pays de 44 millions d’habitants, on compte chaque année entre 400 000 et 500 000 avortements, généralement clandestins, avec des complications, parfois mortelles, pour 38 000 femmes. On estime que depuis quarante ans 3 000 femmes ont ainsi perdu la vie.

La loi prévoit pour toutes les femmes de plus de 16 ans la possibilité d’avorter sur simple demande jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse et la possibilité d’avorter jusqu’à la fin de la grossesse en cas de danger pour la santé de la personne enceinte ou de viol.

En Amérique latine, le poids des Églises fait que jusqu’à présent le droit à l’avortement n’est reconnu que dans une poignée d’États : Cuba, Uruguay, Guyana, la ville de Mexico et l’État d’Oaxaca au Mexique. Il est limité dans la plupart des États aux cas de viol ou de danger grave pour la mère, comme c’était le cas en Argentine avant ce vote, et totalement interdit au Honduras, Salvador, Nicaragua, Surinam, République dominicaine et Haïti.

Les femmes d’Argentine qui ont lutté pour imposer ce droit ont de quoi se réjouir, sans oublier que la loi est une chose et son application en est une autre. Dans tous les pays où l’avortement est permis, à commencer par la France, ses adversaires n’ont jamais désarmé et agissent pour en réduire les effets, de façon légale ou illégale. En Argentine, la Coordination des femmes l’a bien compris, qui a noté que la clause de conscience « est un obstacle pour les droits des femmes, on sait ce que ça donne dans les pays où elle est permise : les femmes ont toutes les difficultés du monde à avoir accès à l’IVG. » La lutte des femmes d’Argentine pour plus de droits n’est certainement pas terminée.

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