Le retour de Lénine et les thèses d’avril05/04/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/04/2540.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Russie 1917 : la révolution au fil des semaines

Le retour de Lénine et les thèses d’avril

La révolution de Février a abouti à la fin du pouvoir tsariste et à l’installation d’un gouvernement provisoire comprenant des représentants socialistes (mencheviks) et socialistes-révolutionnaires. Les soviets, les conseils ouvriers qui se sont créés durant la révolution, lui accordaient leur soutien, avec l’accord de la direction du Parti bolchevik. Lénine, arrivé le 3 avril (16 avril selon notre calendrier) de son exil de Suisse, va immédiatement combattre cette politique. L’arrivée de Lénine est ainsi décrite par l’historien Soukhanov, alors menchevik : « Devant la gare de Finlande, la foule remplissait toute la place, laissant à peine passer les tramways. Une magnifique bannière portant l’inscription « Comité central du POSDR (Bolcheviks) », brodées en lettres d’or, dominait d’innombrables drapeaux rouges sous lesquels s’étaient rangées des unités militaires avec leur orchestre. (…) Dans la gare c’était également la cohue : délégations, drapeaux, bannières où l’on exigeait des laissez-passer. (…) Sur le quai, les préparatifs étaient encore plus éclatants : militaires alignés prêts à présenter les armes, drapeaux suspendus, arcs de triomphe rouge et or, inscriptions de bienvenue, mots d’ordre révolutionnaires. »

« Vive la révolution socialiste mondiale »

Lénine répond ainsi au discours du délégué du soviet de Petrograd venu l’accueillir : « Chers camarades, soldats, marins et ouvriers ! Je suis heureux de saluer en vous la révolution russe victorieuse, de vous saluer en tant que détachement d’avant-garde de l’armée prolétarienne mondiale… La guerre de rapine impérialiste est le commencement de la guerre civile dans toute l’Europe… L’heure n’est pas loin où, à l’appel de notre camarade Karl Liebknecht, les peuples tourneront les armes contre leurs exploiteurs capitalistes… L’aube de la révolution socialiste mondiale luit… En Allemagne, tout est en ébullition… D’un moment à l’autre, chaque jour, on peut s’attendre à l’écroulement de tout l’impérialisme européen. La révolution russe que vous avez accomplie en a marqué les débuts et a posé les fondements d’une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste mondiale ! »

Ce discours annonce déjà le programme que Lénine va proposer dès le lendemain sous le nom de Thèses d’avril. Il y réaffirme qu’il ne faut accorder aucun soutien au gouvernement provisoire et « démontrer le caractère entièrement mensonger de ses promesses, notamment de celles qui concernent la renonciation aux annexions ». Pour lui, il faut démasquer le caractère impérialiste de la politique du gouvernement provisoire, au lieu de propager l’illusion que ce gouvernement de capitalistes pourrait en changer. Il faut « reconnaître que notre parti est en minorité et ne constitue pour le moment qu’une faible minorité dans la plupart des soviets des députés ouvriers, en face du bloc de tous les éléments opportunistes petits-bourgeois, tombés sous l’influence de la bourgeoisie et qui étendent cette influence sur le prolétariat, (...) expliquer aux masses que les soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire.(...) Notre tâche, tant que ce gouvernement se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d’expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques. »

Les thèses provoquent une crise au sein de la direction du Parti bolchevik, où Lénine se retrouve isolé. Le journal du parti, la Pravda, écrit : « Pour ce qui est du schéma général du camarade Lénine, il nous paraît inacceptable dans la mesure où il présente comme achevée la révolution démocratique bourgeoise et compte sur une transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste. »

La discussion au sein du Parti bolchevik se poursuit pendant des jours, et c’est finalement l’adhésion des ouvriers, de la base du parti, qui permet à l’orientation définie par Lénine de l’emporter.

« Tout le pouvoir aux soviets ! »

Quelques jours plus tard, dans un discours prononcé devant des soldats, Lénine traduisait de manière concrète ce programme révolutionnaire résumé par le slogan « Tout le pouvoir aux soviets ! »

« Camarades soldats ! La question de l’organisation de l’État est maintenant à l’ordre du jour. Les capitalistes, qui détiennent aujourd’hui le pouvoir, veulent une république parlementaire bourgeoise, c’est-à-dire un régime sans tsar, mais où le pouvoir reste aux mains des capitalistes qui gouvernent le pays au moyen des vieilles institutions : police, corps de fonctionnaires, armée permanente.

Nous voulons une autre république (…). Les ouvriers et les soldats révolutionnaires de Petrograd ont renversé le tsarisme et complètement nettoyé la capitale de toute police (…). La révolution une fois commencée, il faut la consolider et la continuer. Ne laissons pas rétablir la police : tout le pouvoir dans l’État, depuis la base jusqu’au sommet, aussi bien dans le village le plus reculé que dans chaque quartier de Petrograd, doit appartenir aux soviets de députés des ouvriers, soldats, salariés agricoles, paysans, etc.(…)

Seul ce pouvoir, seuls les soviets de députés soldats et paysans peuvent trancher la grande question de la terre autrement que dans l’intérêt des gros propriétaires fonciers, et non bureaucratiquement (…). Les comités paysans doivent la confisquer sans délai (…). Toute la terre doit appartenir à l’ensemble du peuple et ce sont les soviets locaux des députés paysans qui doivent en disposer. Pour que les paysans riches – qui sont eux aussi des capitalistes – ne puissent léser et tromper les salariés agricoles et les paysans pauvres, ceux-ci doivent se concerter, s’unir, se grouper à part, ou bien former leurs propres soviets de députés des salariés agricoles.

Ne laissez pas rétablir la police ; n’abandonnez ni le pouvoir ni l’administration de l’État à des fonctionnaires non élus, non révocables, bourgeoisement rétribués. Unissez-vous, serrez vos rangs, organisez-vous vous-mêmes, sans vous fier à personne, en ne comptant que sur votre intelligence et sur votre expérience, et alors la Russie pourra se mettre en marche d’un pas ferme, régulier et sûr pour libérer notre pays et toute l’humanité aussi bien des horreurs de la guerre que de l’oppression du capital.

Notre gouvernement, qui est un gouvernement de capitalistes, poursuit la guerre dans l’intérêt des capitalistes. (…) Les capitalistes de tous les (…) pays font la guerre pour le partage des bénéfices capitalistes, pour la domination mondiale (…). Il n’est qu’un moyen de sortir de cette guerre effroyable et de conclure une paix qui soit vraiment démocratique (…) : le passage de tout le pouvoir aux soviets des députés ouvriers et soldats. Les ouvriers et les paysans pauvres, qui n’ont aucun intérêt à sauvegarder les bénéfices du capital et à piller les peuples faibles, pourront vraiment réaliser ce que les capitalistes ne font que promettre, à savoir : mettre fin à la guerre par une paix durable qui garantira la liberté à tous les peuples sans exception. »

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