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Grande-Bretagne : le Brexit day, ce qu’il est et ce qu’il prétend être
Le 29 mars est B-Day, le jour choisi par Theresa May pour invoquer l’article 50 du traité de Lisbonne qui définit, en termes très vagues d’ailleurs, la procédure à suivre par un pays membre pour quitter l’Union européenne (UE).
C’est donc en ce B-Day que May commencera à faire dériver la galère britannique le plus loin possible de l’Union européenne. Enfin, pas si loin que ça en fait. Car, au-delà de la rhétorique politicienne, même les plus virulents des ministres pro-Brexit se sont mis à mettre de l’eau dans leur thé à l’approche du B-Day.
Il faut dire qu’après la grande finance l’EEF, la puissante fédération des industries de production (45 % des exportations britanniques), est entrée en lice. Et ses dirigeants n’ont pas mâché leurs mots. En réponse à May, qui disait récemment qu’il valait mieux « pas d’accord commercial avec l’UE qu’un mauvais accord », l’EEF affirme qu’elle ne veut pas de cette impasse.
C’est que plus de la moitié des exportations de l’EEF vont vers l’UE, et près de 65 % de ses importations en viennent. Les multinationales qui dominent l’EEF (britanniques ou pas) ont depuis longtemps organisé leur production en fonction d’une division du travail à l’échelle européenne. Dans une voiture assemblée en Grande-Bretagne, par exemple, environ 60 % des composants sont fabriqués dans le reste de l’UE. Certaines pièces sont même importées plusieurs fois, comme la transmission de la Mini (voiture haut de gamme assemblée près d’Oxford par BMW) qui traverse trois fois la Manche avant l’assemblage final.
Autant dire que le retour de droits de douane entre la Grande-Bretagne et l’UE entraînerait une hausse importante des coûts de production pour ces industriels, et donc une baisse de leurs profits.
Mais ce n’est pas la seule raison de leur hostilité au Brexit dur envisagé par May. C’est ainsi que les migrants de l’UE constituent environ 10 % de la main-d’œuvre qualifiée de ces industries et, si la libre circulation des travailleurs européens venait à prendre fin, elles risqueraient rapidement de se retrouver à court de professionnels.
C’est d’ailleurs ce qui se passe d’ores et déjà dans un tout autre secteur, celui de la santé. Parmi le personnel infirmier, environ 7 % viennent de l’UE. Or, avec la perspective du Brexit, le recrutement mensuel d’infirmiers en provenance de l’UE a baissé de 75 %, de 800 par mois à 194 aujourd’hui. Or, même dans le cadre du budget actuel, déjà très insuffisant par rapport aux besoins, 24 000 postes d’infirmiers qualifiés ne sont pas pourvus !
Mais il y a encore bien d’autres choses, dans le processus qui s’engage, qui ne suivront pas le cours promis par les chantres du Brexit. En particulier, s’il devait y avoir des changements dans les réglementations définissant les produits commercialisables de part et d’autre de la Manche, cela pourrait entraîner des surcoûts importants pour les entreprises britanniques. Elles ne veulent donc pas en entendre parler.
C’est pourquoi le gouvernement May doit présenter un projet de loi destiné à intégrer en bloc à la loi britannique l’essentiel des 19 000 textes réglementaires de l’UE. Mais toutes les réglementations de l’UE ainsi intégrées en bloc pourront être modifiées à volonté par le gouvernement, sans en passer par l’approbation du Parlement mais, en plus, toutes les lois votées dans le passé pour se conformer aux directives européennes pourront l’être également. Autant dire que le Parlement n’est pas près de regagner sa fameuse souveraineté.
Or si, parmi les directives nouvellement intégrées, figurent surtout des réglementations techniques et commerciales, en revanche, parmi celles qui sont déjà intégrées, figurent en particulier toutes les directives à caractère social.
Dans ce pays où le Code du travail n’existait pour ainsi dire pas, le peu de législation sociale venue de l’UE avait marqué un certain progrès pour des millions de travailleurs, en particulier dans les PME. C’est par ce biais qu’ont été introduites les premières mesures légales limitant la durée du travail, instituant des repos compensateurs et des congés payés obligatoires, réglementant certaines formes de travail précaire, etc. Et même si ces réglementations sont insuffisantes et pas toujours respectées, elles constituent pour beaucoup une certaine protection contre l’avidité du patronat.
Or ce sont justement ces réglementations-là que May, avec cette fois le soutien du patronat, a dans le collimateur. L’un de ses objectifs avoués est une flexibilité encore plus grande dans les conditions d’emploi. Quand on sait que la quatrième banque du pays, la filiale britannique du groupe espagnol Santander, en est aujourd’hui à tester la résistance des travailleurs en proposant des contrats d’embauche (illégaux) où elle ne s’engage à fournir qu’une seule heure de travail payée par mois, il n’est pas difficile d’imaginer comment le patronat va s’entendre avec le gouvernement May pour faire du Brexit un prétexte à la curée contre leurs droits.
Reste à voir que les travailleurs britanniques ne se laissent pas faire et que May et ses mentors patronaux se trouvent finalement confrontés à leur colère.