Vietnam, février 1968 : l’offensive du Têt ébranlait la domination américaine07/02/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/02/2584.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 50 ans

Vietnam, février 1968 : l’offensive du Têt ébranlait la domination américaine

Dans la nuit du 31 janvier au 1er février 1968, lors de la fête du Têt (le Nouvel An), les combattants du Vietcong, la guérilla sud-vietnamienne du Front national de libération (FNL), se soulevaient contre l’occupation militaire américaine. Ils occupèrent une centaine de villes, dont la capitale Saïgon.

Si, militairement, la disproportion des forces ne permit pas au Vietcong de tenir plus d’un mois, l’offensive du Têt fut pourtant considérée dans le monde entier comme une victoire du FNL. Celui-ci faisait la démonstration qu’il avait le soutien de la majorité de la population, que la guerre féroce menée par l’impérialisme le plus puissant de la planète n’avait pas réussi à écraser.

Au début de l’année 1968, 500 000 soldats américains étaient présents au Sud-Vietnam, appuyés par un arsenal militaire ultra-moderne ayant une capacité de destruction et de massacre inégalée, sans commune mesure avec ce que pouvait lui opposer un petit pays pillé par les impérialismes français et japonais et qui sortait de treize ans de guerre.

Pourtant, en une nuit, quelques dizaines de milliers de combattants vietcongs réussirent à inquiéter jusque dans ses places fortes des villes l’armée la plus puissante du monde. Ils occupèrent jusqu’à l’aérodrome de Tan Son Nhut et tinrent même pendant trois heures l’ambassade américaine, lieu protégé s’il en était.

La reconquête des villes occupées ne se fit pas facilement pour l’armée américaine car, comme à Cuba lors de l’épisode de la baie des Cochons, la population fit front contre elle. Le Vietcong faisait ainsi la démonstration qu’il n’était pas seulement implanté dans les campagnes, mais aussi parmi les travailleurs urbains. L’état-major américain ne vint à bout de l’occupation qu’en bombardant des quartiers entiers.

Après la Deuxième Guerre mondiale et la défaite du Japon, l’impérialisme français avait repris possession de son ancienne colonie d’Indochine et avait dû affronter à son tour le mouvement dirigé par Hô Chi Minh. Celui-ci, après avoir éliminé sur sa gauche les militants trotskystes qui auraient pu mener la lutte sur des bases prolétariennes, avait constitué un front nationaliste sur le modèle maoïste, menant la lutte contre l’occupant au nom de tout le peuple. Après la défaite de Dien Bien Phu en 1954, la France avait été contrainte d’abandonner le Vietnam. Le pays fut divisé en deux, le Nord-Vietnam, soutenu par l’URSS et la Chine, restant sous la direction du Vietminh d’Hô Chi Minh, en attendant un référendum d’unification qui ne vint jamais.

Les origines de la guerre du Vietnam

Dès le départ des Français, les États-Unis occupèrent le terrain. Depuis1950, ils finançaient déjà à hauteur de 80 % l’effort de guerre français. On était alors en pleine guerre froide, et ils pratiquaient la politique du containment, voulant empêcher toute extension de l’influence de l’URSS, plus particulièrement en Asie du Sud-Est marquée par la prise de pouvoir en 1949 de Mao Tse Toung en Chine.

Au Sud-Vietnam, les États-Unis mirent en place un gouvernement fantoche, sur le modèle de ce qu’ils avaient déjà fait en Amérique latine. Mais, là comme ailleurs, son dirigeant Ngo Dinh Diem se révéla aussi brutal et corrompu que les autres, cherchant à soutirer le maximum de profits sans se soucier de la population. L’opposition au régime grandissait dans les campagnes, où les paysans, qui avaient aussi sous les yeux le modèle du Nord-Vietnam, se ralliaient toujours plus nombreux au Vietcong, un mouvement qui les respectait et leur donnait accès à la terre dans les zones sous son contrôle.

En 1962, sous le prétexte de garantir l’indépendance de la population vietnamienne face au « péril communiste », le président américain Kennedy vola au secours du gouvernement de Diem. Cela ne changea rien au rapport de force, et ne sauva même pas Diem, qui fut assassiné en 1963. Ses successeurs furent tout autant impopulaires. Les accords de Genève de 1954 avaient autorisé la présence de 685 conseillers américains. Sous la présidence de Kennedy, ils étaient déjà 16 000, et leur nombre continua de croître jusqu’à ce que, en 1965, les États-Unis interviennent directement, envoyant 200 000 GIs au Sud-Vietnam, et autant l’année suivante. Début 1968, ils étaient un demi-million.

Dans les zones qu’il contrôlait au sud, l’état-major américain pratiquait la politique de la terre brûlée. Les bombardements prirent une ampleur inégalée et s’étendirent aussi au Nord-Vietnam. Quand ils n’avaient pas été rasés par les bombes, des villages entiers étaient brûlés, leurs habitants massacrés ; les forêts et les rizières étaient arrosées de défoliants ou de napalm, coupant toute source de nourriture, et même d’eau potable, pour les paysans. Mais, loin de briser la résistance de la population vietnamienne, les exactions commandées par l’état-major américain firent encore monter la haine contre l’occupant et renforcèrent le Vietcong.

L’offensive du Têt renforça aussi par contrecoup l’opposition à la guerre du Vietnam dans le reste du monde, et avant tout aux États-Unis. Quarante-cinq mille soldats américains étaient déjà morts et deux cent cinquante mille avaient été blessés sans qu’on entrevoie la fin du conflit. En revanche, l’horreur des massacres commis contre un peuple commençait à toucher l’opinion.

L’opposition à la guerre

Il y avait déjà eu depuis plusieurs années des protestations isolées, des refus d’intégrer l’armée en levant la bannière du pacifisme. Mais, à partir de 1968, les refus de combattre et les désertions se multiplièrent. De plus en plus de soldats combattant au Vietnam dénonçaient les atrocités qu’ils avaient vues ou été obligés de commettre, dans une guerre qu’ils considéraient comme injuste. Le sentiment d’être envoyé à la mort pour défendre la fortune des riches, comme le disait une banderole de manifestants, était encore plus présent parmi la population noire, qui n’avait guère la possibilité d’échapper à la conscription et était la plus exposée au feu. Dans les grandes villes américaines, les manifestations contre cette sale guerre prenaient de plus en plus d’ampleur. Au Vietnam même, l’armée américaine tendait à se décomposer sous l’effet de la démoralisation, de la drogue, du dégoût de ce que les soldats étaient contraints de faire.

L’offensive du Têt marquait un pic dans la guerre du peuple vietnamien contre l’occupation. Elle montrait que la situation devenait intenable pour l’armée américaine, au point que les dirigeants des États-Unis allaient devoir se résoudre à quitter le pays, ce qu’ils feront cinq ans plus tard.

L’agitation intérieure qui se développa à la fin des années 1960 compta aussi dans cette décision. Les révoltes d’étudiants, le soulèvement des Noirs des ghettos pauvres multipliaient les problèmes pour le gouvernement américain. Cette guerre, qui demandait toujours plus d’hommes et de matériel, mettait à mal les finances du pays, tout cela pour un conflit dont ne voyait pas la fin. Et, surtout, l’offensive du Têt montrait au monde entier que même le plus puissant État de la planète ne pouvait dominer un pays dont les habitants étaient déterminés à se battre pour leur indépendance.

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