- Accueil
- Lutte ouvrière n°2131
- Prêt de main-d'oeuvre entre entreprises : La loi priée de suivre les souhaits du patronat
Leur société
Prêt de main-d'oeuvre entre entreprises : La loi priée de suivre les souhaits du patronat
Présenter comme une « arme antichômage », le fait de tordre le bras aux dispositions du Code du travail qui gênent, un peu, les entreprises, il faut le faire. Car c'est en parlant de « préserver l'emploi » et d'« encourager la mobilité professionnelle » que Jean-Frédéric Poisson, chef d'entreprise et député UMP de son état, vient de déposer une proposition de loi visant à modifier la loi qui interdit, en principe mais de moins en moins dans les faits, le « prêt de main-d'oeuvre » entre employeurs.
Le gouvernement soutient chaudement ce projet car, et c'est son seul objectif, il répond à ce que réclament divers secteurs du patronat : l'adaptation de la loi à ce qu'ils pratiquent déjà... Quant aux travailleurs, ils verraient ainsi disparaître encore quelques protections collectives dont ils disposaient jusqu'alors.
Dans l'état actuel, le Code du travail prévoit qu'aucune entreprise ne peut fournir de la main-d'oeuvre à une autre « dans un but lucratif ». Cela renvoie à une période ancienne - et ce n'est pas un hasard si elle remonte à 1848 et à l'abolition de l'esclavage - et visait à prohiber la pratique dite du « marchandage », que l'on connaît dans bien des pays, notamment des pays pauvres : celle des marchands de main-d'oeuvre arrivant sur un chantier avec leur équipe, ce qui s'accordait mal avec le développement de la grande industrie capitaliste et avec la discipline unique qu'elle impliquait.
Mais le temps a passé, les besoins des industriels ont évolué et il y a belle lurette qu'ils ont entrepris de tourner cette loi quand ils en ont besoin.
Il y a eu l'apparition de l'intérim qui, s'il organise une forme de prêt de main-d'oeuvre, doit se conformer à certaines contraintes légales dont se plaint régulièrement le patronat. Il y a aussi, notamment avec « l'externalisation » de services entiers de grandes entreprises, le développement de la sous-traitance. Mais là encore, la loi encadre cette activité. Car l'entreprise sous-traitante, même quand elle intervient dans les mêmes locaux que son client, doit avoir son propre matériel, son propre encadrement, elle doit effectuer une mission définie, pour une durée déterminée. En outre, selon la loi, recourir à la sous-traitance ne doit pas avoir pour objectif de porter préjudice aux conditions de rémunération et de travail des salariés, ou de les priver d'avantages, participation, primes, etc.
Les contrevenants reconnus coupables du délit de marchandage encourent des peines allant jusqu'à deux ans d'emprisonnement et/ou une amende de 30 000 euros, plus une éventuelle interdiction d'exercer pour le sous-traitant. Le donneur d'ordres risque 150 000 euros d'amende, l'exclusion des marchés publics, voire la confiscation de son entreprise...
Du moins en théorie, car il est rare que tombent de telles sanctions. D'abord, des armadas de juristes sont là pour indiquer aux employeurs comment tourner la loi. Ensuite, le rapport des forces est tel dans les entreprises qu'il n'est pas aisé à des salariés de pouvoir faire condamner leur employeur pour de tels faits. Et cela, même si les exemples abondent dans l'automobile, que ce soit dans les ateliers ou les bureaux d'étude, le bâtiment, les transports, la grande distribution ou encore les services informatiques aux entreprises, etc.
En fait, cette loi a déjà connu maints aménagements : dans le cas de groupements d'em¬ployeurs se partageant un même secrétariat, un même service comptable ; dans celui des pôles de compétitivité, ou des entreprises d'insertion. Des accords dérogatoires ont été aussi conclus : ainsi ce mois de mai, dans la métallurgie, malgré le refus justifié de la CGT de signer un accord de branche qui profite essentiellement au patronat.
L'auteur de la proposition de loi parle de « volontariat » pour les salariés à qui on proposerait d'être « prêtés ». C'est une sinistre plaisanterie, quand on est soumis au chantage entre être mis au chômage ou se dire « volontaire » pour être « prêté », comme l'ont rappelé plusieurs cas récents où des employeurs ont présenté un tel « choix » à certains salariés !
En fait, même si avec la loi actuelle « le nombre d'affaires soumises aux tribunaux reste limité », selon un site de conseil juridique aux employeurs, le patronat trouve que c'est encore trop. En février dernier, un rapport sur « les nouvelles formes du travail », remis au ministre du Travail par le PDG de Mécanalu, taxait de « flou artistique » la législation sur le prêt de main-d'oeuvre et expliquait que les employeurs devaient finasser avec elle pour éviter les tribunaux. Il ne restait qu'à trouver un biais législatif pour que certaines pratiques du patronat, « douteuses », disait ce rapport, au regard de la loi, cessent de l'être !