Leur société

Mayotte : les responsabilités de l’État français

Alors que l’opération Wuambushu, qui doit détruire des centaines de cases et expulser des milliers de personnes en situation irrégulière, est en partie entravée par les recours judiciaires, les politiciens locaux et l’extrême droite font de la surenchère, accusant le gouvernement de ne pas en faire assez dans cette chasse aux pauvres commencée le 25 avril.

Certains réclament l’instauration de l’état d’urgence sur l’île. Mais tous continuent de dresser les Mahorais contre les Comoriens, cherchant à rendre ces derniers responsables des nombreuses difficultés que vivent les habitants de l’île. Or, si la vie est si difficile à Mayotte, si plus des trois quarts de la population y vivent sous le seuil de pauvreté, sans eau courante et dans des bidonvilles sans fin, les Comoriens n’y sont pour rien, c’est l’État français qui fait des Mahorais des citoyens de seconde zone. Alors que Mayotte est depuis 2011 officiellement un département, la législation sociale française ne s’y applique qu’au rabais. Le smic horaire est de 25 % inférieur à celui de tous les autres départements, y compris les départements d’outre-mer. Le RSA y est moitié moins élevé.

Le droit du travail s’applique à Mayotte seulement depuis 2018 et la plupart des conventions collectives sont toujours inopérantes. En matière de santé et de retraite, les Mahorais subissent un régime d’exception. Ils ont une caisse de Sécurité sociale spéciale, à part du système général. Les retraités ne peuvent pas toucher plus de 900 euros de pension pour une carrière complète. En janvier dernier, les 2 615 retraités de l’île touchaient en moyenne 276 euros par mois.

Pour les habitants qualifiés d’étrangers, venant des îles voisines des Comores, les exceptions sont pires encore. Sous prétexte de lutter contre l’immigration irrégulière, l’accès aux minima sociaux leur est plus dur qu’en France. Ils n’ont pas droit à l’AME, l’aide médicale d’État. Les demandeurs d’asile ne disposent pas de l’allocation journalière, ni d’aide au retour. Contrairement aux titres de séjour délivrés en Métropole et qui sont valables sur tout le territoire, ceux délivrés sur l’île autorisent uniquement à circuler à Mayotte. Il faut un visa pour voyager dans un autre département. Les recours contre les OQTF, les ordres de quitter le territoire, ne sont pas suspensifs. Un enfant né à Mayotte n’obtient la nationalité que s’il peut justifier que l’un de ses parents résidait en France de manière régulière plus de trois mois avant sa date de naissance.

Les Mahorais sont donc considérés comme des personnes de seconde catégorie, et de catégorie encore inférieure s’ils sont sans papiers. C’est ce qui avait motivé, en 2016, les 15 jours de grève générale pour « l’égalité réelle », principalement effective dans le secteur public, accompagnée de barrages sur toute l’île, revendiquant que les droits des habitants du département de Mayotte soient alignés sur ceux du reste du pays. On est loin du compte.

Les difficultés des Mahorais ne viennent pas des Comoriens. Si la colère doit exploser, c’est contre les patrons locaux qui profitent des bas salaires, contre l’impérialisme français qui dispose avec Mayotte d’une base stratégique avancée dans le canal du Mozambique mais veut que cela lui coûte le moins possible. Chasser quelques milliers de Comoriens ne fera pas augmenter le smic ou les retraites à Mayotte. Pour l’emploi et les salaires, pour des infrastructures dignes de ce nom, les travailleurs et les plus pauvres, avec ou sans papiers, devront s’unir contre les patrons locaux et contre l’État français.

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