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Égypte : l’Histoire convoquée pour masquer la dictature

Repoussée pour cause de pandémie, une cérémonie tape-à-l’œil s’est déroulée plus d’une heure durant et sur sept kilomètres au Caire, pour transférer les momies et sarcophages précieux de 22 pharaons et quatre reines de l’Égypte ancienne.

Il s’agissait de les déplacer du vieux musée archéologique de la place Tahrir au nouveau musée national de la civilisation égyptienne, dans le sud de l’agglomération.

Musique, danseurs, chars lourdement décorés accompagnaient les restes hautement sécurisés des souverains de la XVIIe à la XXe dynastie, et un important dispositif policier surveillait le tout. La place Tahrir, lieu des manifestations de janvier-février 2011, déjà rénovée et transformée, avait été bouclée, comme les quartiers populaires adjacents.

La population avait été invitée à suivre le spectacle à la télévision, comme l’ont rappelé sans ménagement des policiers à des riverains désireux d’assister au défilé nocturne. « Rentre chez toi », leur a-t-il été asséné. Le parcours traversant des quartiers pauvres, des grandes banderoles publicitaires avaient été déployées pour les masquer aux caméras.

Tout cela relativise l’argument gouvernemental sur la vétusté du musée archéologique qui aurait rendu le transfert urgent. Ce n’est pas seulement la pauvreté des quartiers populaires que le maréchal-président tentait de dissimuler par cette parade dispendieuse. Après deux vagues de Covid meurtrières, le pouvoir cherche surtout à détourner l’attention internationale, à défaut de celle de la population pauvre égyptienne, de la misère et de la dictature sociale et politique qui règnent dans ce pays de 100 millions d’habitants.

Et si des rumeurs fantaisistes ont couru sur le rôle de la malédiction des pharaons dans le récent accident ferroviaire et dans l’écroulement d’immeubles d’habitation au Caire et à Alexandrie, ni Toutankhamon ni Hatchepsut ne sont à mettre en cause, mais assurément la corruption et l’incurie qui sévissent dans les directions des services publics comme dans le BTP.

La mise en scène spectaculaire du transfert des monarques antiques n’aura pas fait oublier la réalité contemporaine de la dictature. Les lumières bleues et blanches du cortège n’ont pas éclairé les geôles des milliers d’opposants et des « disparus volontaires » du règne d’al-Sissi.

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