Dans le monde

Salvador : militaires assassins amnistiés

Alors qu’au Salvador, entre 1975 et 1992, la guerre civile de l’armée contre les classes populaires a fait 75 000 morts et disparus, un projet de loi entend amnistier les militaires assassins, ce qui soulève la protestation des familles des disparus.

Au début des années trente, l’armée salvadorienne avait écrasé dans le sang un soulèvement de 15 000 paysans. En même temps, les militaires avaient passé par les armes les militants du petit Parti communiste, dirigé par Farabundo Marti, solidaires des paysans insurgés. Ils avaient alors dit qu’ils voulaient mettre un terme à toute contestation sociale pour au moins trente ans. Trente ans plus tard, l’armée salvadorienne n’avait pas changé de méthode. Quand des travailleurs se mettaient en grève, elle envahissait l’usine et fusillait les grévistes.

Dans les années soixante-dix, une guérilla a pris le nom du dirigeant communiste assassiné. Les militaires ont alors multiplié les exactions contre les villages de paysans, étiquetés « terroristes marxistes ». Ainsi, en 1981, dans le village d’El Mozote, les soldats du bataillon Atlacatl ont massacré froidement 447 adultes, y compris des femmes enceintes, et 539 enfants, pour la plupart âgés de moins de 12 ans ; ces chiffres sont officiels depuis 2017 seulement. Après le massacre, les soldats avaient inscrit sur un mur du village : « Un enfant mort est un guérillero de moins ».

Les officiers de ce bataillon avaient été formés par une école militaire des États-Unis, qui avait bénéficié de l’expertise d’officiers de parachutistes français, tortionnaires pendant la guerre d’Algérie. Pour l’administration américaine des années 1980, ces crimes militaires qui s’étaient multipliés étaient « une réussite fabuleuse » (sic).

Si le projet de loi déclare imprescriptibles les crimes de guerre ou contre l’humanité, il prévoit des aménagements qui suscitent la colère des familles des victimes. Les peines de prison de moins de dix ans seront transformées en travaux d’intérêt général et les réparations pécuniaires ne seront versées que si les militaires concernés, ou l’État, sont solvables. De toute façon, les enquêtes pouvant déboucher sur des sanctions seront très limitées. En pratique, ce serait une amnistie de fait, une situation qui convient aussi bien à la droite qu’à la gauche qui se sont partagé le gouvernement depuis trente ans. Le projet est d’ailleurs présenté par des députés des deux partis au nom de la réconciliation nationale, et du pardon des péchés des militaires.

Un nouveau président a pris ses fonctions le 1er juin à la tête de l’État. Il se présente en rupture avec les deux partis en question et, le jour même, il a fait retirer de l’entrée d’une caserne la plaque qui célébrait en héros l’officier responsable du massacre d’El Mozote. Les familles des victimes espèrent donc que ce président mette un terme au projet d’amnistie.

« L’armée, c’est l’école du crime », disait Anatole France. Il est à craindre que le Salvador, comme le reste de l’Amérique latine, continue de subir cette sinistre forme de scolarité.

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