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Allemagne : à Hanau, l’extrême droite a tué
Le 19 février, un tueur attaquait successivement deux bars à chicha à Hanau, près de Francfort, faisant dix morts et des blessés, dont un grave. Tous sont des travailleurs d’origine immigrée. De même que l’assassin qui a tué deux passants en octobre dernier à Halle, celui de Hanau a laissé un manifeste raciste, anti-islam, misogyne et complotiste.
Peu auparavant, le 14 février, douze hommes d’extrême droite étaient arrêtés.
Dans leurs textes ils expliquaient préparer des attentats contre des mosquées ou des hommes politiques pour déstabiliser le régime. En juin 2019, un néonazi assassinait un préfet, W. Lübcke, membre de la CDU, le parti de la chancelière, qui s’était exprimé en faveur de la politique d’accueil des migrants et avait ajouté que, si celle-ci déplaisait à des activistes d’extrême droite, ils pouvaient quitter le pays. Sur les réseaux sociaux, les appels au lynchage étaient lancés. Un élu sur cinq déclare aujourd’hui avoir déjà été victime de menaces de l’extrême droite.
La vie publique en Allemagne est ainsi déjà devenue plus violente. Identitaires, hooligans, Pegida et autres groupuscules d’extrême droite, quoique très minoritaires, occupent l’espace. Dans plusieurs villes, de l’Est comme de l’Ouest, ils paradent régulièrement : quelques dizaines d’hommes vêtus de noir, pour se constituer en milice prétendent que la criminalité augmente, sous-entendu : à cause des migrants. Ils veulent impressionner, faire taire les voix discordantes et prendre symboliquement possession de quartiers.
Les pouvoirs publics, qui depuis des années regardent ailleurs et sous-estiment leur dangerosité, ont changé de ton. Après des fouilles dans les milieux d’extrême droite de plusieurs régions, le ministre de l’Intérieur Seehofer (droite, CSU) a expliqué que de grandes quantités d’explosifs et de grenades, ainsi que des armes automatiques avaient été saisies. Lui, dont les prises de position ressemblent souvent à celles de l’AfD, parle d’une menace d’extrême droite « très élevée ».
Après Hanau le 19 février, comme après l’attentat de Halle, tous les partis font le lien avec le climat délétère entretenu par l’AfD. Un secrétaire d’État, le social-démocrate M. Roth, twittait : « L’AfD est le bras politique du terrorisme d’extrême droite ». Tous se lamentent et disent sur le ton du « plus jamais ça » qu’ils vont agir, alors qu’ils savent bien que de tels attentats d’extrême droite restent non seulement possibles, mais inscrits dans la situation.
D’autre part, ils sont bien placés pour savoir que c’est leur politique qui engendre la misère et aggrave l’injustice, fléaux dont découlent la misère morale ou le désespoir sur lesquels prospère l’extrême droite. Il est significatif que le codirigeant de l’AfD Meuthen se soit réjoui récemment de l’annonce de l’aggravation de la crise économique en Allemagne : il pronostiquait avec cynisme que, dans son sillage, elle offrirait de beaux succès à son parti.
Dans le climat de quasi-union nationale qui suit l’attentat, l’AfD détonne évidemment. Toujours à l’attaque, Meuthen écrit : « Ce n’est ni du terrorisme de droite ni du terrorisme de gauche. C’est l’acte délirant d’un fou. Toute forme d’instrumentalisation politique de cet acte horrible est une ineptie cynique. »
Mais ce qui paraît fou, c’est d’oser évoquer ici un terrorisme de gauche. L’AfD est aidée en cela par les autres partis, qui prennent volontairement soin d’évoquer toujours « les extrêmes » au pluriel, ce qui vise à rejeter dos à dos fascistes et militants de gauche qui luttent avec leurs idées.
La CDU elle-même alimente ce genre d’amalgames, en campant sur sa ligne du ni-ni : pas d’alliance, ni avec l’AfD, ni avec le parti dit de gauche radicale Die Linke.
En poussant les hauts cris contre l’AfD, la CDU veut aussi faire oublier son rôle peu glorieux dans l’élection du ministre-président de Thuringe, le 5 février. En novembre 2019, au lendemain des élections dans ce Land, dix-sept responsables régionaux de la CDU s’étaient prononcés, malgré l’interdit, pour l’ouverture de pourparlers avec l’AfD. C’est ce qui a abouti au récent scandale : l’AfD a présenté son candidat à la présidence, mais ses députés ne lui ont pas donné une seule voix, votant unanimement pour le candidat du petit parti FDP. Celui-ci, fort de cinq députés seulement, avait du coup été élu ministre-président avec les voix de l’AfD, de la CDU et du FDP réunis, battant d’une seule voix le candidat de Die Linke. Dans les jours suivants, il était devenu clair que ce coup politique avait l’assentiment des responsables régionaux de la CDU, dont les discours actuels de fermeté contre l’AfD sont donc bien peu crédibles.
Les activistes d’extrême droite ont beau n’être que de petites minorités, ils marquent déjà l’ambiance, et laissent imaginer combien ils pourraient la pourrir s’ils devenaient plus forts, notamment avec l’aggravation de la crise.