Turquie : victoire contestable d’Erdogan27/06/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/06/2604.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : victoire contestable d’Erdogan

Si Erdogan et son parti l’AKP ont remporté les élections présidentielle et législatives du 24 juin en Turquie, c’est de justesse et aussi en commettant certainement de nombreuses irrégularités ; sans oublier le fait que le contrôle absolu du pouvoir sur les médias n’a pratiquement pas permis aux partis d’opposition de s’exprimer.

Ces élections ont été anticipées justement parce que le président et le parti au pouvoir assistaient, au sein de la population, à une usure très rapide de leur crédit. Erdogan avait dit à plusieurs reprises qu’anticiper les élections serait « trahir la patrie ». Il faut croire que la peur de perdre le pouvoir s’il avait attendu la date normale, dans dix-neuf mois, a été la plus forte.

Le référendum du 16 avril 2017, il y a un an, avait permis de faire adopter la nouvelle Constitution qui donne un pouvoir très étendu au président. Erdogan voulait ainsi se donner les moyens d’échapper aux poursuites qui le menacent pour ses malversations diverses et ses procédés dictatoriaux. Mais déjà la majorité de 51,2 % en faveur de la réforme constitutionnelle n’avait été obtenue qu’à l’aide de fraudes et de bourrage des urnes, sans réussir à cacher que, dans les grandes villes du pays, le « non » à la réforme était largement majoritaire.

Cette fois-ci, le 24 juin à 17 heures, soit peu après la clôture des bureaux de vote, déjà l’Agence Anatolie, contrôlée par le gouvernement et seule habilitée à donner les résultats, donnait une estimation de 70 % des voix pour Erdogan. Elle se basait uniquement sur un total de 3,9 % de bulletins dépouillés dans des régions rurales traditionnellement favorables au président. Après avoir continué à annoncer ces résultats jusqu’aux environs de 22 heures, elle a dû corriger ce chiffre à la baisse avec l’arrivée des résultats des grandes villes. Puis, avant même la fin du dépouillement, elle annonçait 52,5 % des voix pour Erdogan en déclarant que le chiffre était valable car basé sur 99 % de bulletins dépouillés.

Cependant, pratiquement au même moment, le Parti républicain du peuple CHP, principal opposant à l’AKP, déclarait que seulement 46 % des votes étaient comptabilisés et qu’avec ceux des grandes villes Erdogan ne pourrait pas espérer plus que 45 % des voix.

Le fait est que si, cette fois, l’opposition, CHP en tête, a bien surveillé les bureaux de vote, elle n’a pas contrôlé l’enregistrement des résultats. Le CHP n’en a pas moins annoncé, comme après le référendum de 2017, qu’il les acceptait et appelait la population à garder son calme « sans tomber dans la provocation », reconnaissant ainsi la victoire d’Erdogan.

Quant aux élections législatives organisées le même jour, là aussi le parti d’Erdogan ne les a remportées que de justesse. Avec 40 % des voix, l’AKP n’aura que 293 députés sur 600, et Erdogan n’aura une majorité parlementaire qu’avec l’appoint des 47 députés de son allié, le parti nationaliste MHP, qui pourra ainsi poser ses conditions. Enfin, malgré toutes ses manœuvres, le pouvoir n’a pas réussi à empêcher le parti pro-kurde HDP, dont le dirigeant Demirtas a dû faire campagne depuis sa prison, de franchir la barre des 10 % imposée pour avoir des élus et de faire élire 67 députés.

C’est dans ces conditions qu’Erdogan a réussi à éviter de perdre le pouvoir. Cependant les raisons qui l’ont amené à anticiper le vote sont toujours là. La crise économique se manifeste tous les jours par la hausse des prix des produits de première nécessité, l’écroulement de la monnaie et la hausse des taux d’intérêt qui se répercutent sur les conditions de vie. Et bien sûr aucun des problèmes que la Turquie affronte au Moyen-Orient ne sera résolu. Le fait de concentrer encore plus de pouvoir dans les mains d’Erdogan n’y changera rien, sinon augmenter les capacités de répression du régime, telles qu’il les utilise depuis le coup d’État manqué de juillet 2016 et l’instauration de l’état d’urgence. Mais face au mécontentement croissant des travailleurs, les menaces du pouvoir seront toujours moins efficaces.

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