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- Lutte ouvrière n°2217
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Dans le monde
Tunisie, Algérie, Égypte, Albanie : Les populations mobilisées
De jour en jour, la situation évolue en Tunisie, mettant en évidence les antagonismes plus ou moins clairement formulés entre les différentes forces en présence. Et depuis trois semaines, pas seulement en Tunisie, mais au-delà. L'Algérie, où une manifestation a contraint le gouvernement à mobiliser massivement ses forces de répression. Jusqu'à l'Albanie ! Et maintenant, en Égypte.
On peut doctement discuter pour savoir si cela traduit une contagion, ou s'il s'agit de simples coïncidences. Mais on doit faire le constat, qu'au-delà des particularités de chacun de ces pays, il y a partout la pauvreté d'une majorité de la population, lourdement aggravée par la crise ; partout des dictatures qui bâillonnent les peuples ; partout un ras-le-bol général.
Si cela n'est pas la contagion, ça y ressemble diablement. On ne peut pas prévoir ni son élargissement ni l'évolution de ces mouvements qui s'alimentent mutuellement. D'autant qu'en face du développement des mouvements de masse et de leur radicalisation, il y a partout des adversaires aguerris, expérimentés, prêts à utiliser tous les moyens des forces de répression et prêts aussi à récupérer les mots d'une révolte ou d'une révolution pour les vider totalement de leur contenu.
Tunisie : après la fuite du dictateur
En Tunisie, par exemple, le gouvernement provisoire encore sous la houlette de Mohamed Ghannouchi (pour combien de temps encore ?), déjà Premier ministre de Ben Ali, est loin de satisfaire la volonté de changement exprimée par les manifestants et la population.
Composé en majorité de ministres liés à l'ancien régime et membres du RCD, l'omniprésent parti de Ben Ali, ce gouvernement dit de transition comprend également des responsables de l'ex-opposition officielle, constituée par le PSD et l'Ettajdid, l'ancien Parti Communiste tunisien.
Des appels à la grève ont été lancés par la centrale syndicale UGTT, notamment dans les établissements scolaires. Un mot d'ordre remisé, au bout de deux jours, par ceux-là mêmes qui l'avaient lancé, sans que l'on sache, vu d'ici, ce que feront les enseignants. Les manifestations n'ont pas cessé. Des sit-in se sont organisés la nuit, malgré le couvre-feu, dans le quartier de la Kasbah, siège du pouvoir politique à Tunis. Venus des villes pauvres du centre-ouest, regroupant jeunes sans travail, ouvriers, mères de familles, militants syndicaux de base, les manifestants expriment leur méfiance vis-à-vis du gouvernement de Ghannouchi, certains slogans ne se limitant pas au « RCD dégage ! » des premiers jours, mais évoquent sa dissolution, ce qui, implicitement, semble remettre en cause la haute-administration puisque tous ses membres faisaient partie du RCD. Les annonces de remaniement ministériel, ni même celle du versement d'une aide exceptionnelle de 260 millions d'euros pour les régions rurales les plus pauvres, n'ont pas fait rentrer chez eux les manifestants.
« La Kasbah, c'est la Bastille de la Tunisie et on va la démonter, comme les sans-culottes français ont fait tomber la Bastille en 1789 » affirmait l'un d'eux, devant le siège du gouvernement. À son tour, le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Ammar, a pris la parole au milieu de la foule pour appeler au calme, profitant de la popularité dont jouit, pour l'instant, l'armée tunisienne, perçue par beaucoup comme une force bienveillante envers la population, surtout comparée à la police de Ben Ali, responsable des morts et des brutalités de ces dernières semaines, y compris après la fuite du dictateur.
Tous, ministres comme état-major, craignent une vacance du pouvoir, le gouvernement apparaissant d'entrée de jeu discrédité. Le général Ammar affirmait au nom de l'armée sa « fidélité à la Constitution du pays » (qui est, il faut le noter, celle imposée par Ben Ali) et son engagement à ne pas « sortir de ce cadre ». Mais la population tunisienne doit rester méfiante vis-à-vis de tous ces gens-là et se donner les moyens de garder en main les leviers d'un changement politique payé de son sang.