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Dans le monde
L'euro affaibli
Les dirigeants de deux principales puissances de la zone euro, l'Allemagne et la France, répétaient, il y a peu encore, qu'il était exclu que leurs États aillent à la rescousse financière de la Grèce. Depuis, ils ont quelque peu changé de ton. Bruxelles, porte-parole des grandes puissances de la zone, a averti que l'Union européenne veillerait à l'application des plans d'austérité annoncés par la Grèce et par l'Espagne, et pourrait, si elle l'estimait nécessaire, demander des « ajustements » - en fait, une aggravation des sacrifices exigés des peuples grec et espagnol.
Ces propos visaient bien sûr à faire savoir que la glissade continue de l'euro face aux principales devises (depuis novembre, il a chuté de plus de 10 % par rapport au dollar) devait cesser. Comment ? Les dirigeants allemands, français et autres seraient bien en peine de répondre à cette question. Certes, la ministre française de l'Économie, Christine Lagarde, affirme, sur l'air de « tout va très bien madame la marquise », que cette baisse est la bienvenue pour les exportations européennes puisqu'elle rend moins cher à l'étranger ce que produit la zone euro. Mais l'affaiblissement de l'euro ne fait pas forcément l'affaire des grands groupes industrialo-financiers européens auxquels un taux de change élevé a permis ces dernières années d'acheter à bon compte des entreprises sur tous les continents, et d'abord aux États-Unis.
Pour compenser ces sorties de capitaux, les pays de la zone euro s'efforcent d'attirer des capitaux en leur servant des taux d'intérêts plus élevés que ceux pratiqués outre-Atlantique. Bien sûr, il faut pour cela que les détenteurs de capitaux aient confiance dans la solidité de l'euro. Or, avec l'explosion de la dette des États de la zone euro, cette confiance a été ébranlée. Et la spéculation qui s'abat sur les déficits publics grec, puis espagnol, pousse encore plus à une déstabilisation de l'euro.
Fini le temps où Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque centrale européenne, pouvait dire avec mépris que la Grèce ne représentant « que 3 % du PIB de la zone », ses difficultés ne pourraient guère affaiblir l'euro. Avec celles que subit l'Espagne, c'est une économie qui représente 12 % du PIB de la zone euro qui est touchée.
UNE « MONNAIE UNIQUE »...
Les bourgeoisies européennes qui ont fait le choix de l'euro, voici une décennie, auraient beaucoup à perdre à sa disparition. L'euro a assuré une certaine stabilité monétaire à l'intérieur de sa zone, en protégeant ses membres d'une des plaies du système précédent : les manipulations de taux de change des monnaies nationales et la spéculation sur leurs cours qui l'accompagnait.
Ces manipulations avaient pour but de doper les exportations du pays qui dévaluait au détriment de ses partenaires, ce qui soumettait périodiquement leurs échanges commerciaux à de forts à-coups. Cela est devenu impossible, en tout cas entre les seize États de l'Union européenne ayant adopté ce que l'on appelle « la monnaie unique ».
... MAIS PAS D'EUROPE UNIFIEE POLITIQUEMENT
Mais s'il y a bien eu une certaine unification monétaire avec l'euro, celle-ci reste bancale car les États qui y participent ne sont pas unifiés politiquement. Il y a bien une banque centrale, la BCE, garante de l'euro. Mais ni cette monnaie ni la BCE ne sont adossées à un État unique, comme le sont le dollar et la banque centrale américaine, la Fed. Non seulement la BCE n'a, à la différence de la Fed, aucun pouvoir de décision dans la politique budgétaire des États de sa zone - les traités européens l'interdisent au nom de la souveraineté de chaque État-membre - mais elle n'a pas non plus le droit d'aider des États de la zone euro en achetant des titres de leur dette afin de stabiliser leurs finances.
La monnaie qui circule en Grèce, en Italie, en France ou en Allemagne est physiquement la même. Mais les billets de banque ne représentent qu'une petite partie de la masse monétaire, bien inférieure à ce que représente ce qui est émis par les États et par les banques sous forme de crédits de toutes sortes. Ce qui fait que pour les banquiers, l'euro d'Allemagne n'a pas la même valeur que celui de Grèce ou d'Espagne. Et lorsqu'ils prêtent aux États de la zone euro, ces banquiers exigent 3 % de l'Allemagne, mais 5 % de l'Irlande et plus cher encore de la Grèce.
L'accentuation des pressions spéculatives sur une bonne partie des États européens, l'affaiblissement de la « monnaie unique » qui s'ensuit, pourraient amener à une désintégration de la zone euro. Par exemple, les États les plus puissants du continent pourraient vouloir se débarrasser de pays moins riches, ceux que leurs dirigeants appellent avec condescendance « du Club Med », même si tous ne sont pas situés au sud de l'Europe. Ce retour même partiel à des monnaies nationales, sauve-qui-peut des égoïsmes nationaux, rendrait encore plus problématique toute tentative de relance économique du continent européen sur fond de crise mondiale.