Leur société

Suez-Veolia : 150 ans de capitalisme rentier

Depuis plusieurs semaines, Veolia tente, sans succès pour le moment, de prendre le contrôle de son concurrent Suez.

Si ces deux groupes dominent le marché mondial de l’eau, c’est avant tout le fruit d’une triste exception française : l’État français a délégué depuis l’origine à des compagnies privées la gestion de l’eau, alors que celle-ci est très largement publique dans la plupart des pays, y compris aux États-Unis, en Belgique, en Allemagne ou en Suisse, pourtant peu suspects de mauvais traitements envers leurs capitalistes.

La Compagnie Générale des Eaux (CGE), société anonyme, ancêtre de Veolia, est née en 1853, par décret de Napoléon III. Son conseil d’administration comportait un aréopage de ducs et comtes de l’Empire. Elle visait à « pourvoir largement à la distribution d’eau dans les villes et à l’irrigation des campagnes » et surtout garantissait à ses actionnaires une rentabilité planifiée : en effet, la ville de Lyon venait de s’engager pour 99 ans à acheter son eau à un prix fixé à l’avance. C’était la première fois qu’une concession d’eau était faite à un opérateur privé. L’eau devenait une marchandise, mais non soumise aux aléas du marché ! L’année suivante la CGE empochait le marché de Nantes, suivi en 1860 de celui de Paris. Les contrats à l’international n’ont pas tardé à suivre : Venise, Constantinople, Porto. Très rapidement, la CGE a étendu son périmètre avec le marché des eaux usées. En 1880, le Crédit Lyonnais créa une nouvelle compagnie, la Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage, ancêtre de Suez. Enfin, en 1933, la Saur, dernière arrivée, se contentait des sites les moins rentables, surtout dans l’ouest de la France. Ces compagnies allaient former les « trois sœurs »’ qui ont écumé le marché de l’eau jusqu’à aujourd’hui.

À elles seules, elles vendent actuellement 66 % de l’eau potable desservie en France. Des origines à aujourd’hui, il s’agit d’un capitalisme de rente. Quelle que soit la forme juridique, le résultat est toujours le même : les collectivités publiques finissent toujours par prendre en charge les déficits éventuels. Et pour les usagers, la facture de l’eau douce est toujours plus salée.

Loin de se faire concurrence, les majors se sont partagé les marchés, créant parfois des filiales communes, puis ont étendu leur empire aux déchets, au transport, aux cliniques, aux médias. Ainsi Suez -Lyonnaise des Eaux a créé M6 avec RTL. Leur histoire est émaillée de scandales de corruption d’élus, de détournements gigantesques. C’est ainsi que la Générale des Eaux, devenue Vivendi sous la houlette de Messier, fit main basse sur les milliards de provisions pour travaux payés par les consommateurs, pour acquérir à prix d’or des studios à Hollywood avant de faire disparaître ces sommes dans le krach de 2002.

Les trois sœurs ont toujours bénéficié de la complicité totale de tous les gouvernements, de droite comme de gauche. Il n’a jamais été question de les nationaliser ni en 1936, ni en 1945, ni en 1981.

Avec la lutte entre Véolia et Suez, on assiste à une nouvelle étape de la concentration sur ce marché de l’eau. Le groupe qui en sortira, si Veolia parvient à l’emporter, sera en position de monopole qui lui permettra de se livrer à un racket encore accru. Loin d’être un champion de l’environnement comme certains le présentent, il sera un champion du capitalisme rentier et parasitaire.

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