Politique des nationalistes révolutionnaires et politique des révolutionnaires prolétariens01/09/19871987Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1987/09/11_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Politique des nationalistes révolutionnaires et politique des révolutionnaires prolétariens

L'Internationale Communiste, au temps de Lénine et de Trotsky, considérait comme une tâche primordiale même dans les pays les plus arriérés et opprimés où le prolétariat était encore embryonnaire de « chercher à développer les sentiments de classe indépendante dans les masses ouvrières » et prescrivait que « les éléments des plus purs partis communistes - et communistes en fait - soient regroupés et instruits de leurs tâches particulières c'est-à-dire de combattre le mouvement bourgeois et démocratique ».

Les perspectives politiques propres du prolétariat révolutionnaire mondial visant la transformation communiste de la société, perspectives qui opposent les interêts historiques des prolétaires à ceux de la bourgeoisie, requièrent l'organisation politique indépendante du prolétariat, même dans les pays où la bourgeoisie locale elle-même est opprimée et où existent des mouvements bourgeois démocratiques nationalistes révolutionnaires.

Mais pour l'Internationale Communiste, même la réalisation conséquente de transformations économiques, sociales et politiques qui, à une certaine époque historique, se sont faites sous la direction politique de la bourgeoisie ou en tous les cas à son profit, exigeait à notre époque, que dans les pays arriérés le prolétariat révolutionnaire prenne la direction de la révolution.

Les pays arriérés, dominés par l'impérialisme, étaient et demeurent aujourd'hui encore marqués par la dépendance nationale ; par l'inexistence ou l'atrophie des formes politiques parlementaires ; par la négation des droits ou des libertés démocratiques tels qu'ils sont reconnus dans les pays bourgeois développés ; par l'existence de toutes sortes d'entraves économiques, politiques et sociales qui ont empêché le développement de la bourgeoisie locale, comme d'ailleurs le développement économique tout court ; et pour nombre d'entre eux, par la survivance de structures sociales et de formes d'exploitation archaïques, par la possession féodale ou semi-féodale de la terre.

Dans les pays capitalistes aujourd'hui développés d'Europe occidentale ou d'Amérique du Nord, les transformations économiques, sociales et politiques éliminant tout celà ont été dans l'ensemble accomplies sous la direction de la bourgeoisie.

Mais dans les pays arriérés, même ces transformations qui restaient pourtant sur le terrain de la bourgeoisie n'ont été ni accomplies, ni même sérieusement entamées.

L'Internationale Communiste estimait cependant peu vraisemblable, même dans ces pays où la révolution bourgeoise elle-même restait encore à réaliser, que des organisations nationalistes bourgeoises soient capables de donner à la révolution l'ampleur et la profondeur nécessaires pour réaliser des transformations bourgeoises-démocratiques radicales et qu'elles soient capables de conquérir et surtout de conserver la direction de la révolution sur la base de cette volonté politique-là.

Le même développement historique du capitalisme qui a accumulé dans un nombre limité de pays impérialistes la part essentielle du grand capital, a engendré dans les autres pays le sous-développement. La bourgeoisie des pays pauvres est née atrophiée, faible, et en position subordonnée par rapport à la bourgeoisie impérialiste. Mais c'est une bourgeoisie dont les racines économiques comme les privilèges sociaux découlent de l'organisation capitaliste de la société. Elle peut souhaiter avec plus ou moins de vigueur - ou l'intelligentsia issue de ses rangs peut souhaiter pour elle - que se desserre le carcan impérialiste qui l'étouffe. Mais elle ne souhaite pas la destruction de l'organisation capitaliste du monde qui a engendré l'impérialisme, car elle-même en provient et en vit.

Même commencé sur le terrain de la bourgeoisie, et même dirigé au début par des forces politiques se situant sur ce terrain, le développement de la révolution est susceptible de pousser les classes exploitées vers une prise de conscience de leurs interêts de classe les opposant à la bourgeoisie, avec le risque que les organisations bourgeoises ou petites-bourgeoises, même radicales, soient débordées au profit d'organisations représentant les interêts du prolétariat.

Il y a en conséquence une quasi-certitude - estimaient les révolutionnaires prolétariens de l'époque de l'Internationale Communiste - que même les éléments les plus radicaux de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie préfèrent se détourner de la révolution, se retourner contre elle, plutôt que de prendre ce risque-là.

Les dirigeants de la révolution russe venaient de faire l'expérience de la manière dont la petite bourgeoisie révolutionnaire, à peine projetée à la tête de la révolution, avait temporisé, renié de fait tout ce qui, dans son programme, était révolutionnaire, même au sens bourgeois du terme, comme l'expropriation des grandes propriétés. Elle avait repris à son compte la politique extérieure guerrière du tsarisme, pour finir en fournissant des ministres aux contre-gouvernements des généraux réactionnaires de la guerre civile.

Quelques années plus tard l'Internationale Communiste devenant déjà l'instrument de la bureaucratie, fit à nouveau la même expérience en Chine, mais avec un résultat cette fois désastreux pour le prolétariat. En Chine, le prolétariat fut assez puissant pour inquiéter la bourgeoisie nationaliste, mais il ne fut pas capable de lui arracher la direction de la révolution. Les nationalistes préférèrent étrangler la révolution et s'allier aux ennemis de la veille, les seigneurs de guerre féodaux dans le pays, et les puissances impérialistes à l'extérieur, plutôt que de laisser la moindre chance au prolétariat.

Dans les deux cas, mais avec des résultats opposés, les éléments les plus radicaux de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie ont montré la même veulerie à l'égard des tâches, y compris nationales-démocratiques, de la révolution ; la même haine de classe à l'encontre des prolétaires ; le même penchant à s'allier contre ces derniers avec les adversaires de la veille pour se retourner contre la révolution.

Mais au fond, les révolutions du XXe siècle - russe, chinoise comme d'autres - semblaient reproduire l'attitude de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie radicale dans la révolution bourgeoise-démocratique de l848 en Allemagne. Pour l'aile révolutionnaire du mouvement social-démocrate russe d'avant l9l7, il était en tous les cas acquis que la révolution bourgeoise-démocratique ne pouvait être accomplie de façon radicale, « jacobine » ou « plébéienne », que par l'alliance du prolétariat et de la paysannerie. Quelles qu'aient pu être leurs divergences sur le devenir de cette révolution démocratique bourgeoise et sur la nature des relations entre le prolétariat et la paysannerie, Lénine et Trotsky partageaient en tous les cas, face aux mencheviks, la même conviction que non seulement la révolution démocratique ne s'accomplirait pas sous la direction de la bourgeoisie libérale nationale, mais qu'au contraire, c'est dans la lutte contre l'influence de cette bourgeoisie libérale que pourrait se forger une alliance révolutionnaire entre le prolétariat et la paysannerie.

Trotsky, en insistant sur le fait que le prolétariat des pays arriérés est « contraint de combiner la lutte pour les tâches les plus élémentaires de l'indépendance nationale et de la démocratie bourgeoise avec la lutte socialiste contre l'impérialisme mondial », affirmait dans la Révolution permanente que « Un pays colonial ou semi-colonial arriéré dont le prolétariat n'est pas suffisamment préparé pour grouper autour de lui la paysannerie et pour conquérir le pouvoir est de ce fait même incapable de mener à bien la révolution démocratique. »

Or voilà que, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une véritable vague révolutionnaire a déferlé sur les pays colonisés ou nationalement opprimés.

En un certain sens, les idées de l'Internationale Communiste et la théorie de la révolution permanente de Trotsky y ont trouvé une confirmation éclatante : malgré leur arriération, ou précisément à cause d'elle, ce sont les pays coloniaux qui se sont révélés le maillon le plus faible du système impérialiste mondial. La « révolution coloniale » a embrasé la Chine, l'Asie du Sud-Est, mais elle s'est aussi propagée, par vagues successives, au Moyen-Orient, en Afrique, voire dans certains pays arriérés d'Europe.

Mais ce sont des organisations nationalistes bourgeoises qui ont pris partout la tête du mouvement. Même là où il s'agissait d'authentiques révolutions populaires. Des organisations nationalistes bourgeoises se sont même révélées capables d'avoir la volonté politique de susciter de véritables mouvements de masse et d'en faire un moyen de conquête du pouvoir.

Et ces organisations nationalistes-bourgeoises n'ont pas été débordées. Apparemment, elles n'ont pas été non plus amenées à rompre avec la révolution pour éviter de l'être. Pas même là où il existait une classe ouvrière relativement importante sur le plan numérique voire là où, comme en Algérie, le prolétariat urbain fournissait une part considérable des combattants.

 

Le nationalisme bourgeois dans la révolution coloniale

 

Cela semble contredire les analyses de Trotsky, mais cela ne fait en réalité que déplacer le problème posé par Trotsky à un autre niveau.

Laissons de côté pour l'instant la conclusion qu'en a tirée la quasi-totalité du mouvement trotskyste, qui a résolu les problèmes posés, pour la première fois chronologiquement par l'arrivée au pouvoir de Tito, puis par la victoire de la révolution maoïste, par le syllogisme : puisque la direction maoïste ou titiste fut capable d'aller jusqu'au bout de la révolution...c'est qu'elle était une direction prolétarienne.(En reconnaissant à la rigueur qu'elle l'était de façon « déformée », « inconséquente » ou « bureaucratisée » ). C'est déficient du point de vue du raisonnement marxiste. Et c'est la consécration « théorique » d'une démission politique devant le nationalisme bourgeois radical.

La petite bourgeoisie nationaliste radicale ne s'est nullement chargée des tâches historiques du prolétariat.

Mais elle a appris à juguler le prolétariat. Elle a appris à maîtriser le processus révolutionnaire jusqu'à un certain point, à lui enlever son caractère explosif de réaction en chaîne. Elle a appris à empêcher la prise de conscience de classe des exploités, non pas en s'opposant à la révolution, mais en s'y intégrant pour finir tout de même par se retourner contre la révolution avant l'accomplissement de ses tâches, y compris bourgeoises-démocratiques, mais à un autre niveau qu'au temps de Lénine et de Trotsky.

L'intelligentsia petite-bourgeoise des pays pauvres a eu l'occasion de faire son aprentissage dans un contexte marqué par le profond recul du mouvement ouvrier révolutionnaire avant la guerre et en ses lendemains.

Dans les pays impérialistes développés, là où le prolétariat disposait de ses forces numériquement les plus importantes, des traditions de lutte de classe les plus anciennes, la social-démocratie et le stalinisme ont privé la classe ouvrière de direction révolutionnaire. Directement et ouvertement, là où dans le cadre des Fronts populaires de toutes sortes, l'un comme l'autre se sont mis ouvertement au service de la bourgeoisie impérialiste de leur pays. Indirectement, en laissant dans les années d'avant-guerre se développer le mouvement fasciste et en lui frayant en Allemagne la voie du pouvoir, lui fournissant l'occasion de détruire complètement le mouvement ouvrier organisé.

Malgré les souffrances incommensurables de la Seconde Guerre mondiale pour les masses, malgré l'affaiblissement voire l'effondrement des appareils d'État de la bourgeoisie dans plusieurs pays d'Europe, la Seconde Guerre mondiale n'a pas été suivie, dans les pays capitalistes développés, par une vague révolutionnaire comme le fut la première guerre. Le prolétariat, en tant que force politique consciente de ses interêts de classe, a été totalement absent de la scène politique pendant cette période décisive de l'immédiat après-guerre. Ses organisations les plus puissantes, politiques comme syndicales, social-démocrates comme staliniennes, ont pesé de tout leur poids, pour qu'il en soit ainsi.

Cette absence politique du prolétariat dans les pays développés fut déja, en elle-même, un puissant facteur pour convaincre l'intelligentsia révolutionnaire bourgeoise des pays pauvres que le prolétariat était moins menaçant que dans la période précédente. De surcroît, la façon honteuse dont les partis dits communistes, comme les partis sociaux-démocrates, ont cautionné, justifié la politique coloniale de leur impérialisme, jusqu'à et y compris dans ses aspects les plus répressifs - voir le PCF à l'égard du bombardement de Sétif (en Algérie) ou à l'égard du début de la guerre d'Indochine, etc - a déconsidéré par la même occasion les partis qui, dans les pays colonisés, se revendiquaient du mouvement ouvrier en opposition au nationalisme bourgeois. Les seuls PC de pays sous-développés qui ne se sont pas déconsidérés mais qui, au contraire, ont gagné de l'audience, furent ceux qui épousèrent la cause du nationalisme bourgeois.

Et justement, le stalinisme a fait encore autre chose pour le nationalisme bourgeois des pays pauvres, que priver le prolétariat de direction. Il lui a offert des idées et des méthodes pour tromper les masses exploitées, tout en utilisant leur énergie révolutionnaire.

 

Le nationalisme bourgeois et l'intermédiaire stalinien

 

En inventant le « socialisme dans un seul pays », le stalinisme naissant avait radicalement rompu avec le communisme révolutionnaire. Pour les révolutionnaires de l'Internationale Communiste - comme pour Marx - , en reprenant une formulation de Trotsky, « La conquête du pouvoir par le prolétariat ne met pas un terme à la révolution, elle ne fait que l'inaugurer. La construction socialiste n'est concevable que sur la base de la lutte de classe à l'échelle nationale et internationale. »

Pour ses besoins de couche dominante parasitaire, la bureaucratie a réinventé le nationalisme. Mais parce que cette bureaucratie était issue de la dégénérescence d'un État créé par une révolution prolétarienne dirigée par des communistes, et pour masquer le fait qu'elle usurpait un pouvoir créé par la classe ouvrière, la bureaucratie s'est sentie contrainte de masquer son nationalisme sous le nom du communisme. Elle a puisé dans le marxisme et dans le léninisme les mots pour couvrir une idéologie et une réalité politique aux antipodes des idées de Marx et de Lénine.

Pour Marx, comme pour tout communiste, l'expression même de « socialisme dans un seul pays » eût été une contradiction dans les termes. Le socialisme ne peut se réaliser que sur la base d'un développement élevé des forces productives, que seule la division internationale du travail, débarrassée des entraves capitalistes, est susceptible de fournir. C'est-à-dire à l'échelle mondiale.

Mais ce n'était pas le socialisme qui intéressait la bureaucratie. C'était de conserver et de légitimer son pouvoir.

Le « socialisme dans un seul pays » une fois inventé, le reste suivait tout naturellement.

Puisque la bureaucratie ne pouvait pas tolérer les libertés, surtout pas celles qui auraient permis au prolétariat de lui demander des comptes, ses « idéologues » staliniens inventèrent l'idée que le communisme, c'était le parti unique, la dictature, l'absence des libertés et des droits démocratiques.

Puisque la bureaucratie avait besoin que les ouvriers et les paysans travaillent alors que la révolution prolétarienne venait de supprimer les contraintes du capitalisme privé, ses idéologues inventèrent l'idée que la construction du socialisme, c'était la collectivisation forcée pour les paysans, le stakhanovisme, le travail aux pièces et la répression pour les ouvriers, et le travail forcé pour un grand nombre.

Puisque la bureaucratie avait besoin de faire croire que la société avait besoin d'elle, les staliniens se servirent de la pression de l'impérialisme pour justifier les sacrifices que la bureaucratie demandait aux classes exploitées, pour alimenter leur propre nationalisme, faisant de l'isolement national une vertu communiste.

Pour les besoins propres de la bureaucratie le stalinisme badigeonna de rouge, et désigna du nom de communisme, cet ensemble d'idées réactionnaires. La bureaucratie, parce qu'elle était issue de la révolution d'Octobre, parce qu'elle bénéficiait du prestige que cela comportait aux yeux des masses exploitées du monde entier, et parce que ses dirigeants semblaient incarner l'héritage de Lénine, eut le crédit et les moyens pour faire passer pour du communisme une réalité qui était aux antipodes de celui-ci.

Mais d'autres forces politiques, et par leur intérmédiaire la bourgeoisie grande et petite des pays arriérés, surent se servir, pour leur propre usage de classe, de ce formidable instrument pour tromper les masses que les staliniens avaient inventé.

Les premiers dirigeants nationalistes qui ont osé parvenir au pouvoir en s'appuyant sur des mouvements révolutionnaires de masse - Tito, Mao Tse-tung, Ho Chi-minh - ont été formés dans l'Internationale Communiste devenue stalinienne.

C'est la direction stalinienne de l'Internationale Communiste qui a fait mener, à ces dirigeants-là comme à bien d'autres, une politique de subordination de la classe ouvrière à la bourgeoisie nationale. C'est elle qui leur a donné les mots, les phrases, les « justifications théoriques » pour le faire.

Dans des circonstances diverses et au travers de démarches, d'épreuves différentes, Tito, Mao puis Ho Chi-minh, ont fini par conquérir une implantation, une assise large, sur la base de cette politique-là.

Pour paraphraser l'expression de Trotsky, l'entremetteur stalinien avait accompli son oeuvre. Il avait réconcilié ces partis communistes avec leur bourgeoisie. Désormais, ces partis menaient leur politique nationaliste-bourgeoise à leur propre compte.

Aucun de ces trois dirigeants nationalistes n'a jamais rompu avec la phraséologie stalinienne. Ho Chi-minh n'a même jamais rompu avec Moscou.

Mais, ils sont devenus autre chose que de simples élèves ou imitateurs du maître du Kremlin. Ils sont même devenus autre chose que de véritables staliniens, si l'on entend par stalinisme l'expression politique des interêts d'une bureaucratie née sur le corps d'un État ouvrier dégénéré.

L'origine du pouvoir de Staline remontait malgré tout à une révolution prolétarienne victorieuse, même trahie et retournée contre elle-même.

Mao, lui, montra de fait concrètement comment éviter qu'une révolution devienne prolétarienne. C'était donc possible ! Ayant utilisé les leçons du stalinisme pour se forger une stratégie de conquête du pouvoir, Mao est devenu un exemple pour les petits-bourgeois nationalistes radicaux dans les pays pauvres ; mieux, leur maître à penser pour toute une période historique.

Mao a fait depuis bien des émules. Nous ne parlerons pas de ceux des dirigeants nationalistes, parvenus au pouvoir par un coup d'État militaire (sans aucune mobilisation révolutionnaire ou cette mobilisation ayant été brisée dés le début), qui ont utilisé une phraséologie « socialiste » ou « communiste » susceptible de tromper les masses non point pour accéder au pouvoir dans le cadre d'une révolution, mais au contraire, pour l'éviter. De l'Ethiopie de Mengistu au Congo Brazzaville des colonels, les pays sous-développés en regorgent.

Nous parlerons des cas, tout de même plus exceptionnels, où ont surgi, au sein de la petite bourgeoisie radicale, des organisations nationalistes, révolutionnaires dans le plein sens du terme, visant consciemment la direction d'un processus révolutionnaire, l'anticipant, voire tentant de le provoquer, mais qui en même temps, de par leur programme, de par leurs perspectives, se placent sur le terrain de la bourgeoisie.

Certaines de ces organisations, ont procédé - ou ont laissé certaines masses (paysannes ou petites bourgeoises urbaines) procéder dans certaines limites - à de profondes transformations sociales progressistes. D'autres non seulement se sont refusé à toucher à certains aspects particulièrement arriérés de leur société, mais ont utilisé au contraire ces aspects arriérés au profit de leur politique (Algérie).

Certains des régimes créés par ces organisations ont été contraints, pour résister à la pression de l'impérialisme, d' étatiser tout ou partie de leur grande industrie, voire de leur agriculture, transformations qui finirent par se retourner dans une certaine mesure contre les bourgeois de leur propre pays (Chine, Cuba).

Mais au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à peu près tous les États de pays capitalistes, voire impérialistes comme la France, procédèrent à des nationalisations importantes pour pallier les défaillances de leur bourgeoisie et ces nationalisations en Chine ou à Cuba, n'eurent rien d'une expropriation radicale comme celle qui fut exécutée par la révolution prolétarienne en Russie. Les bourgeois d'une certaine taille eurent la possibilité de se retourner, et d'exporter leurs capitaux à Taïwan, Hong-Kong, Singapour ou ailleurs.

D'autres de ces régimes en sont toujours à la recherche désespérée de la reconnaissance politique de la part de leur propre bourgeoisie (Nicaragua).

Par dela la diversité des situations, il y a un certain nombre de traits en commun dans la politique de toutes ces organisations. Directement ou indirectement, elles ont toutes puisé chez Mao, qui a en quelque sorte codifié ce qu'une direction nationaliste bourgeoise pouvait faire devait faire, ou ne devait surtout pas faire pour canaliser et dominer un mouvement révolutionnaire de masse. Mao leur a fourni, en quelque sorte, clé en main :

- une idéologie : d'abord nationaliste mais se prétendant socialiste,

- une stratégie d'unité nationale : le bloc des classes (dites révolutionnaires) contre la lutte des classes,

- un modèle de pouvoir : le parti unique (ouvertement ou sous le couvert d'un « front » ),

- une tactique de conquête de pouvoir : création, par l'utilisation de méthodes terroristes dans les villes ou/et par la mise sur pied d'une armée de guérilla dans les campagnes, d'un appareil militaire auquel les masses qui s'engagent dans la lutte sont obligés de se rallier sans pouvoir le contrôler,

- l'utilisation d'un danger extérieur, réel ou artificiellement attisé, pour justifier, une fois au pouvoir, les sacrifices demandés aux masses, ainsi que la dictature et l'absence de libertés.

 

Une stratégie d'unité nationale : le bloc des classes contre la lutte de classe

 

Ces organisations nationalistes révolutionnaires ont en commun de vouloir utiliser l'énergie révolutionnaire des masses. C'est la seule énergie opposable à la force militaire d'une puissance impérialiste tutélaire - sous une forme coloniale ou non - et souvent, à la dictature de la clique en place. Elles sont déterminées à « mobiliser » les masses au service de leur objectif politique affiché : bouter dehors, qui une dictature corrompue et inefficace du point de vue même d'un certain développement bourgeois, qui une puissance impérialiste occupante. (Avec, pour certaines d'entre elles, des illusions sur la possibilité de réaliser tout cela - en évitant l'extension internationale précisément.)

Mais, dés le début de sa mise en place, l'appareil construit par les bourgeois nationalistes, est l'embryon de leur futur appareil d'État. C'est-à-dire ce « pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper les conflits, les maintenir dans les limites de l'ordre » - pour reprendre l'expression d'Engels parlant de l'État. Un pouvoir destiné à estomper, à limiter la lutte de classe - en limitant, en estompant, et au besoin en écrasant, celle des classes exploitées.

Le problème majeur des nationalistes bourgeois est d'empêcher que la lutte des classes exploitées se développe à la faveur de la mobilisation contre l'oppression coloniale, nationale ou dictatoriale combattue - sans pour autant que les masses se démobilisent.

C'est pourquoi toutes les organisations nationalistes bourgeoises sans exception combattent l'idée même de la lutte de classe. Parfois directement, sans même de nuances verbales, en se revendiquant ouvertement de l'anti-communisme. Parfois - ce sont les nationalistes d'origine stalinienne surtout qui s'en sont fait une spécialité - en présentant comme une forme de la lutte de classe une adaptation indispensable de la lutte de classe aux nécessités de la révolution nationale, la lutte d'un « bloc » de plusieurs classes contre « l'ennemi commun ».

Mao parlait du « bloc des quatre classes ». D'autres, de « un seul peuple, un seul combat, jusqu'à la victoire », voire « un seul peuple, un seul parti » - en oubliant de se prononcer sur ce qui adviendrait après la victoire.

Certaines de ces organisations nationalistes, tout en reconnaissant verbalement la lutte de classes, et plus spécialement la lutte de la classe ouvrière, affirment que tout cela n'aura une légitimité que...dans une « deuxième étape », une fois la mobilisation révolutionnaire en cours terminée.

Au-delà des différences dans le jargon, toutes les organisations nationalistes bourgeoises mènent une lutte impitoyable, violente, sinon toujours contre toute manifestation spécifique de la lutte de classe des ouvriers - cela n'est pas nécessairement dans leurs moyens - mais en tous les cas, contre toutes les organisations, tous les militants qui se placent du point de vue de la lutte de classe du prolétariat et qui défendent leur point de vue au sein de celui-ci.

Le nationalisme, l'idée que toutes les classes sociales d'une nation ont en commun des interêts qui les opposent toutes, collectivement, à d'autres nations, prises également collectivement, sert pour les dirigeants nationalistes révolutionnaires d'antidote à la lutte de classe. Elle leur sert à tromper leurs classes exploitées, à leur faire croire que la bourgeoisie « nationale » est leur amie, alors que le prolétariat, non seulement de la puissance impérialiste oppressive, mais même des autres nations, fait partie des forces adverses.

D'où l'attitude, absolument commune à toutes les organisations nationalistes sous tous les cieux, qui consiste à créer toute une symbolique nationale, tirée du présent, du passé ou inventée de toutes pièces : drapeaux, hymnes, symboles, « héros national », voire façon de vivre ou langue.

Peu importe de savoir si Arafat a un goût personnel pour le port du keffieh si des intellectuels nationalistes africains vivant dans des villas pourvues de tout le confort moderne croient qu'il est réellement bon pour leurs peuples de revenir à la société et aux conditions de vie précoloniales, si les dirigeants de la guérilla nationaliste du Salvador croient sérieusement aux « spécificités nationales » que leurs cadres tentent de mettre en évidence pour faire croire que le combat du peuple du Salvador est tout à fait différent de celui du peuple guatémaltèque voisin. Toute cette symbolique nationale vise à rendre tangible, incontestable pour les masses, « l'identité nationale », la communauté d'intérêts. Elle vise par la même occasion à rendre haïssable tout ce qui divise, tout ce qui affaiblit l'unité, et explicitement la lutte de classes.

 

Un modèle de pouvoir : le parti unique et l'absence de démocratie

 

Pour les révolutionnaires prolétariens, la révolution est avant tout une explosion sociale. C'est précisément parce qu'elle l'est, parce que, pour reprendre l'expression de Lénine (La maladie infantile...) « la révolution est...l'oeuvre de la conscience, de la volonté, de la passion, de l'imagination de dizaines de millions d'hommes aiguillonnés par la plus âpre lutte des classes » et précisément dans la mesure où la lutte de classe demeure le moteur de la révolution et que le prolétariat est capable d'aller jusqu'au bout de sa lutte de classe, que la révolution prolétarienne pourra être ce formidable instrument de transformation sociale capable de détruire de fond en comble l'organisation capitaliste de la société, et de jeter les bases d'une organisation sociale toute différente.

Les révolutionnaires prolétariens militent pour que la classe ouvrière s'empare du pouvoir étatique et l'exerce elle-même.

La capacité de diriger l'État n'est cependant pas innée dans la classe ouvrière. C'est la révolution elle-même qui est une formidable école d'apprentissage. Elle est la seule possible pour de larges masses. Quand Lénine parlait d'un État où même une cuisinière serait capable d'assumer des fonctions de direction, il ne parlait ni de l'État tel qu'il est, ni de la cuisinière telle qu'elle est avec le poids de la société d'exploitation sur les épaules et ses préjugés dans la tête. Il parlait d'un pouvoir d'État tel que pouvaient en créer les masses exploitées elles-mêmes dans la révolution et de cuisinières ayant traversé l'école d'apprentissage de la révolution, avec ses multitudes de tâches, d'épreuves, de leçons, de rebondissements, au cours desquels les masses prolétariennes apprennent à juger des classes, des partis, des hommes.

C'est pour cela que Lénine insistait sur le fait que, « la classe révolutionnaire, pour remplir sa tâche, doit savoir prendre possession de toutes les formes et de tous les côtés de l'activité sociale... ».

C'est pour cela que la politique des révolutionnaires prolétariens dans la révolution est de mettre l'accent, de pousser jusqu'au bout, les aspects de classe de la lutte.

C'est pour cela qu'ils sont pour que les classes exploitées s'organisent de façon indépendante des autres classes sociales.

C'est pour cela qu'ils sont pour que les idées et les politiques s'expriment le plus largement, le plus démocratiquement possible, afin que les classes exploitées puissent juger, choisir, prendre conscience de la politique des uns et des autres.

C'est pour cela que les révolutionnaires prolétariens ne tentent en aucune façon d'imposer d'en haut un schéma, une démarche uniques, mais partent des formes que les masses trouvent elles-mêmes dans la lutte, pour les développer ; c'est pour cela qu'ils aident les masses exploitées à dominer toutes les formes de la lutte : légales et illégales, parlementaires et militaires, revendicatives et politiques.

Le prolétariat ne peut apprendre à diriger l'État qu'en dirigeant ses propres luttes, et en apprenant à diriger également les luttes de l'ensemble des classes exploitées.

Les nationalistes bourgeois, même révolutionnaires, n'ont pas pour objectif que le prolétariat dirige l'État issu de la révolution. Ils ont l'objectif rigoureusement opposé. Ils veulent un État capable d'opprimer le prolétariat, construit en conséquence à l'abri du prolétariat. Leur politique au cours de la lutte, leurs méthodes, leur comportement sont subordonnés à cet objectif.

Pour les organisations nationalistes, il ne s'agit pas seulement de combattre l'idée même de la lutte de classe. Il s'agit de l'étouffer avant qu'elle ne se développe. Il s'agit d'imposer, à l'intérieur même du mouvement révolutionnaire, et avant qu'il ne débouche sur la victoire, la dictature d'un parti unique, d'une direction unique censée incarner l'efficacité de la lutte et à laquelle tous les combattants doivent discipline et obéissance. Ce sont les nécessités de la lutte, son efficacité qui sont présentées comme justification, lorsque la direction nationaliste éprouve le besoin d'en présenter une. Mais les nécessités de la lutte révolutionnaire n'exigent nullement que les masses éveillées à la révolution s'enferment dés le début dans les choix et dans le programme politique d'un petit groupe de petits bourgeois nationalistes ayant pris l'initiative de la lutte.

L'affrontement politique entre partis n'a certainement pas été un obstacle à la victoire de la révolution en Russie. Au contraire, il en a été la condition. Sans la possibilité pour le parti bolchévik, largement minoritaire au début de la révolution, de démontrer la validité de sa politique aux yeux de larges masses, les mencheviks et les socialistes révolutionnaires qui avaient l'oreille des masses, auraient pu trahir cent fois la révolution, avant d'être probablement écartés à leur tour par un quelconque militaire à la Kornilov.

La révolution française elle-même, toute bourgeoise qu'elle fut de par son contenu de classe et ses résultats, n'a été une des plus grandes - et des plus efficaces ! - révolutions que par l'activité large, démocratique des masses, par les affrontements politiques en son sein, par les choix successifs que les masses révolutionnaires ont pu faire, du monarchisme constitutionnel au jacobinisme.

Mais c'est précisément cela que les organisations nationalistes bourgeoises veulent absolument éviter. C'est précisément pour cela que, même lorsqu'elles ne parviennent pas à imposer la dictature d'un parti unique au sein du mouvement, elles cherchent à regrouper des partis formellement existants et indépendants, comme dans le mouvement nationaliste palestinien ou comme au Nicaragua, dans des Fronts. Les participants à ces fronts peuvent dans certains cas débattre librement de leurs propositions respectives, changer même éventuellement de majorité et de politique en fonction des rapports de forces et du contexte mais toujours au sommet, toujours au travers d'affrontements feutrés - même lorsqu'ils sont violents - qui n'ont pour arène que la direction ou éventuellement l'appareil, mais jamais en donnant aux masses révolutionnaires la possibilité d'arbitrer les affrontements.

La constitution d'un « front » plus ou moins monolithique est d'ailleurs une attitude quasi générale de la part des organisations nationalistes. Vis-à-vis des masses, le fait que le mouvement soit dirigé par un « front », et non pas par un parti, tient lieu d'ersatz de démocratie. C'est une façon d'affirmer que toutes les tendances politiques, tous les courants d'idées, toutes les composantes de la « nation » participent à la lutte.

Du moins les composantes « saines », les composantes « patriotiques ». Parce qu'a contrario ceux qui n'acceptent pas d'y participer, fournissent par là-même la démonstration que ce sont des ennemis qui doivent être détruits.

La phraséologie de ces « fronts » utilise les sentiments unitaires des masses en lutte pour justifier les « fronts » et la direction nationaliste utilise les « fronts » pour faire taire les différences politiques, et pour enlever aux masses la possibilité de comparer, de juger et de choisir entre des politiques différentes dans le feu des événements.

Le FLN algérien a massacré le MNA qui ne représentait pourtant pas une politique radicalement différente de la sienne.

Dans le mouvement nationaliste palestinien qui, lui, est un conglomérat de plusieurs partis, chacun avec une certaine assise, avec ses appareils militaires propres à l'intérieur de l'appareil, jamais personne n'a trahi la convention consistant à ne pas engager la lutte politique publique, même lorsque les rivalités entre tendances se réglaient à coup de mitraillettes.

Les directions nationalistes bourgeoises qui refusent la démocratie dans le mouvement au nom de l'efficacité de la lutte, n'en viennent pas pour autant à la démocratie une fois parvenues au pouvoir. Tous les régimes sans exception créés par des nationalistes bourgeois sont des dictatures, même lorsque celles-ci ne revêtent pas la forme d'une dictature personnelle comme en Chine sous Mao, comme en Algérie sous Ben Bella ou Boumédienne, etc et même lorsqu'elles ne relèvent pas de la folie féroce comme le régime de Pol Pot au Cambodge.

Les Fronts mis en place par des organisations nationalistes révolutionnaires, lorsqu'ils rencontrent l'oreille et les sentiments unitaires des masses, exigent de la part des révolutionnaires prolétariens une politique et une tactique adaptées. Mais il n'est évidemment pas question, de la part de révolutionnaires prolétariens, d'abandonner leur indépendance politique - et les moyens organisationnels pour l'assurer - et de se fondre dans de tels fronts. Ce serait un suicide politique, et ce serait de toute façon abandonner le terrain du prolétariat.

 

Une tactique de conquête du pouvoir : terrorisme et guerilla

 

Bien des organisations nationalistes révolutionnaires se sont implantées avec un programme social inexistant, ou extrêmement modéré voire conservateur. Le mouvement sandiniste au Nicaragua non seulement n'a pas cherché à propager dans la classe ouvrière des revendications propres, désireux qu'il était de plaire à la bourgeoisie nationale, mais il n'a même pas cherché à s'attirer la sympathie de la paysannerie sans terre avec un programme de confiscation de la grande propriété foncière au profit de la paysannerie pauvre.

Dans le programme du FLN algérien, l'indépendance nationale tenait lieu d'alpha et d'oméga pour les revendications, rien pour la classe ouvrière, rien pour la paysannerie pauvre.

Les nationalistes qui combattaient « le pouvoir blanc ségrégationniste » en Rhodésie devenu Zimbabwé, ont simplement « oublié » que ce n'est pas seulement du droit de vote que la minorité blanche s'était fait un monopole, mais aussi, de la possession des meilleures terres. Les Mugabé et Cie proposaient à leur peuple d'arracher à la minorité blanche le monopole du vote mais pas d'arracher à la minorité privilégiée de cette minorité blanche la possession des terres fertiles.

Mais même les organisations nationalistes qui ont eu la plus grande réputation de radicalisme ne se sont pas battues au nom d'un programme de transformations sociales et économiques hardies.

Même le Parti Communiste Chinois, qui a eu pourtant en l947 la capacité de se mettre à la tête de la révolte paysanne, déclenchée indépendamment de lui, et d'en épouser les revendications - ce grâce à quoi la classe féodale fut, en effet, radicalement extirpée des campagnes chinoises - avait gommé de son programme, pendant toute la durée de la guerre sino-japonaise - et même après, jusqu'en l946 - une réforme agraire un peu radicale.

C'est le radicalisme dans les méthodes militaires qui tient lieu de substitut au radicalisme en politique.

S'appuyant sur la constatation largement partagée par les masses opprimées que le pouvoir en place tient par la violence des armes, les nationalistes mettent en avant les tâches purement militaires pour réduire au silence politique les masses exploitées.

Il ne s'agit jamais pour les nationalistes de donner aux masses en lutte les moyens militaires correspondant aux nécessités de leur propre combat. Il s'agit d'embrigader militairement les masses derrière le combat de la direction nationaliste.

Il ne s'agit pas de les amener à trouver les moyens de se défendre ou d'attaquer elles-mêmes. Il s'agit de les amener à la conviction qu'elles ne peuvent être défendues que par l'organisation nationaliste, et qu'en conséquence, si elles veulent combattre le pouvoir en place, elles doivent se mettre sous la direction de l'organisation nationaliste et de son appareil militaire.

Depuis la constitution des premiers groupes terroristes, jusqu'à la constitution de véritables armées de guérilla, le problème des nationalistes est de constituer des appareils militaires susceptibles de montrer que leurs initiateurs ont engagé la lutte armée, mais sont capables, aussi, de maintenir l'ordre dans les rangs du mouvement. Comme l'appareil d'État qui sera issu de ces appareils militaires, devra être capable de maintenir l'ordre au sein de la société.

 

Face au danger extérieur : l'unité nationale contre l'extension internationale de la révolution

 

Grâce à ces méthodes, des directions nationalistes bourgeoises ont donc su, dans plusieurs circonstances, prendre et conserver la tête de mouvements révolutionnaires de masse.

Ce faisant, elles n'ont certainement pas assumé les tâches historiques du prolétariat international, contrairement aux balivernes du Secrétariat Unifié ou de ceux qui en sont issus.

Ont-elles seulement assumé les tâches d'une révolution bourgeoise démocratique conséquente, au sens où les avait assumées en son temps la direction jacobine de la révolution française ; au sens où Trotsky l'entendait lorsqu'il disait que la bourgeoisie et les forces politiques qui se situent sur son terrain, ne sont plus capables de les assumer ?

Même pas.

Dans leurs méthodes respectives, il y a un monde de différences entre la démocratie révolutionnaire du jacobinisme, et le bureaucratisme révolutionnaire de ses successeurs tardifs des pays pauvres. En dedans comme en dehors d'ailleurs. La révolution jacobine était révolutionnaire jusqu'au bout, par rapport aux possibilités de l'époque. Elle ne cherchait pas à se confiner dans des limites nationales : elle ambitionnait de changer l'Europe, voire le monde. Elle ne craignait pas que la révolution française entraîne une réaction en chaîne révolutionnaire en Europe : elle le recherchait consciemment. La bourgeoisie et la petite-bourgeoisie françaises de l'époque étaient assez révolutionnaires pour faire surgir de leurs rangs des hommes, des forces politiques pour accepter et pour vouloir que leur révolution soit contagieuse.

Au contraire, la direction nationaliste algérienne ne voulait surtout pas que la révolution algérienne s'étende ne serait-ce qu'à l'intérieur des mêmes peuples arabes ou berbères du Maroc ou de la Tunisie voisins, soumis pourtant à la même oppression coloniale du même impérialisme français. Une fois au pouvoir, elle attisa même un nationalisme anti-marocain - en se servant du nationalisme anti-algérien de la monarchie marocaine - au point que les deux nationalismes opposés conduisirent à une guerre imbécile entre les deux peuples, pour justifier leur dictature et pour tenter de conforter leur base populaire.

Pas plus que la direction nationaliste du Nicaragua ne veut que la révolution s'étende ne serait-ce que dans cet isthme centre-américain qui constitue du point de vue de la langue, de l'économie, de l'histoire, autrement plus une unité que l'Europe au temps des Jacobins.

Les révolutionnaires nationalistes bourgeois, même les plus radicaux, ne sont révolutionnaires que jusqu'aux limites de leurs frontières plus ou moins nationales, fussent ces limites d'une dérisoire étroitesse, fussent-elles des frontières tout à fait artificielles imposées par les puissances impérialistes. S'ils ont trouvé le moyen et les méthodes pour dominer la révolution, c'est pour mieux lui enlever son caractère entraînant, explosif.

Il y a toujours un moment, au plus tard celui où la révolution risque de dépasser les frontières nationales, où les révolutionnaires nationalistes bourgeois les plus radicaux, les plus conséquents, se retournent en fait contre la révolution et s'opposent à son développement. Et c'est pour celà qu'ils empêchent, dans les faits, la révolution d'accomplir ce que, en d'autres temps, les révolutions bourgeoises-démocratiques ont accompli.

Car ni l'Algérie, ni Cuba, ni le Vietnam, ni même la Chine malgré l'immensité de son territoire, n'ont réussi à créer des régimes démocratiques, même au sens bourgeois du terme ; ils n'ont pas permis un développement réel des forces productives ; ils n'ont même pas réussi à libérer leurs peuples de l'oppression impérialiste ni économiquement bien sûr, ni même politiquement.

Trotsky écrivait il y a quelque soixante ans :

« Pour les pays à développement bourgeois retardataire, et en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes ». Malgré l'expérience de la révolution chinoise de l948, de l'Algérie, de Cuba, du Nicaragua, etc. ces lignes gardent toute leur valeur. L'histoire les a confirmées à sa manière, y compris au travers de ces expériences-là.

Partager