Trotskysme ou anarchisme : Les vrais problèmes - réponse de l'Union Communiste Internationaliste01/09/19871987Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1987/09/11_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Trotskysme ou anarchisme : Les vrais problèmes - réponse de l'Union Communiste Internationaliste

Voilà bien le type de discussions, stériles à notre avis, auxquelles nous ne tenons pas du tout à nous livrer. On peut affirmer sans se tromper que tout a été dit et écrit, maintes et maintes fois sur les questions soulevées par ce texte. D'abord, du vivant de Trotsky, puis dans la période 1940-1960 où se sont produits la plupart des changements dans la situation mondiale qui pouvaient poser problème (pays du glacis de 1945 à 1948, Chine 1947-49, Cuba 1960).

Depuis, rien de nouveau n'a pu être apporté, en tout cas rien de nouveau par des révolutionnaires prolétariens ayant une quelconque expérience vécue d'un processus révolutionnaire réel (à moins qu'on ne tienne pour des révolutionnaires prolétariens Tito, Mao, Castro, Guevara, Ho Chi Minh et Ben Bella et même eux, ils n'ont de fait pas ajouté grand-chose aux contributions « théoriques » du stalinisme).

Alors, à quoi bon discuter sans cesse de ces problèmes. Nous ne nous convaincrons pas par la discussion.

Que chacun s'empare donc de sa théorie pour agir, s'il le peut. Et c'est sur les actes que nous pourrons juger de la valeur pratique, réelle de telle ou telle analyse. Bien sûr, c'est ce que chacun prétend faire, en se contentant de son immobilisme, ou en se servant de sa petite taille pour l'excuser.

Mais n'y a-t-il pas autre chose à faire entre groupes qui se veulent révolutionnaires ?

Il est évident que si un groupe réussit à diriger dans un pays quelconque, même petit, une révolution prolétarienne, il confirmera par là-même - à tort ou à raison - la valeur de ses analyses. Mais sans attendre cela, n'y a-t-il pas aujourd'hui d'autres confrontations possibles ? Des confrontations qui ne soient pas uniquement la reproduction sans fin de raisonnements qui sont rudimentaires pour les uns, et des contorsions pour les autres.

N'y a-t-il pas dans nos pratiques militantes aux uns et aux autres, dans nos analyses quotidiennes, des exemples concrets qui permettent de vérifier à la lumière des faits telle ou telle analyse, ou de vérifier comment telle ou telle théorie inspire réellement, ou n'inspire pas du tout, nos analyses quotidiennes ? N'y a-t-il pas dans notre travail, tout simplement des choses dont les uns et les autres peuvent s'enrichir, chacun gardant l'activité politique de son choix (ou en changeant s'il le souhaite) ? Ce dont souffrent le plus nos groupes, c'est de leur petite taille sur des années et des années, compromettant ainsi la formation et la qualification des plus jeunes et, souvent, déformant les plus vieux. Voilà la confrontation que nous proposons, voilà la discussion que nous souhaitons et qui n'est pas celle sur laquelle se jettent, après d'innombrables autres, les camarades de la RSL.

Certains en tireront comme conclusion que nous fuyons la discussion théorique. Libre à eux. A notre époque, nous avons beaucoup de théories et de candidats théoriciens, mais pour lesquels il nous manque malheureusement pas mal de vérifications pratiques et de candidats à de telles vérifications.

Voilà pourquoi nous souhaitons que des échanges réels soient possibles : pour confronter des expériences.

Si ces confrontations sont si difficiles, n'est-ce pas malheureusement parce que beaucoup de groupes ne militent pas réellement et se contentent de camper sur des positions « théoriques » qui leur semblent résoudre tout par elles-mêmes et remplacer l'action au lieu de l'inspirer.

S'il est un phénomène auquel nous avons assisté d'innombrables fois dans l'extrême-gauche et plus spécialement dans le mouvement trotskyste depuis plus de cinquante ans, c'est bien celui-ci. Devant leurs propres échecs ou incapacités, et celui des autres révolutionnaires contemporains, des groupes ou des militants se mettent en quête de ce qui est erroné non pas dans leurs propres activités ou analyses quotidiennes mais dans les théories et les programmes du passé. Foin des « contorsions théoriques », « inextricables » ou pas : sans théorie révolutionnaire pas d'action révolutionnaire, donc si l'action n'existe pas, c'est que la théorie était mauvaise. CQFD.

Habituellement les groupes dits « capitalistes d'État » (c'est-à-dire ceux qui définissent l'URSS comme un capitalisme d'État) se contentent de mettre en cause Trotsky et ses analyses. Les camarades de la Revolutionary Socialist League, eux, n'y vont pas par quatre chemins. S'ils n'ont pas réussi, c'est la faute non seulement de Trotsky, mais aussi de Lénine et de Marx lui-même.

C'est donc du côté de l'anarchisme qu'ils regardent pour corriger les erreurs de Marx, tout en se réservant de ne prendre qu'une pincée de cet anarchisme comme ils ne prennent qu'une pincée de marxisme. Mais l'éclectisme ici n'est pas seulement un déguisement du scepticisme et un élégant moyen de prendre ses distances avec tout le mouvement révolutionnaire passé, c'est aussi une façon d'éviter de pousser ses idées jusqu'au bout... même si ce renoncement se cache sous le prétexte de repenser la théorie et la pratique, de faire une nouvelle « synthèse ».

Mais si nous partons de l'idée que les échecs du mouvement révolutionnaire prolétarien contemporain doivent nous amener à nous poser des questions sur la validité des théories et des analyses fondamentales sur lesquelles il s'appuie, est-ce vraiment sérieux d'en appeler contre Marx à l'anarchisme ? Car si depuis plus de cent ans, depuis que marxisme et anarchisme se sont affrontés comme théories, méthodes, pensées et pratiques opposées, le bilan du premier, aussi bien pour l'analyse et la compréhension du monde que pour l'impact sur celui-ci, n'est-il pas immense alors que celui du second est nul ? Et même si l'on peut dresser aujourd'hui une sorte de constat d'impuissance apparente du mouvement trotskyste, n'est-ce pas la même chose pour le mouvement anarchiste et même en pire, d'autant plus que celui-ci a un passé bien plus long, et a connu àcertaines périodes et dans certains pays, des possibilités que le mouvement trotskyste n'a encore jamais connues, mais que le mouvement anarchiste a été totalement incapable d'utiliser.

Mais cela ne semble pas effleurer les camarades de la RSL. Car il y a une question de méthode et de raisonnement à laquelle ils ne semblent prêter aucune attention et qui est pourtant fondamentale.

On a, bien entendu, le droit de se poser des questions et de remettre en cause n'importe quelle analyse et théorie, même les plus fondamentales. Mais à condition de le faire sérieusement, scientifiquement pourrait-on dire, c'est-à-dire de démontrer, par le raisonnement et par la pratique, en quoi cette théorie était erronée et quelles erreurs elle a entraînées en conséquence en politique.

Ainsi depuis quarante ou cinquante ans les « capitalistes d'État » de toutes sortes vont répétant que l'erreur de Trotsky est d'avoir analysé l'État soviétique comme un « État ouvrier dégénéré ». Mais aucun n'a jamais réellement pris la peine de démontrer en quoi c'est cette analyse qui pesait sur le mouvement trotskyste et empêchait le développement du mouvement révolutionnaire prolétarien aujourd'hui. Ni en théorie ni en pratique d'ailleurs, car depuis les groupes capitalistes d'État n'ont pas connu plus de succès que les groupes trotskystes « orthodoxes », en fait plutôt moins d'ailleurs. Et c'est vrai aux USA comme ailleurs, en particulier pour le courant « capitaliste d'État » dont la RSL est issue.

Par ailleurs les camarades de la RSL nous ont mal lus ou mal compris. Nous ne proposons nullement de « réorganiser toutes les organisations trotskystes actuellement existantes dans une nouvelle « Quatrième Internationale » .

Nous nous proposons de construire (pas tout seuls évidemment, nous l'espérons bien) une nouvelle internationale prolétarienne révolutionnaire. Ce parti mondial de la révolution prolétarienne, il est à construire, c'est-à-dire qu'il s'agit de développer organisationnellement et politiquement l'embryon ou les embryons existants de mouvement prolétarien révolutionnaire. En admettant que ce soit possible (ce qui ne l'est pas), réorganiser ensemble tous les groupes trotskystes existant dans une même organisation internationale ne créérait nullement une véritable internationale révolutionnaire. Au mieux cela nous mettrait en une situation légèrement meilleure pour commencer de le faire, à condition que cette organisation fonctionne sur une certaine base et qu'elle ne croie pas précisément qu'elle est « l'internationale ». C'est cela que nous avons proposé aux autres groupes trotskystes, rien de plus.

Par quelles épreuves, expériences et épisodes divers passera cette construction du parti mondial de la révolution prolétarienne, nous n'avons évidemment pas la prétention de le deviner ni de le prévoir. Pas plus que nous n'avons la prétention de décider qui le composera. Il est de bon ton, par exemple, parmi les groupes révolutionnaires des États-Unis, de stigmatiser l'orientation actuelle du Socialist Workers Party et de feindre de le considérer comme irrémédiablement perdu pour le mouvement révolutionnaire prolétarien. Certes nous critiquons sans concession et condamnons l'orientation actuelle du SWP, son procastrisme affiché et son rejet d'une partie de la tradition trotskyste (tout en sachant que le SWP ne fait que pousser plus loin une tendance qui est celle de bon nombre d'autres organisations trotskystes... ou « capitalistes d'État » ). Mais nous aurions garde d'oublier que le SWP a aussi un petit bilan, notamment de tentative d'activité militante dans la classe ouvrière américaine, que ne peuvent certainement même pas présenter la plupart des plus petits groupes qui le condamnent sans appel et sans nuance aujourd'hui. Pour dire les choses honnêtement, nous ne sommes pas en mesure de savoir aujourd'hui si c'est avec les militants du SWP ou ceux de la RSL que nous pourrons nous retrouver et travailler demain, et a fortiori encore moins dans la future internationale. La réponse, bien sûr, dépend en partie du moins de la RSL.

Les camarades de la RSL expliquent que pour construire la Troisième Internationale Lénine et Trotsky s'efforcèrent d'attirer « non seulement des marxistes mais aussi des anarchistes révolutionnaires, des syndicalistes, des socialistes de sectes diverses, les IWW américains et d'autres socialistes libertaires » . Passons sur le fait que la situation des événements, la taille, l'impact du mouvement révolutionnaire au moment de la création de la Troisième Internationale et aujourd'hui ont tellement peu de choses à voir que toute comparaison frise immédiatement le ridicule. Mais tous ces gens d'origines diverses étaient invités à adhérer à une organisation bolchévique, léniniste, marxiste, c'est-à-dire à un programme bien précis et pas simplement à se rassembler autour de notions aussi vagues que « liberté et socialisme ». Ils adhéraient à la Troisième Internationale justement parce qu'ils reconnaissaient que la preuve avait été faite de la supériorité des théories et des méthodes du bolchévisme (c'est-à-dire encore une fois du marxisme révolutionnaire) pour conduire à la révolution prolétarienne. Et ceux qui ne les avaient pas vraiment comprises et n'y avaient adhéré que formellement ne restèrent pas longtemps dans la Troisième Internationale, la quittant bien avant que le stalinisme la dénature.

Là repose toute la contradiction de l'attitude et des propositions de la RSL.

D'un côté elle prétend mettre l'accent sur l'importance d'une théorie et d'un programme corrects. Elle donne des coups de chapeau polis à Lénine pour avoir souligné cette nécessité. Elle attaque Trotsky sur une prétendue erreur fondamentale dans l'analyse (sans réellement démontrer en quoi c'est une erreur et comment cette erreur entraverait les révolutionnaires prolétariens aujourd'hui dans leur activité et les empêcherait de développer l'organisation révolutionnaire).

Mais de l'autre, dans le but de s'allier au courant libertaire, elle réduit le programme nécessaire àun but des plus vagues, « liberté et socialisme », ce qui revient en fait à jeter par-dessus bord la nécessité de toute analyse et de toute théorie pour s'allier avec des gens qui justement nient cette nécessité. Car c'est bien là la base de l'anarchisme : le refus d'une analyse scientifique du monde et de l'histoire pour donner aux révolutionnaires socialistes une méthode et une politique correcte et efficace, le fait de se contenter d'une attitude (l'anti-autoritarisme) qui n'a jamais conduit qu'aux pires errements ou dans l'impasse, même les militants anarchistes les plus sincères et les meilleurs.

Nous sommes prêts à discuter avec les camarades de la RSL, s'ils le veulent aussi, y compris et surtout des possibilités de travail commun.

Mais nous pensons que la discussion doit porter sur les analyses des révolutionnaires sur le monde actuel et sur l'orientation et la politique qu'il convient d'en déduire pour ces révolutionnaires (en fonction de l'appréciation que nous portons respectivement sur la nature de l'État soviétique, s'ils le souhaitent). Quelle politique, par exemple, doit être celle aujourd'hui des militants révolutionnaires aux États-Unis ? Comment peuvent-ils construire un parti ouvrier révolutionnaire ? Comment implanter le courant révolutionnaire dans le prolétariat américain dont le rôle peut être si important pour le monde entier ?

Bien sûr nous pouvons débattre des analyses de Trotsky ou de Marx, mais en liaison avec leur utilité pour les révolutionnaires d'aujourd'hui, aux États-Unis ou ailleurs, ou leur nocivité. Et sur ce point nous ne craignons guère leur comparaison avec les théories anarchistes : l'histoire nous semble en avoir déjà largement jugé.

Un tel débat, bien entendu, n'a de sens qu'entre militants ou courants dont le but et la préoccupation sont réellement et la révolution prolétarienne à long terme et la construction du parti ouvrier révolutionnaire comme instrument de cette révolution. Pour ces militants et courants ce débat est essentiel et indispensable. Mais le débat pour le débat ne sert à rien, surtout si c'est pour prétendre en substance que l'absence de révolution prolétarienne depuis 70 ans, ou plus simplement l'absence de parti révolutionnaire prolétarien digne de ce nom, n'est dûe qu'à une erreur d'analyse de Trotsky sur la nature de l'État soviétique.

Une discussion sur l'État soviétique est pour le moins difficile, avec des camarades qui, dès qu'un raisonnement sort du syllogisme le plus étroit pour envisager un phénomène dans son évolution, c'est-à-dire avant tout les conditions de sa naissance, considèrent qu'il s'agit de contorsions théoriques et qui agissent de la même façon outrageusement réductionniste envers les écrits, et évidemment, la pensée, de Marx, Lénine ou Trotsky.

Trotsky a écrit maintes et maintes fois après 1929, que le fait que l'URSS n'avait pas renoncé à la propriété d'État était un critère permettant d'affirmer que l'État soviétique était encore ouvrier. Mais il n'a jamais écrit, en général, que le fait, dans un pays quelconque, que l'économie soit étatisée, signifierait que l'État y serait ouvrier. Il n'a parlé que de l'État de la Russie, de l'URSS à un certain moment de son histoire - après la révolution d'Octobre 1917, après le stalinisme, après la collectivisation forcée, pour dire, de cet État de cette URSS-là, qu'il s'agissait là d'un critère valable. Il y a un contexte, une évolution, une dialectique pour tout dire, qui vous semble une contorsion. C'est votre droit. Mais n'attribuez pas ce raisonnement non marxiste à Trotsky.

Par ailleurs, mais c'est lié, vous confondez partout, y compris dans ce que vous dites de nos écrits, société et État. Pas nous. Toutes les sociétés du monde actuel s'interpénètrent, depuis le début du siècle, sans commune mesure avec le passé même récent. Tel État féodal du Moyen-Orient gouverne une société entièrement capitaliste et tel État on ne peut plus bourgeois d'Afrique gouverne une société encore entièrement marquée par le féodalisme.

Aucun État, même les États des pays impérialistes ne représente que la société du territoire auquel il impose sa loi. Là aussi, la croyance qu'à l'intérieur de frontières nationales, mêmes étroites, une forme de société a automatiquement la forme d'État qui lui correspond dans l'histoire des sociétés et des États, est une réduction du marxisme réservée d'ordinaire à ses détracteurs.

Selon vous, la nature de l'État dépend des formes de propriété du pays qu'il dirige. Et donc deux pays ayant les mêmes formes de propriété ont ipso facto un État de même nature, quels que soient l'histoire de cet État, la façon dont il est né, et son devenir. De fait, c'est une méthode de raisonnement strictement comparable avec le nationalisme de Staline, strictement comparable avec l'idée du socialisme dans un seul pays.

Même chose en ce que vous dites des « deux Trotsky », celui du Terrorisme et Communisme de la guerre civile, et celui du Programme de Transition. Non seulement toute idée de période, de situation, vous est étrangère, installés que vous êtes sur des formules, mais de plus vous semblez ne pas considérer que, pour tous les révolutionnaires marxistes, le socialisme, le communisme ne peuvent exister, ne peuvent donc être réellement démocratiques, qu'à l'échelle mondiale. Ce n'est pas repenser Marx pour lui ajouter un peu de démocratie qu'il faut, c'est faire la révolution mondiale. Est-ce votre problème, toute la question est là.

 

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