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- Lutte de Classe n°11
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Italie : après les élections de juin - L'extrême gauche dans ces élections
Les élections ne sont certes pas le principal terrain sur lequel les révolutionnaires doivent se mesurer aux organisations réformistes qui exercent l'influence principale au sein de la classe ouvrière.
Pourtant, dans la situation italienne, au cours des élections qui se sont déroulées au mois de juin, des révolutionnaires prolétariens auraient eu bien des choses à dire aux travailleurs pour dénoncer la politique menée par ces organisations - tant le Parti Socialiste de Craxi que le Parti Communiste - en se servant de la tribune électorale pour réaffirmer que l'unique voie pour les travailleurs, face à l'électoralisme sans perspective de ces partis, serait le recours à leurs propres armes, celles de la lutte de classe. Plus même, en se présentant à ces élections, ils auraient pu permettre, aux travailleurs qui étaient conscients de cela, de se compter sur leurs listes.
Sans doute, les forces de l'extrême-gauche révolutionnaire, en Italie comme ailleurs, sont limitées mais elles existent. Or, force est de constater que, même si c'est pour des raisons différentes, toutes ont d'une façon ou d'une autre tourné le dos à cette possibilité.
La principale formation qui se situe à la gauche du Parti Communiste Italien est Democrazia Proletaria, petit parti parlementaire dont l'origine remonte à 1976 et qui a regroupé dans ses rangs un certain nombre de militants venant des courants maoïstes et spontanéistes qui s'étaient développés dans les années précédentes. Au sein du Parlement où Democrazia Proletaria avait jusqu'en juin dernier sept députés, ce parti apparaît surtout comme un auxiliaire, un peu turbulent, mais un auxiliaire quand même, du Parti Communiste. Il se présente lui-même comme un « mouvement politique et social pour l'alternative (...) dans la perspective d'un renouvellement radical, pour une société solidaire, libre, démocratique, autogérée, socialiste » . Sa récente campagne électorale, mis à part le fait qu'elle était plus nettement anti-nucléaire, reprenait à peu près les même thèmes que le PCI : l'environnement, les femmes, la paix, etc. Democrazia Proletaria a défini son axe politique ainsi : « pour construire l'opposition, changer la gauche, préparer l'alternative » . Et c'est sur cette base on ne peut plus vague que Democrazia Proletaria a obtenu près de 650 000 voix aux élections à la Chambre des députés, soit un peu plus qu'aux élections précédentes ; ce qui lui permet d'avoir aujourd'hui non plus sept mais huit représentants à la Chambre.
Il n'y avait certes rien à attendre d'autre de cette formation, qui ne se prétend ni révolutionnaire ni même, malgré son nom, prolétarienne. Mais c'est justement sur ce terrain politique de Democrazia Proletaria, que s'est située la Lega Comunista Rivoluzionaria (LCR), organisation trotskyste membre du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale.
La LCR a en effet réitéré en juin 1987 l'accord qu'elle avait déjà passé en 1983 (pour les élections législatives) et en 1985 (pour les élections régionales) avec Democrazia Proletaria. Le texte commun DP-LCR de ce nouvel accord électoral déclare entre autres : « l'alternative est pour nous l'affirmation dans la société et dans la gauche des besoins et des intérêts des classes subalternes et des valeurs politiques, éthiques et culturelles antithétiques des actuels rapports sociaux et de pouvoir : l'égalitarisme et la solidarité sociale, l'autogestion et la démocratie directe, l'autodétermination des peuples et leur droit à l'auto-décision, la pacifisme unilatéral ». L'accord se conclut ainsi : « L'unité électorale elle-même pour DP et la LCR est donc un moment d'une expérimentation et d'une recherche politique et culturelle à gauche, liée fortement à l'organisation des hommes, au soutien à l'égard des mouvements de lutte, à la sédimentation de la mémoire de classe parmi les gens » .
On peut sans doute difficilement être plus confus et plus vague. Mais cela aboutit politiquement à se confondre avec la gauche en général, au moment où pourtant il serait des plus nécessaires que les révolutionnaires se distinguent clairement aux yeux des militants comme des travailleurs du rang.
En échange de sa signature au bas d'un tel texte, la LCR a pu avoir quelques candidats sur les listes et mener campagne dans le sillage de Democrazia Proletaria. Mais il faut dire que la politique de la LCR se limite déjà le plus souvent, et pas seulement dans les circonstances électorales, à défendre des thèmes proches de ceux de Democrazia Proletaria, bien plus que ceux qu'on pourrait attendre de militants trotskystes.
D'autres organisations ont choisi, quant à elles, la position abstentionniste. Les raisons invoquées, de principe ou de circonstance, ont varié.
Une autre organisation trotskyste par exemple, la Lega Socialista Rivoluzionaria (LSR), organisation proche de la LIT (Ligue Internationale des Travailleurs, regroupement international du programme duquel se réclame le MAS - Movimiento Al Socialismo - d'Argentine), a commencé par rechercher un accord avec d'autres groupes à caractère social, politique, syndical, écologiste ou autre, en vue de la constitution d'hypothétiques listes communes. Pour la LSR, la principale cible à combattre aurait dû être, pour de telles listes, la Démocratie Chrétienne, ce qui en revient, notons-le, à blanchir les partis bourgeois de gauche en particulier le Parti Socialiste, qui vient pourtant d'exercer pendant quatre ans la présidence du Conseil. La LSR proclamait la nécessité d'un regroupement large contre la Démocratie Chrétienne. Elle écrivait, dans l'un de ses éditoriaux, le 29 avril 1987 : « pour les travailleurs, le premier objectif à poursuivre est celui de transformer la campagne électorale en une grande campagne contre la Démocratie Chrétienne » , et elle poursuivait : « le moyen le plus adéquat pour défendre y compris par le vote les exigences des travailleurs, pour donner vie à un programme qui soit authentiquement opposé à la Démocratie Chrétienne et au régime qu'elle gère, pour préparer une alternative véritable de gouvernement pour le prolétariat, est celui de travailler à la formation de listes d'Unité et d'Indépendance de classe » .
Si elles s'étaient réalisées, il est douteux que de telles listes, sur de telles bases, aient pu constituer pour les travailleurs une alternative réelle au vote pour les partis réformistes. Mais de toute façon, elles sont restées au stade de projet, faute pour la LSR de trouver des interlocuteurs avec qui passer accord, et faute semble-t-il pour elle de se sentir prête à assurer seule la politique qu'elle avait ainsi définie. Mais c'est alors qu'on a vu la LSR se réfugier dans l'abstention, soudain baptisée le « seul vote utile » . Cependant, la perspective et le sens attribués à cette abstention demeuraient toujours de « punir la Démocratie Chrétienne qui est le centre inamovible de ce système » . La contradiction entre le fait de s'abstenir et par conséquent de « punir » l'ensemble des partis qui se présentaient (et des partis de gauche plus encore que la Démocratie Chrétienne), et le fait de vouloir avant tout « punir la Démocratie Chrétienne » ne semble pas avoir frappé la LSR. Celle-ci a fait en quelque sorte de pauvreté vertu, attribuant des qualités politiques à une position abstentionniste qui n'a été cependant que le fruit des circonstances.
Pour bien d'autres organisations de toutes tendances (anarchistes, bordiguistes, maoïstes), l'abstention est, en revanche, une position de principe. Parmi celles-ci, Lotta Comunista représente un cas particulier. Se revendiquant du léninisme et en fait marquée par le bordiguisme, cette organisation est la seule parmi les principales organisations de l'extrême-gauche italienne à se poser systématiquement et dans les faits le problème de l'implantation des révolutionnaires dans les entreprises. Au fil des années, elle a, semble-t-il, réussi à organiser un courant réel autour de ses idées parmi les travailleurs d'un certain nombre de grandes entreprises du pays.
Dans la campagne électorale, Lotta Comunista a appuyé sa position abstentionniste, qui est en l'occurence sa position traditionnelle, sur la dénonciation de « la crise irrémédiable » du parlementarisme bourgeois : « Les processus de centralisation, de concentration et d'internationalisation du capital ne trouvent plus dans le Parlement un lieu valable de médiation et de décision mais seulement un lieu de ratification laborieuse des choix faits ailleurs : dans les centres de la finance et de l'industrie, dans les postes-clés du pouvoir gouvernemental et des appareils bureaucratiques et parasitaires de l'État » (tract publié à l'occasion des élections, en mai 1987).
Dans ce tract, Lotta Comunista écrit encore : « Ainsi, aujourd'hui comme hier, les travailleurs sont flattés et trompés afin qu'ils renouvellent le chèque en blanc à ceux qui ont trahi leurs intérêts, déçu leur attente et toujours brisé toute énergie de lutte » . Lotta Comunista concluait ainsi en appelant à l'abstention : « Aujourd'hui comme hier la force des travailleurs reste dans l'organisation, l'autonomie théorique, politique et organisationnelle, dans le développement du parti léniniste » .
C'est en s'appuyant sur ces arguments de principe (qui étaient tout aussi vrais, notons-le, au temps de Lénine et n'empêchaient pas celui-ci de recommander aux Partis Communistes de ne pas négliger de s'adresser aux masses y compris sur le terrain électoral) que Lotta Comunista a donc tourné résolument le dos à l'intervention politique dans les élections, dénonçant en bloc toute la farce électorale et appelant à l'abstentionnisme.
Le résultat de l'attitude des uns et des autres, c'est en tout cas que, dans ces élections, les travailleurs n'ont pu voter pour aucune liste, aucun candidat, aucun militant, se réclamant ouvertement et sans ambiguité de la lutte de classe. De la part de ceux qui auraient eu les moyens matériels et militants de présenter de telles listes, et quelles que soient les raisons qu'ils invoquent pour justifier leur attitude, c'est une démission politique. Une démission dont il est à craindre qu'on la retrouve malheureusement en bien d'autres circonstances, plus graves et plus déterminantes pour la classe ouvrière, que les élections elles-mêmes.