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Avant les législatives de juin
Survenant après un quart de siècle de règne sans partage des partis de la droite, l'arrivée à l'Élysée d'un président appartenant au Parti Socialiste annonce sans aucun doute des changements au sein du personnel politique chargé de gérer les affaires de la bourgeoisie.
Mais quels changements ? Qui obtiendra quel ministère, quelle sera la proportion des ministres socialistes, ou gaullistes de gauche, ou radicaux, ou même, peut-être, communistes ? Cela dépendra en partie - en partie seulement, bien sûr - de la composition du futur Parlement. Il n'est donc pas étonnant que toutes les préoccupations des états-majors politiques se polarisent maintenant autour des prochaines élections législatives.
Évidemment, à quatre ou cinq semaines du premier tour du scrutin, puisque au moment où nous écrivons, nous ne savons pas encore si celui-ci aura lieu le 14 ou le 21 juin, il est impossible de prévoir ce que seront ces législatives. Les résultats dépendent non seulement de l'opinion, sinon de l'humeur, de l'électorat le jour des élections, mais aussi de l'évolution, c'est-à-dire essentiellement des alliances, des différentes forces politiques d'ici là.
Les élections législatives confirmeront-elles la progression du Parti Socialiste ? Quels seront les nouveaux rapports de force au sein de la gauche ? La droite perdra-t-elle ou gardera-t-elle la majorité au sein du Parlement ? S'il est impossible de répondre à ces questions, nous pouvons tout au plus tenter d'esquisser quelles peuvent être la politique probable ou les politiques possibles des différents partis, de voir dans quelles conditions et avec quels enjeux ils vont à cette bataille électorale.
Le PS sur la voie tracée par Mitterrand
Avec Mitterrand, le grand vainqueur des présidentielles a évidemment été le Parti Socialiste. Ses espoirs et ses buts ne peuvent être que de confirmer dans les législatives le score électoral de Mitterrand pour tenter de devenir le grand parti, sinon le parti majoritaire, de la nouvelle Assemblée.
Mitterrand avait bien laissé entendre avant son élection qu'il serait favorable à un scrutin à la proportionnelle. Mais cela semble hors de question dans l'immédiat. Un tel changement nécessiterait que l'Assemblée actuelle se prononce, donc se réunisse avant sa dissolution. Les délais fixés par Mitterrand ne semblent pas le permettre. Et de toute façon, le mode de scrutin actuel, le scrutin uninominal à deux tours, en vigueur depuis le début de la Cinquième République, a toutes les chances d'avantager le Parti Socialiste lors des prochaines législatives. Ce mode de scrutin particulièrement peu démocratique a été mis en place par De Gaulle pour renforcer la représentation à l'Assemblée des partis les plus importants par rapport aux plus faibles. Mais il aboutit aussi à avantager les partis du centre par rapport à ceux des extrêmes, c'est-à-dire le PS par rapport au PCF par exemple.
Bien sûr, le découpage des circonscriptions a été taillé sur mesure pour avantager les partis de droite. Mais lors des élections présidentielles, la majorité a basculé dans un certain nombre de circonscriptions de la droite à la gauche. Et, dans celles, nombreuses, où la droite et la gauche étaient fort près l'une de l'autre, il suffit d'un transfert de voix assez minime pour faire passer le siège à la gauche. En 1978, par exemple, c'est avec 533 voix d'avance sur 26 834 suffrages exprimés que l'UDF avait conquis un siège au PCF dans le 18e arrondissement de Paris.
Pour le Parti Socialiste l'objectif est donc de tenter de refaire aux législatives, et l'opération et les scores que fit Mitterrand aux présidentielles. Si cela était, il pourrait agrandir considérablement sa représentation à l'Assemblée nationale tant aux dépens du PCF sur sa gauche, que de l'UDF ou du RPR, sur sa droite.
Si, en effet, au premier tour, les candidats PS et PCF refaisaient les mêmes scores qu'ont fait respectivement Mitterrand et Marchais, dans la plupart des circonscriptions, même celles qui ont aujourd'hui un député PCF, le candidat de gauche le mieux placé pour le second tour serait le candidat PS.
La politique du Parti Socialiste va donc être logiquement de rechercher un accord électoral avec le Parti Communiste pour un désistement réciproque pour le candidat des deux partis qui sera le mieux placé au second tour. Et, par ailleurs, de chercher à susciter de la part des électeurs de gauche le même réflexe de vote utile qui a permis àMitterrand de récupérer des centaines de milliers de voix d'électeurs ayant voté pour le PCF lors des scrutins précédents.
Bien sûr, les législatives ne sont pas les présidentielles et là où le député est actuellement PCF, ce réflexe a moins de raisons de jouer. Mais d'un autre côté, le fait que le Président soit un socialiste et que les électeurs de gauche, électeurs PCF compris, veulent une Chambre capable de soutenir Mitterrand, joue en faveur du Parti Socialiste.
Pour le PCF : être unitaire pour pouvoir rivaliser
Pour le PCF, si son électorat traditionnel l'abandonnait encore en partie, cela aurait des conséquences plus graves qu'aux présidentielles. A cause du mode de scrutin, en effet, nous l'avons dit, il risque de perdre des sièges de députés en proportion encore plus grande que celle des voix perdues.
Pour parer à cela, il peut tenter de négocier avec le PS un pacte électoral qui ne serait pas un simple accord de désistement réciproque au second tour pour le candidat le mieux placé, et qui réserverait d'avance un certain nombre de circonscriptions aux seuls candidats communistes. Mais, après les élections présidentielles, le PCF est encore moins bien placé pour cela, alors qu'il n'avait déjà pas pu l'obtenir auparavant. Il est encore moins en position de faire un chantage au refus de se désister pour les candidats socialistes. Les électeurs viennent de montrer qu'ils ne le suivraient pas. Et la pression pour voter pour le candidat de gauche le mieux placé sera certainement encore plus grande maintenant
qu'un Président de gauche est élu. Au fond, ce que le PCF peut espérer de mieux des socialistes, qui semblent tenir aujourd'hui la possibilité de réduire son importance électorale et parlementaire, ce sont quelques « fleurs » : que des candidats du PS, même mieux placés, s'effacent, au premier tour ou au second, en faveur de quelques députés du PCF.
S'il n'y avait que cela pour lui faire obstacle, le recul du PCF serait assuré. Il lui faut donc aussi tenter de trouver, vaille que vaille, une politique électorale qui retiendrait ses électeurs et même si possible récupérerait ceux perdus le 26 avril dernier.
Déjà au cours de la campagne des présidentielles, Marchais a mis ses critiques en sourdine, prenant conscience sans doute du désastre qui se préparait. Il s'est montré finalement unitaire bon gré mal gré entre les deux tours en appelant à voter sans condition pour Mitterrand. Cela lui permet de se présenter maintenant comme un des artisans de la victoire de Mitterrand, de se présenter même comme faisant partie intégrante de la majorité présidentielle. Séguy et la CGT ont été mis à contribution pour défendre et appuyer le nouveau cours unitaire du PCF.
Cela nous indique probablement quelle est la politique que le PCF va tenter de suivre aux législatives : se montrer unitaire à tout prix, affirmer qu'il fait partie de la majorité présidentielle de façon à essayer de persuader les électeurs de gauche qu'élire un député PCF, c'est élire un député qui soutiendra Mitterrand. Évidemment le danger dans ce cas pour le PCF c'est que les électeurs ne voyant pas la différence entre le PS et le PCF, préfèrent quand même voter directement pour le PS. Mais comment arriver à se distinguer sans critiquer ni s'opposer ? C'est le problème que le PC a à résoudre d'ici le 14 juin.
A droite, une seule préoccupation : sauver les sièges
A droite, l'annonce de nouvelles élections a donné le signal du branle-bas des négociations et pourparlers sous la houlette de Chirac qui, de diviseur de la droite, est devenu le rassembleur de la majorité défaite. Pour ce parti de notables qu'est l'UDF, comme le RPR, qui n'existe qu'en fonction de la possibilité pour ces notables d'accéder au pouvoir avec les avantages que cela leur procure, la défaite de Giscard a déclenché la fronde. Il n'a pas fallu plus de 48 heures aux députés et anciens ministres pour se désolidariser totalement de leur patron. Abandonnant Giscard àses grincements de dents contre les « trahisons préméditées » d'un Chirac, et Barre à ses pleurs et à ses récriminations contre ceux « qui ont joué à quitte ou double le sort de la majorité », les députés UDF n'ont rien eu de plus pressé que de se réconcilier avec les « traîtres » de la veille. « Pas de querelle de chefs », déclarait un député UDF du Bas-Rhin dans les colonnes du Monde. Cependant que son collègue RPR, se faisant l'écho du sentiment général, s'exclamait : « Giscard veut la peau de Chirac, Chirac veut la peau de Giscard, nous députés, nous voulons survivre ! ». L'appel a été entendu, puisque les frères ennemis de la veille, Lecanuet et Chirac, ont finalement signé un pacte électoral de façon à limiter la casse dans les prochaines élections. Dans l'immédiat, pour les députés RPR comme UDF, la seule préoccupation est donc de tenter de se faire réélire. Pour cela ils ont besoin les uns et les autres de s'assurer du report intégral des voix de droite, soit au premier, soit au second tour. Il leur faut absolument éviter qu'une fraction des électeurs, même faible, se reporte sur les socialistes comme cela s'est passé dans les présidentielles où une partie de l'électorat chiraquien a fait défaut au second tour au candidat UDF. Mais cela est vrai également cette fois des députés RPR qui ont besoin eux aussi de la totalité des voix qui allaient jusqu'ici à l'UDF. Car Chirac lui-même peut s'accommoder un temps du rôle de chef de l'opposition et voir dans l'immédiat la représentation du RPR au Parlement sensiblement réduite. Par contre, les députés RPR n'ont pas les mêmes raisons que leur chef d'accepter cette réduction qui se ferait aux dépens de certains d'entre eux.
Mitterrand : quel que soit le résultat...
Dans la mesure où il est possible de prévoir en quelque manière les résultats des prochaines législatives, c'est que le PS devrait avoir quelques bonnes chances d'augmenter assez largement sa représentation parlementaire.
Le plus probable c'est que cela se fera d'abord aux dépens du PCF puisqu'un déplacement de voix, même faible, soit à l'intérieur de la gauche, soit de la droite à la gauche, peut être déterminant pour assurer la prééminence du PS. Pour qu'il en gagne aussi aux dépens de la droite, il faudra que se reproduise le mouvement qui a été enregistré au second tour des présidentielles, un déplacement assez sensible d'une fraction des voix habituelles du RPR ou de l'UDF se portant sur le candidat socialiste.
Cela dit, même si le Parti Socialiste ne gagne pas beaucoup de sièges, même si c'est une majorité semblable àl'ancienne qui est réélue, ce n'est pas cela qui peut empêcher Mitterrand de gouverner. Il lui est toujours possible de former un gouvernement socialiste homogène ou de socialistes assaisonnés de quelques gaullistes de gauche, radicaux ou centristes, qui ne comporte donc que des représentants d'une minorité de l'Assemblée nationale mais qui ne soit pas combattue par l'Assemblée.
Dans ce cas bien sûr il ne serait certainement même pas question de ministres communistes. Mitterrand et les socialistes auraient alors le prétexte tout trouvé pour justifier leur refus : la majorité du Parlement ne le permettrait pas.
Le chef du groupe RPR, Claude Labbé, a déjà eu cette petite phrase : « Mitterrand peut être un Président d'origine socialiste de tous les Français, et faisant une politique bonne pour tous les Français » . Ce qui est une façon de laisser bien des portes ouvertes. Par ailleurs si la nouvelle Chambre se montrait par trop indocile, Mitterrand peut toujours la menacer de la renvoyer devant les électeurs au bout d'un an. Et cette simple menace peut amener bien des députés UDF ou RPR à tolérer le futur gouvernement, c'est-à-dire à ne pas s'y opposer même s'ils ne l'appuient pas, plutôt que de courir le risque de remettre en jeu leur siège de député.
Mitterrand peut donc attendre avec sérénité les résultats des prochaines élections législatives. Quel que soit le résultat, même si la droite avait ànouveau la majorité, elle ne devrait pas, dans un premier temps, lui créer trop de problèmes.
Les travailleurs, eux, ont moins de raisons d'y mettre beaucoup d'espoir. Car même si c'est la gauche, Parti Socialiste seul ou Parti Socialiste plus Parti Communiste, qui en sort majoritaire, cela ne leur garantit en rien un gouvernement qui défendrait leurs intérêts.