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Le recul électoral du PCF
Hormis l'élection de François Mitterrand, c'est le très net recul du Parti Communiste au premier tour qui a été le fait majeur dans les élections présidentielles.
Avec 15,35 % des suffrages exprimés, le Parti Communiste a obtenu son score le plus faible depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Même après l'arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, période où pourtant le Parti Communiste avait reculé, il n'était pas descendu aussi bas. Lors des élections législatives de novembre 1958 il avait obtenu 19,2 % des suffrages exprimés, ce qui avait été considéré à l'époque comme un recul historique.
A l'élection présidentielle de 1969, jacques duclos, le candidat du parti communiste, avait recueilli 21,3 % des suffrages. et si l'on prend comme référence les élections plus récentes, c'est-à-dire les élections législatives de mars 1978 et les élections au parlement européen de juin 1979, la baisse du parti communiste est respectivement de 5,21 % et de 5,15 %. cette baisse est considérable.
Par rapport à ces élections il a donc perdu près de 1,5 million de voix. Si la baisse est générale (puisqu'elle atteint la quasi totalité des départements), elle est surtout sensible dans les départements où le PCF réalisait traditionnellement de bons résultats : la Seine-Saint-Denis, par exemple, où il perd 10,6 %.
Par rapport aux résultats de 1978, le PCF a reculé dans 94 départements sur 96. Le Parti Socialiste, lui, a progressé dans 76. Mais sur ces 76, il s'en trouve 47 - soit la moitié du total des départements - où il est loin d'avoir récupéré la totalité des voix perdues par Georges Marchais : au total, à peu de choses près, la moitié seulement en pourcentage. D'ailleurs, sur l'ensemble du pays, le PC a perdu 5,21 points de 1978 à 1981, tandis que Mitterrand a progressé de 3,26 %.
Même en ajoutant à cette progression les modestes 0,60 % de progrès d'Arlette Laguiller par rapport aux voix des candidats LO en 1978, on ne parvient à retrouver le total de ces voix perdues par Georges Marchais qu'en y additionnant l'essentiel des abstentions supplémentaires (l'accroissement du taux des abstentions a été de 1,70 %).
Donc, l'essentiel des voix gagnées par Mitterrand vient de l'électorat du PCF. Mais si la majorité d'entre elles se sont déplacées directement vers la social-démocratie, une autre partie s'est abstenue au premier tour. Un certain nombre d'électeurs communistes ont refusé leur vote à Marchais sans pour autant vouloir voter Mitterrand dès le premier tour. Mais, au deuxième tour, ils n'ont par contre pas hésité à voter Mitterrand. Ce qui est tout de même une façon de désapprouver Marchais au profit de Mitterrand. Et les électeurs qui se sont abstenus ont contribué au même mouvement anti-Marchais que ceux qui ont voté directement au premier tour pour Mitterrand.
Certains commentateurs et journalistes en ont conclu que le Parti Communiste avait pris là un coup irrémédiable.
Marchais et le Parti Communiste prétendent, eux, le contraire. Au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle, Marchais faisait état de milliers et de milliers de lettres d'anciens électeurs communistes qui affluaient pour lui dire qu'ils avaient voté François Mitterrand dès le premier tour dans le but de voter « utile » face à Chirac, mais que leur coeur penchait toujours du côté du Parti Communiste et que nombreux étaient ceux qui, au vu des résultats, regrettaient leur geste.
Rien ne permet de dire aujourd'hui si la perte d'un quart de l'électorat du PCF est irréversible, ou si elle est circonstancielle. les prochaines élections législatives seront une occasion de vérifier si la baisse se maintient ou si le parti communiste retrouve ses voix.
Mitterrand a réussi au premier tour à se trouver en tête de la gauche avec près du double des voix du Parti Communiste, et à se faire élire au second comme Président de la République. Mitterrand est devenu Président de la République tout en réduisant le Parti Communiste sur le plan électoral à une force d'appoint qui l'a laissé, seul, maître du jeu.
Le Parti Communiste, écarté de la possibilité de participer à l'alternance gouvernementale et représentant cependant un poids électoral et parlementaire, pose depuis longtemps un problème du point de vue du bon fonctionnement des institutions parlementaires.
Le poids parlementaire du Parti Communiste avait naguère contribué à l'instabilité gouvernementale de la Quatrième République. De Gaulle, en imposant la Constitution de la Cinquième République avec la modification des rapports entre l'exécutif et le législatif en faveur du premier, avec le scrutin uninominal, et en créant par ailleurs, autour de sa personne, une majorité de droite, a créé les conditions d'une longue stabilité gouvernementale. Mais cette stabilité favorisée par les institutions était tout de même liée à une certaine prépondérance électorale des partis de droite. Restait à assurer la possibilité d'une alternance sans être dans l'obligation d'y associer automatiquement le Parti Communiste. Mitterrand a, d'une certaine façon, achevé à gauche ce que De Gaulle avait commencé à droite.
Ayant réduit l'électorat du Parti Communiste à la portion congrue, il a déjà pu assurer l'alternance à la Présidence de la République, sans passer pour en être redevable au Parti Communiste. Il lui reste à obtenir une majorité parlementaire avec un Parti Communiste réduit à une force d'appoint.
Pour aboutir à ce résultat, le jeu politique de Mitterrand a été de tirer au mieux profit de la nouvelle Constitution de la Cinquième République mise en place par De Gaulle.
Toutes les tentatives de créer face à une majorité gaulliste - puis progressivement élargie - une opposition centriste viable, se sont soldées dans le passé par un échec, notamment en raison de l'importance électorale du Parti Communiste. Mitterrand a choisi le dernier jeu politique encore jouable dans le cadre du système. Contester au Parti Communiste directement son propre électorat sur son propre terrain en l'occupant, en s'alliant à lui, en tenant y compris un langage de gauche qui pouvait plaire à l'électorat communiste.
Arrivé de l'extérieur, il a mis la main sur le Parti Socialiste, au prix de manoeuvres diverses et compliquées au congrès d'Épinay en 1971. En même temps qu'il se faisait élire à la tête du Parti Socialiste, il imposa sa ligne politique.
Pour Mitterrand, il fallait ancrer la politique du Parti Socialiste à gauche plutôt que d'aller vers le centre. Et pour cela, il fallait au Parti Socialiste, qui jusqu'à présent s'était contenté avec les communistes d'alliances électorales ponctuelles et circonstancielles, comme des accords de désistement, qu'il accepte une véritable alliance. Il a réussi à l'imposer et cela d'autant plus facilement que le Parti Socialiste avec l'opération Defferre venait quelques années auparavant de subir un échec cuisant.
Mitterrand fit en 1972 au nom du nouveau Parti Socialiste ce qu'aucun dirigeant de l'ancienne SFIO n'avait accepté jusque lors, créer avec le Parti Communiste - et accessoirement le MRG - une Union de la Gauche durable avec un programme commun de gouvernement en cas de victoire.
Mitterrand avait expliqué à l'époque au congrès de l'Internationale Socialiste réuni à Vienne le 28 juin 1972 : « Notre objectif fondamental, c'est de refaire un grand Parti Socialiste sur le terrain occupé par le Parti Communiste lui-même, afin de faire la démonstration que sur les cinq millions d'électeurs communistes, trois millions peuvent voter socialiste : c'est la raison de l'accord entre le PC et le PS » .
En tout cas, un an après la signature du programme commun lors des élections législatives de mars 1973, la Parti Socialiste qui, sur le plan électoral, était plus faible que le PCF, se renforçait, rattrapant et dépassant les scores obtenus les années précédentes par la FGDS, animée par le Parti Socialiste. Avec les radicaux de gauche dont il était l'allié, il obtenait pratiquement le même pourcentage que celui du Parti Communiste, puisque le PC obtenait 21,40 % des voix, contre 20,8 % aux socialistes et radicaux de gauche.
Cette évolution spectaculaire allait encore se confirmer lors de l'élection présidentielle de 1974, et surtout lors des diverses élections législatives partielles, et lors des élections cantonales et municipales qui allaient suivre.
C'est pourquoi les dirigeants du PC, devant l'augmentation des voix du PS, ont pris peur. Ils ont craint qu'en continuant cette politique unitaire, ils permettraient peut-être la victoire de la gauche, mais ils risquaient d'en faire les frais la victoire risquant de ne profiter qu'au PS, bien parti pour rafler la majorité des sièges de députés, maires, etc.
Le premier coup de semonce sérieux pour le Parti Communiste, ce fut la série des six élections législatives partielles du mois de septembre 1974. Sur l'ensemble des six circonscriptions, la gauche progressait nettement, passant de 35,1 % en 1973 à 42,3 %. Mais cette progression profitait surtout au Parti Socialiste. Le PCF ne progressait, lui, que dans deux circonscriptions, et reculait dans les quatre autres. Tout le monde pouvait souligner la percée du Parti Socialiste et, pour la première fois, le PC avait la preuve que la dynamique unitaire jouait à son détriment.
C'est à la suite de ces élections que le Parti Communiste a entrepris de tenter de s'opposer à cette évolution défavorable du rapport des forces au sein de la gauche, en essayant d'enrayer la progression du Parti Socialiste. A partir de 1974, sa politique à l'égard du PS a été faite d'une série de zigzags, au coup par coup, en fonction des événements. Parfois, le PC a accentué l'aspect unitaire, parfois au contraire il a accusé les différences et les divergences.
Pourtant, élections après élections, le Parti Socialiste continuait à progresser alors que le PCF, lui, stagnait. Et le déséquilibre entre les deux s'accentuait.
Aux élections cantonales de 1976, c'est le Parti Socialiste qui raflait la majorité des sièges de conseillers. Au deuxième tour, sur 1863, 520 allaient au PS, qui s'intitulait alors premier parti de France. Aux élections municipales de 1977, cette poussée à gauche se confirmait en faveur toujours du Parti Socialiste, cette fois-ci allié aux radicaux de gauche, qui faisait un score de l'ordre de 28 % des suffrages.
Au lendemain de ces élections, le Parti Communiste, pensant sans doute, comme tout le monde d'ailleurs, qu'il y avait une radicalisation possible dans l'électorat, décidait de mener une politique radicale en choisissant de se distinguer du PS sur sa gauche, et se dirigeait alors vers la rupture avec celui-ci. Cette rupture se fit à propos de la réactualisation du programme commun de la gauche.
Le Parti Communiste proposa alors ses projets de réactualisation, en exigeant de nouvelles nationalisations ou une augmentation du SMIC à 2400 F par mois, autant de mesures que Mitterrand ne pouvait accepter. Et les négociations qui commencèrent le 31 mars 1977 se terminèrent par une rupture définitive le 23 septembre, six mois tout juste avant les élections législatives de 1978.
Mais avec la forte poussée à gauche qui s'était produite aux élections municipales, les partis de gauche pouvaient continuer à croire à une victoire aux législatives de 1978, malgré leurs polémiques et leurs querelles.
C'est dans ce contexte que le Parti Communiste se présenta avec un langage plus radical et prit l'initiative d'une rupture de l'Union de la Gauche. S'il y avait une radicalisation de l'électorat, le Parti Communiste pouvait espérer refaire sur sa gauche l'électorat qu'il perdait sur sa droite. Si elle n'existait pas, le Parti Communiste préférait saborder les chances de la gauche d'arriver au pouvoir plutôt que se retrouver avec une majorité de gauche dans laquelle il aurait été relégué à la portion congrue au rang de minoritaire. En mars 1978, il n'y eut pas de poussée à gauche. Mais avec le score de 20,55 % des voix, le Parti Communiste se maintenait et la progression du Parti Socialiste semblait enrayée. Il limitait ainsi les dégâts. Aux élections européennes de 1979 encore, le Parti Communiste réussit à maintenir son score par rapport au Parti Socialiste.
Le Parti Communiste dut en conclure que cette politique lui permettait de limiter les dégâts. Elle lui permettait aussi d'entraver la victoire du Parti Socialiste et de faire pression sur lui jusqu'à ce qu'il accepte éventuellement une nouvelle négociation avec le Parti Communiste, qui garantirait à celui-ci toute la place qu'il revendiquait, indépendamment des fluctuations électorales.
Mais bon nombre d'électeurs de gauche, y compris des électeurs communistes, et toute une frange de militants communistes, notamment parmi les intellectuels, auxquels on avait fait miroiter le changement grâce à l'Union, reprochèrent aux dirigeants du Parti Communiste leur politique anti-unitaire, et considérèrent qu'elle avait été responsable de l'échec de la gauche aux élections législatives.
Le Parti Socialiste et Mitterrand qui avait toujours joué la carte de l'Union avait alors beau jeu de tirer les marrons du feu en faisant retomber l'échec sur les épaules du Parti Communiste qui avait rejeté l'Union et s'était enfermé dans une politique sectaire.
Après les législatives de 1978, Mitterrand fit le choix de continuer à apparaître unitaire, ce qui lui avait si bien réussi jusqu'à présent. Marchais apparaissait comme celui qui avait changé, qui avait été pour l'Union puis se montrait contre, alors que Mitterrand dès 1978 s'était prononcé pour l'Union et il avait campé fidèlement sur cette position sans en changer.
Le résultat de l'élection présidentielle allait montrer que Mitterrand avait eu raison. Il n'y avait pas de radicalisation mais un simple désir de se débarrasser de Giscard, y compris dans les couches petites-bourgeoises votant habituellement à droite. Cela profitait à Mitterrand car ces voix allaient au PS et pas au PCF. D'un autre côté la responsabilité de l'échec de l'Union attribué par l'électorat de gauche à Marchais profitait aussi à Mitterrand lui attirant des électeurs habituellement PCF. Celui-ci allait être élu malgré l'attitude du Parti Communiste. Toute la tactique de chantage de celui-ci s'écroulait et devenait vaine. Bien plus elle se retournait contre lui, précipitant la baisse du PCF par rapport au PS.
Le Parti Communiste a sans doute senti dès le début de cette campagne électorale présidentielle qu'il se trouvait dans une situation de plus en plus inconfortable. Dès la première intervention à la radio-télévision, Marchais essayait d'adopter un autre ton, alors que quelques jours auparavant encore il attaquait durement, notamment lors de l'émission « Cartes sur table » à Antenne 2, où il menaçait Mitterrand d'une vague de grèves si, élu, il ne leur donnait pas de postes de ministre, et où d'ailleurs il laissait entendre que le PC pourrait s'abstenir au deuxième tour. Dans son intervention du 13 avril, Marchais ne formula aucune attaque contre Mitterrand. Et dans les interventions radiotélévisées, le Parti Communiste n'allait jamais, ni citer, ni attaquer Mitterrand.
Dans ses meetings et dans l'Humanité, les critiques contre Mitterrand se faisaient beaucoup moins nombreuses et plus modérées, bien qu'en s'adressant à ses militants et à son milieu très proche, Marchais pouvait encore se permettre des critiques. Quoiqu'il en soit, devant l'ensemble des électeurs de gauche, il a tenu à mener une campagne neutre à l'égard de Mitterrand et uniquement anti Giscard-Barre.
Seulement, il faut croire que ce virage à 180°, pris in extremis au début de la campagne électorale, est arrivé trop tard. Il a peut-être même au contraire accentué le désarroi des électeurs du PCF, de plus en plus désorientés devant les retournements incessants du Parti. Toujours est-il qu'une grande partie de l'électorat du Parti Communiste a désavoué la politique menée par Marchais. La campagne officielle ne pouvait pas effacer les mois et les mois d'attaques systématiques contre Mitterrand et le Parti Socialiste.
Maintenant, on ne sait pas si la perte des voix du Parti Communiste est durable ou pas. Mais il est certain que si cette baisse devait se confirmer, voire s'accentuer, cela changerait les données du jeu politique en France.
En tout cas le Parti Communiste s'est finalement placé lui-même dans la situation qu'il voulait absolument éviter. Toute sa tactique était de faire pression sur Mitterrand pour obtenir de lui des garanties. Marchais et l'équipe dirigeante du PCF faisaient au PS le chantage suivant : ou vous nous garantissez notre place et nous vous aidons à prendre la majorité dans le cadre de l'Union de la Gauche, ou vous refusez mais, dans ce cas, vous-mêmes ne parviendrez ni à la majorité ni au gouvernement, car vous avez besoin pour cela de notre aide et de nos voix.
Mitterrand est parvenu au gouvernement sans l'aide du Parti Communiste, on pourrait presque dire contre. Et le Parti Communiste n'a plus qu'à mendier l'accord qu'il a refusé en 1978 mais cette fois sans moyen de pression ou de chantage sur Mitterrand, bien pis même, dans le contexte d'un rapport de forces électorales où c'est au contraire le PS qui semble être en mesure de décider du sort des élus PCF et plus du tout l'inverse.