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Biélorussie : la contestation continue
Le 30 août, pour le troisième dimanche consécutif, Minsk a connu une grande manifestation dénonçant le président biélorusse Loukachenko et sa réélection truquée. Comme à son habitude, le régime a arrêté des centaines de manifestants, certains de façon préventive, mais cette fois-ci sans faire usage de tirs systématiques de grenades lacrymogènes ou de balles en caoutchouc.
Ce qui peut passer d’une certaine façon pour un recul du pouvoir dans sa course à la répression est à mettre au compte de la contestation massive des semaines précédentes.
Le déchaînement répressif du régime contre ceux qu’indignait sa falsification flagrante des résultats de l’élection du 9 août avait jeté dans la rue des masses de plus en plus nombreuses. Et cela avait provoqué, par solidarité envers les manifestants au moins autant que par rejet du régime, l’entrée en scène, dans la rue et dans la grève, des travailleurs des principales entreprises de Biélorussie.
Depuis, cependant, si ces derniers continuent de participer aux manifestations dans la capitale et en province, le nombre de grévistes a régressé. Même dans les plus grandes usines, MTZ et BelAZ, ou dans la mine géante de potasse Belaruskal, où des comités de grève se sont formés, leurs animateurs ont déclaré sur les réseaux sociaux que la grève y est devenue minoritaire.
C’est que beaucoup de travailleurs ont vu leur direction licencier les grévistes les plus actifs, la justice les convoquer et la police ne plus les relâcher. Parmi la petite centaine de « disparus », certains après avoir été enlevés par des policiers cagoulés, parfois retrouvés « suicidés », il semble y avoir une majorité de travailleurs. Tout cela n’a pu qu’intimider les moins résolus, sur fond de crainte de perdre son emploi, dans ce pays où le chômage en tant que phénomène social est d’apparition assez récente.
Mais il y a une raison plus fondamentale à la relative retombée de la mobilisation de ce prolétariat industriel nombreux et concentré : le caractère d’un mouvement à l’origine duquel se trouve une opposition politiquement et socialement liée à la petite bourgeoisie, ou à des membres de la bureaucratie dirigeante en voie de lâcher Loukachenko. Ce sont ces couches sociales là qui ont initié des candidatures concurrençant Loukachenko à la présidentielle. Ce sont les jeunes startupers des nouvelles technologies, encouragés par le régime car faisant rentrer des devises, que l’on remarque aussi dans les manifestations de l’opposition. Ils poussent à une occidentalisation du pays à laquelle ils estiment avoir tout à gagner, mais dont les travailleurs, eux, sentent qu’ils seraient les grands perdants.
Bien sûr, cela n’a rien de contradictoire avec le fait que l’opposition libérale ouvre des caisses de soutien aux grévistes ou ait appelé ses partisans à aller aux portes des entreprises le 1er septembre, pour appeler les travailleurs à faire grève. Car cette opposition se sait bien trop faible socialement et numériquement si elle ne parvient pas à entraîner derrière elle la classe ouvrière, pour faire le poids face à un régime, certes ébranlé, mais qui se maintient. Surtout quand ni l’Occident ni le Kremlin ne veulent précipiter sa chute, de crainte de déstabiliser tout l’Est de l’Europe.
En Biélorussie comme partout, la question n’est pas de savoir si la classe ouvrière a la capacité de se battre, mais derrière quel drapeau elle se bat, avec quel programme. Celui d’un replâtrage de la société ? Ou celui du renversement, par les travailleurs, du pouvoir des possédants et des classes ou castes privilégiées, afin d’établir le pouvoir de la seule classe porteuse d’avenir, car n’ayant aucun intérêt à la perpétuation d’un système fondé sur l’exploitation ?