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Mexique : Vers la reconnaissance des revendications indiennes ?
Sept ans après le début de leur mouvement qui avait commencé dans l'Etat du Chiapas au début de l'année 1994, les militants de l'EZLN (Armée de libération nationale zapatiste) ont marché dimanche 11 mars dans la capitale du Mexique, Mexico, pour y faire entendre les revendications des populations indiennes, dont le porte-parole de l'EZLN, le sous-commandant Marcos, s'est fait le champion. La manifestation s'est déroulée de façon d'autant plus bon enfant que le nouveau président du Mexique, Vicente Fox, qui prétend en avoir fini avec la dictature sans partage du Parti Révolutionnaire Institutionnel, jouait plutôt la carte de la main tendue aux zapatistes.
Une marche de 150 000 personnes
Cette manifestation était l'aboutissement d'une marche qui a duré quinze jours à travers une partie du pays. Le cortège, évalué à 150 000 personnes, avait, en effet, attiré la sympathie et le soutien de différents groupes de contestataires, des écologistes, des militants anti-TVA, des groupes anti-mondialisation, des étudiants, des parents de détenus et bien d'autres.
Les militants de l'EZLN, venus sans armes, vont séjourner maintenant dans la capitale. Ils attendent en effet que les promesses faites par le nouveau président et concernant les populations indiennes soient tenues. Le Congrès mexicain doit en effet adopter un projet de loi, qui entérinerait de fait les accords sur les droits et la culture des Indiens signés à San Andrès et rompus en 1996, et qui donnerait un peu plus d'autonomie aux populations indiennes.
Une partie des parlementaires sont cependant réticents à adopter cette nouvelle loi, tandis que l'adoption renforcerait la position du président, qui a déjà fait quelques gestes d'apaisement en direction de la guérilla zapatiste. Il a libéré les trois quarts des militants de ce mouvement emprisonnés, retiré une partie des troupes qui encerclent l'Etat du Chiapas et autorisé la marche. En contre-partie, Marcos, dans son discours aux manifestants, a adopté un ton modéré et conciliant.
Les deux parties pourraient rouvrir les négociations interrompues en 1996 et chercher une issue acceptable par les deux camps à la crise du Chiapas. Marcos, ex-étudiant de philosophie devenu partisan de la guérilla dans les années quatre-vingt, a déjà dit que, si tout se passe bien, il mettrait son passe-montagne au vestiaire pour se réinsérer dans la politique traditionnelle.
Les objectifs de l'EZLN
Si la manifestation zapatiste a trouvé un grand écho auprès des habitants les plus pauvres, c'est évidemment parce que réclamer plus de démocratie, plus de justice, plus de dignité ne peut que séduire des millions de pauvres d'un pays qui en compte d'autant plus désormais qu'il parvient maintenant à classer deux dizaines de super-milliardaires au palmarès des riches de la planète.
Le surgissement de la lutte de l'EZLN au moment où une partie de l'opinion de gauche, en Amérique latine notamment, estimait qu'il n'y avait plus de place pour la guérilla ni même pour la lutte tout court, a pu redonner espoir à bien des gens au Mexique et ailleurs. Cependant le mouvement "zapatiste" du Chiapas n'avait pas grand-chose à voir avec les guérillas des années soixante ou soixante-dix en Amérique latine (qui se sont révélées des impasses politiques et même le plus souvent le tombeau de toute une génération de militants sud-américains) et encore moins avec la révolution mexicaine de 1910 et les armées paysannes d'Emiliano Zapata et de Pancho Villa.
Le rêve de l'étudiant Marcos était peut-être de prendre les armes contre le régime du Parti Révolutionnaire Institutionnel. Mais, en pratique, il s'est orienté vers une guérilla plus médiatique que réelle dont le passe-montagne, les treillis et les armes de poing étaient les accessoires. Il s'agissait par ce moyen de faire connaître l'extrême misère des populations indiennes du Chiapas, et de placer l'État mexicain devant la nécessité de satisfaire au moins certaines revendications des populations indiennes.
Cela a réussi, au moins jusqu'à un certain point, mais de là à voir dans l'action du "sous-commandant Marcos" une répétition de la révolution mexicaine et de l'action des armées révolutionnaires de Zapata et Pancho Villa, comme a feint de le faire toute une partie de la presse mondiale, il y a de la marge, car entre le réformisme plus ou moins radical de l'EZLN et la lutte révolutionnaire de Zapata, il y a un monde.
Ce que fut la révolution mexicaine de 1910
Quand le vrai Zapata se lança dans la lutte armée, il y a quelque 90 ans, c'était bien une orientation révolutionnaire. Le régime mexicain de l'époque, celui de Porfirio Diaz, satisfaisait exclusivement les grands propriétaires et les classes riches, il s'agissait de le renverser par la force, non pas la force bien limitée d'un petit groupe de guérilleros agissant à la place des masses paysannes, mais celle des masses de paysans pauvres de régions entières insurgés contre la dictature, puis contre les successeurs de Diaz pas plus décidés que lui à réaliser le partage des terres et à satisfaire les revendications paysannes.
Les armées paysannes de Zapata dans l'Etat de Morelos et celles de Pancho Villa, au nord, firent trembler les possédants, d'autant plus que ces révolutionnaires-là ne se sentaient redevables que devant les paysans les plus humbles et pas devant les riches. Et c'est pourquoi ces derniers les firent finalement assassiner.
Bien sûr, pour consolider la victoire, pour parvenir à une véritable émancipation de tous les pauvres du Mexique, il aurait fallu que ces armées de paysans pauvres puissent s'allier avec la seule classe révolutionnaire des villes, la classe ouvrière. Malheureusement, les dirigeants ouvriers mexicains du début du siècle étaient moins préoccupés par le succès de la révolution ouvrière et paysanne que par la recherche du général réactionnaire auquel ils allaient accorder leur soutien, créant ainsi les conditions originales d'installation d'un nouvel Etat au service de la bourgeoisie, et dont le Parti Révolutionnaire Institutionnel fut l'héritier unique, en régnant sur le Mexique pendant plus de soixante-dix ans.
Le mouvement mené par Marcos aura peut-être quelque résultat, au moins pour faire connaître la détresse d'une partie de la population pauvre indienne, et si c'est le cas tant mieux. Mais cela sera de toute façon insuffisant pour que les travailleurs, les paysans pauvres et les populations indiennes du Mexique échappent vraiment à la dictature de l'argent. Il faudrait pour cela une révolution radicale, plus profonde encore que la révolution mexicaine du début du siècle, qui mette en branle toutes les classes pauvres sous la direction de la classe ouvrière.
La préparer doit être la tâche de tous les militants révolutionnaires que compte la classe ouvrière au Mexique comme ailleurs, et de tous ceux qui souhaitent que la liesse et la joie des manifestants du dimanche 11 mars ne se transforment pas bientôt en démoralisation et en amertume.