Janvier-février 2011 : les Printemps arabes et leurs braises non éteintes03/02/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/02/2740.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a dix ans

Janvier-février 2011 : les Printemps arabes et leurs braises non éteintes

Il y a dix ans, fin 2010 et début 2011, une vague de soulèvements populaires faisait trembler les dirigeants de deux dizaines de pays du monde arabe et tomber deux d’entre eux. Elle allait entrer dans l’histoire récente comme le Printemps arabe.

En Tunisie, l’étincelle, le suicide par le feu en décembre 2010 d’un jeune marchand ambulant, Mohamed Bouazizi, était sans doute imprévisible, mais les raisons de la vague de colère que sa mort entraîna étaient patentes. La misère des habitants des régions oubliées et le chômage qui clouait la jeunesse dans la pauvreté avaient déjà produit des secousses. Tunis et les autres villes du pays vécurent au rythme des manifestations, grèves et sit-in qui finalement, le 14 janvier 2011, obligèrent le dictateur Ben Ali à quitter le pouvoir. L’impérialisme américain conseilla vivement le pouvoir tunisien en ce sens, le président Barack Obama appelant à une « transition ordonnée ». La France de Sarkozy adopta, un peu plus tardivement, la même attitude. Face à la révolte, les puissances capitalistes tutélaires se livraient à une de leurs manœuvres politiques coutumières consistant à sacrifier le dictateur, qui focalisait tout le mécontentement, pour garder l’essentiel de leurs positions. En satisfaisant dans un premier temps la revendication populaire qui réclamait que Ben Ali « dégage », il s’agissait de tenter de calmer à moindres frais le mouvement social sans rien changer sur le fond.

En Égypte, dans le contexte de grande pauvreté des deux tiers des 85 millions d’habitants, le Jour de la colère fut décidé pour le 25 janvier 2011, par un ensemble de militants appartenant ou non à plusieurs regroupements d’opposition au dictateur Hosni Moubarak. Dans la vague d’enthousiasme déclenchée par les événements de Tunisie, ils exprimaient des revendications communes à de nombreux travailleurs et jeunes des villes : « Pain, liberté, justice sociale ! »

Malgré la répression violente, les manifestations et les grèves continuèrent et Moubarak, dictateur depuis trente ans, dut quitter la place le 11 février, moins d’un mois après son homologue de Tunis. Quelques jours auparavant, depuis la Maison-Blanche, Obama l’avait poussé à prendre du champ, s’adressant par ailleurs directement aux manifestants regroupés place Tahrir au Caire pour les assurer du soutien des États-Unis. L’enjeu était d’importance, alors qu’après l’intervention des troupes américaines en Irak, en 2003, le Moyen-Orient était devenu une poudrière où les révoltes populaires pouvaient rapidement s’étendre. L’armée fut désignée pour incarner la « transition ordonnée », et proclamée garante de la sécurité des manifestants, face à la police qui se faisait momentanément plus discrète. À travers le Conseil suprême des forces armées (CSFA), elle reçut le pouvoir des mains de Moubarak, pour dissoudre aussitôt le Parlement et suspendre la Constitution.

Débarrassés de Moubarak, les travailleurs et les jeunes continuèrent de mener dans toute l’Égypte d’incessantes grèves et manifestations, qui reprenaient les revendications de salaire, de conditions de travail, d’embauche, leurs exigences de liberté syndicale, de libre expression. Lors d’une de ces grèves, des militants ouvriers affirmaient : « Si cette révolution ne conduit pas à une distribution équitable des richesses, elle ne vaut rien. Sans libertés sociales, les libertés ne sont pas complètes. Le droit de vote est naturellement dépendant du droit au pain. » La vague de révoltes avait d’autant plus de raisons d’inquiéter les puissances impérialistes qu’après la Tunisie et l’Égypte elle allait toucher à des degrés divers l’Algérie, la Jordanie et le sultanat d’Oman, le Yémen, l’Arabie saoudite, Bahreïn, la Libye de Kadhafi, le Maroc, l’Irak, et la Syrie.

Retour de la répression

Les classes dirigeantes tunisienne et égyptienne, toujours bien conseillées par Washington, s’attelèrent alors à l’opération de tromperie de la population nommée « transition démocratique », ou même « ordonnée ».

En Tunisie, cette transition se traduisit par la mise en place d’une façade parlementaire dans laquelle le parti islamiste Ennahda allait prendre une place importante. Mais aucune revendication des ouvriers, des masses pauvres, n’allait être satisfaite.

En Égypte également, le parti islamiste des Frères musulmans, seul parti politique structuré apparaissant opposé à celui de l’ex-dictateur, sortit vainqueur des premières élections, et le dirigeant de ce parti, Mohammed Morsi, fut élu président. Très rapidement détestés, tant pour leurs tentatives d’imposer leur ordre moral poussiéreux que pour leurs décrets dictatoriaux, ne voulant ni ne pouvant satisfaire aucune revendication populaire, les Frères musulmans furent confrontés à leur tour à des manifestations et des grèves. L’armée, après s’être retirée dans les coulisses du pouvoir, allait reprendre les rênes en prétendant s’appuyer sur la volonté populaire.

Le coup d’État militaire du 3 juillet 2013, dirigé contre le parti islamiste, put s’accomplir avec le soutien massif d’une grande partie des participants au mouvement de 2011, la jeunesse et les mouvements de gauche qui avaient été présents place Tahrir. Pendant quelque temps, l’armée parvint à se présenter comme le sauveur de la démocratie, et même de la « révolution de 2011 », face aux Frères musulmans déconsidérés. L’état-major en profita, en août 2013, pour écraser dans le sang les partisans du président destitué et les militants islamistes qui continuaient de manifester.

À la tête du nouveau pouvoir, le général Sissi, devenu maréchal, entreprit alors, au prétexte de la lutte contre le terrorisme ou même sans prétexte, de faire taire les opposants de gauche, les ouvriers grévistes, les militants des droits de l’homme, les journalistes, les artistes, les féministes. À dix ans de la chute de Moubarak, pour une grande partie de la population, la dictature de Sissi est désormais pire que celle d’avant 2011.

En Syrie, en Libye, au Yémen, les régimes dictatoriaux menacés par la vague de révolte allaient eux aussi réagir violemment. Les populations allaient payer le prix fort de la répression, subissant d’interminables guerres civiles et devant désormais vivre dans des pays en ruine.

Une révolution à achever

Dix ans après, les explosions sociales du Printemps arabe ont débouché sur d’amères défaites. Quand le pays où elles se sont produites n’a pas sombré dans le chaos, le pouvoir militaire s’est maintenu sous une forme ou sous une autre. L’économie est plus que jamais soumise aux intérêts impérialistes. La situation sociale des travailleurs et des plus pauvres continue à se dégrader. L’aggravation de la crise mondiale, les effets de la crise sanitaire s’ajoutent. Des explosions de mécontentement continuent de se produire de façon sporadique, même si elles ne sont plus portées par une vague d’espoir comme cela a pu être le cas en 2011.

De nouvelles explosions sont probables, mais elles se heurteront aux mêmes obstacles. Jusqu’à quel point les masses, les militants auront-ils tiré les leçons de l’échec de la vague de 2011 ? C’est une question déterminante.

Dans un monde arabe dominé par l’impérialisme, morcelé entre différents régimes dictatoriaux ou ne valant guère mieux, seul le prolétariat peut ouvrir une perspective s’il s’organise autour de la défense de ses intérêts fondamentaux. Seule une révolution prolétarienne s’étendant à l’échelle de toute la région pourra mettre fin à ce système d’oppression et ouvrir un véritable espoir.

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