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Leur société
Pénurie brevetée
Plus de 77 000 personnes ont perdu la vie en France à cause du coronavirus, et au moins 2,2 millions dans le monde. Or les délais de livraison des doses de vaccin anti-Codiv s’allongent et provoquent une déception légitime.
Faut-il alors passer outre les brevets déposés par les firmes pharmaceutiques qui ont développé les vaccins les premières, mais qui sont manifestement incapables de les produire en quantité suffisante ?
Si Pfizer-BioNTech, Moderna, et peut-être demain AstraZeneca si son vaccin obtient les agréments nécessaires, sont incapables de produire plus vite, peut-on les obliger à vendre ou à céder les brevets des vaccins ? Les défenseurs de la propriété capitaliste plaident pour que personne ne se mêle des affaires de ces géants pharmaceutiques. Au nom des lois qui protègent la propriété intellectuelle, ils font valoir que les investissements dans la recherche doivent rapporter, sinon celle-ci n’aurait plus de raison d’être pour les capitalistes.
Ils oublient que ces entreprises ont reçu d’importants fonds publics précisément pour accélérer la recherche vaccinale plus que les capitaux privés n’étaient disposés à le faire. Et ils passent sous silence les investissements publics permanents, il est vrai en diminution, dans l’éducation (du primaire à l’université) et la recherche publique, sans lesquels la base même sur laquelle prospèrent les entreprises de biotechnologie n’existerait pas.
Pour sembler répondre aux préoccupations de la population, toute une frange d’hommes politiques, à commencer par Macron, y est allée de ses déclarations, souvent très vagues, appelant à contourner les brevets pour accélérer la production vaccinale. En juin dernier, en visite sur un site de Sanofi, le président avait déclaré défendre « cette vision d’un bien public mondial », tout en rassurant les capitalistes du secteur dans la foulée : « Il faudra que les efforts de recherche soient récompensés, c’est logique. »
Depuis, le gouvernement n’a fait aucun pas dans cette direction. Il existe pourtant, dans le Code de la propriété industrielle, un article prévoyant qu’il puisse décider « dans l’intérêt de la santé publique que, lorsque ces produits [les vaccins par exemple] sont mis à la disposition du public en quantité insuffisante », un brevet soit transformé en une licence d’office, par-dessus la volonté de l’entreprise l’ayant déposé.
Mais personne, dans le monde des dirigeants d’entreprises ou dans celui des gouvernants, ne veut bousculer, ne serait-ce que de façon limitée à la question des vaccins, le droit des possesseurs de capitaux à décider de tout, même au détriment des vies que la science pourrait sauver.
Des brevets au secret commercial en passant par le pouvoir des actionnaires, c’est toute une chaîne de lois et d’institutions étatiques qui forme le cadre sans lequel la propriété capitaliste des moyens de production ne pourrait exister, même si elle est un obstacle à la satisfaction de besoins humains de base.