Grande-Bretagne : Theresa May perd son pari14/06/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/06/2550.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Theresa May perd son pari

La tentative de Theresa May de réaliser l’Union nationale autour de son Parti conservateur et de sa politique de sortie de l’Union européenne (le Brexit), en provoquant des élections anticipées le 8 juin, s’est finalement soldée par un échec, et cela malgré des conditions qui semblaient lui être particulièrement favorables.

En effet, lorsqu’en avril Theresa May annonça la tenue de ces élections, depuis déjà plusieurs mois les sondages donnaient une avance de 20 points au Parti conservateur sur son principal rival, le Parti travailliste de Jeremy Corbyn.

Or, au soir du 8 juin, cette avance n’était plus que de 2,4 % : les conservateurs obtenaient 42,4 % des voix (et 318 sièges) contre 40 % (et 262 sièges) pour les travaillistes. Non seulement le Parti conservateur perdait 13 sièges, alors que les travaillistes en gagnaient 30, mais surtout May perdait la fragile majorité absolue qu’elle détenait auparavant dans une Chambre des communes qui compte 650 députés.

Que s’est-il donc passé ? Tout d’abord, il y a eu le vote des adversaires du Brexit. C’était la première élection d’importance nationale depuis le référendum de juin 2016, et ils n’ont pas manqué de s’en servir, en votant explicitement contre May. Considérant que voter pour les deux petits partis opposés au Brexit ne servirait à rien, la plupart se sont rabattus sur le Parti travailliste, ne serait-ce que pour exprimer leur opposition au Brexit dur de May – opposition que le parti de Corbyn s’est efforcé d’incarner même si, par électoralisme, il ne s’oppose de front ni au Brexit lui-même, ni à la politique anti-immigrée de May. On l’a vu en particulier dans le Grand-Londres, où le vote travailliste a augmenté nettement plus que dans le reste du pays.

Un vote sanction contre Theresa May

Ensuite, il est évident que May s’est mis à dos une partie de l’électorat. Cela tient à la fois à son style aussi présidentiel qu’arrogant, à une rhétorique ultranationaliste qui inquiète, et surtout à son refus d’admettre le désastre causé par sept ans d’austérité dans la santé publique, l’aide sociale aux personnes âgées et l’éducation. Pour l’une ou l’autre de ces raisons, nombre d’électeurs ont tenu à sanctionner May.

Parmi eux, il y a eu des électeurs du Parti conservateur traditionnel. Celui-ci a ainsi perdu un certain nombre de ses fiefs historiques au profit des travaillistes : c’est le cas par exemple de Canterbury, une ville riche du sud du pays, ou encore du siège de Kensington, qui englobe de riches quartiers londoniens.

Ce vote sanction a également touché les plus fervents partisans du Brexit, les 12,6 % de votants qui avaient soutenu le parti souverainiste UKIP en 2015. Le score de UKIP, dont le programme se réduisait à la sortie de l’UE, s’est assez logiquement effondré, pour revenir à 1,8 %. Mais, dans les circonscriptions populaires, la majorité des anciens électeurs de UKIP ont choisi de reporter leurs voix sur les travaillistes plutôt que sur les conservateurs.

Pour May, le 8 juin a d’autant plus été une claque qu’elle pensait faire taire les factions rivales de son parti avec ce qu’elle espérait être un raz-de-marée électoral. Au lieu de cela, une trentaine de ses députés ont perdu leur poste par sa faute et certains ténors de son parti en sont maintenant à prédire sa chute prochaine, voire à exiger sa démission.

Et le Brexit dans tout cela ?

Face à cette révolte, May a d’autant plus besoin d’une majorité absolue. Elle a donc fini par se rabattre sur les dix députés du parti le plus réactionnaire représenté au Parlement, le DUP (Parti démocratique unioniste) d’Irlande du Nord. Ce parti, fondé en 1971 par le gourou d’une secte intégriste protestante, Ian Paisley, est avant tout connu pour ses positions contre l’avortement et les homosexuels, mais également pour ses liens avec les gangs armés de l’extrême droite protestante qui continuent à sévir en Irlande du Nord. Mais, comme le dit le proverbe anglais, « quand on mendie, on n’a pas les moyens d’être trop regardant » et, malgré le scandale que cela cause dans son propre parti, May a maintenu le cap, pour l’instant en tout cas.

Reste à savoir quel impact le camouflet subi par May aura sur le processus du Brexit. Ce qui est sûr est que les milieux d’affaires ont repris leur offensive, par presse spécialisée interposée, exigeant des garanties et une modération allant bien au-delà de ce que May leur a concédé jusqu’à présent.

Du point de vue de la classe ouvrière, ce qui est sûr également est que les mesures d’austérité vont continuer contre les budgets sociaux, et que ses conditions de vie et de travail vont se trouver attaquées de plein fouet, par l’inflation qui continue à monter, mais aussi par un patronat qui se prépare d’ores et déjà à lui faire payer les frais du Brexit.

Les travailleurs britanniques et les 2,5 millions de travailleurs européens vivant en Grande-Bretagne n’ont guère eu l’occasion de se faire entendre dans ces élections, parce qu’aucun courant n’y représentait leurs intérêts politiques et que beaucoup n’avaient même pas le droit de vote. En revanche, il leur reste une arme bien plus efficace pour défendre leurs intérêts communs et dont ils peuvent se servir tous ensemble : celle de la lutte de classe.

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